<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’Allemagne manque de gaz

7 mai 2022

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L’Allemagne manque de gaz

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En menaçant de couper l’approvisionnement en gaz, la Russie met l’Allemagne dans une situation difficile. la BCE n’a quasiment plus de marges de manœuvres et l’économie européenne est fragilisée. La menace sur l’euro se précise.  

Article de Tom Holland et Nick Andrews pour Gavekal. Traduction de Conflits

Il y a une semaine, les discussions en Europe portaient sur la question de savoir dans combien de temps l’Allemagne allait se plier à ce que de nombreux observateurs pensaient inévitable et accepter un boycott immédiat de toutes les importations de gaz naturel en provenance de Russie. Cette semaine, la conversation s’est inversée à 180°. Aujourd’hui, on ne parle pas de la possibilité que l’Allemagne cesse d’acheter du gaz à la Russie, mais plutôt de la possibilité que la Russie cesse de vendre du gaz à l’Allemagne. La réponse du marché a été sans équivoque : l’euro s’est effondré par rapport au dollar américain pour toucher 1,05 dollar jeudi matin, son niveau le plus faible en cinq ans, tandis que les écarts de taux à 10 ans de l’Italie ont atteint leur niveau le plus élevé depuis le premier semestre 2020.

Il ne s’agit pas d’une réaction excessive. Au cours des deux derniers mois, l’Allemagne a résisté aux appels à l‘arrêt immédiat des importations de gaz en provenance de Russie. Maintenant, si les sanctions vont dans l’autre sens et que Moscou interrompt brusquement le flux de son gaz naturel vers l’Allemagne et d’autres économies de l’UE, l’Europe se retrouvera aux prises avec une nouvelle crise économique, qui comme la crise de l’euro de 2011-12 ou la crise Covid de 2020 pourrait à nouveau constituer une menace existentielle pour la survie de la monnaie unique.

Une menace pour l’euro

En apparence, la dernière panique gazière a été précipitée par l’annonce faite par la Russie de l’arrêt des livraisons de gaz par gazoduc à la Pologne et à la Bulgarie, après que Varsovie et Sofia ont déclaré qu’elles ne se plieraient pas aux exigences russes de paiement en roubles. L’impact direct de ces décisions est faible. La Pologne, par exemple, a fortement réduit sa dépendance à l’égard du gaz russe ces dernières années, ce qui lui permet de faire un geste en rejetant la demande russe de paiement en roubles.

(Et il s’agit en grande partie d’un geste : Les acheteurs de gaz européens ne peuvent obtenir des roubles qu’en vendant des euros à une banque russe qui n’est pas sous le coup de sanctions européennes. Il s’agit de la Gazprombank. Pour les acheteurs, l’effet net est qu’ils paient toujours en euros, bien que le mécanisme présente des avantages pour la Russie, notamment la stabilisation du taux de change du rouble).

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Cependant, les courants sous-jacents sont plus profonds. La décision de la Russie d’interrompre les flux de gaz vers la Pologne a suivi la décision de Berlin – sous une pression politique intense – de fournir à l’Ukraine des armes de défense aérienne. La menace implicite est que la Russie coupera l’approvisionnement en gaz de l’Allemagne si Berlin continue à fournir des armes à l’Ukraine.

Les effets économiques seraient catastrophiques. Avant l’éclatement de la crise ukrainienne, l’Allemagne dépendait des importations de gaz russe pour environ 13 % de son mix énergétique primaire. En Italie, cette proportion était de 19 %. Certes, au cours des deux derniers mois, l’Europe occidentale a annoncé des plans visant à réduire sa dépendance à l’égard du gaz russe, par exemple en important davantage de gaz naturel liquéfié de pays plus lointains, dont les États-Unis et le Moyen-Orient, et en accélérant les investissements dans les énergies renouvelables. Mais les infrastructures d’importation de GNL de l’Europe fonctionnent actuellement à pleine capacité, tandis que l’investissement dans de nouvelles infrastructures, que ce soit pour augmenter les importations de GNL ou pour développer la capacité des énergies renouvelables, est un projet pluriannuel.

Même les plans les plus ambitieux prévoient que l’UE restera tributaire du gaz russe pendant encore au moins deux ou trois ans. Si ces approvisionnements devaient être interrompus demain, les économies d’Europe occidentale, dont l’Allemagne et l’Italie, seraient confrontées à un grave déficit énergétique. La semaine dernière, la Bundesbank a estimé qu’un arrêt soudain des importations d’énergie en provenance de Russie entraînerait une contraction de 2 % en glissement annuel du PIB allemand cette année, tout en ajoutant 1,6 point de pourcentage supplémentaire au taux d’inflation consolidé, qui est déjà le plus élevé depuis des décennies.

Cette projection a été jugée alarmiste, mais elle est en fait trop optimiste. La Buba a envisagé un rationnement de l’énergie qui réduirait de 40 % l’approvisionnement en gaz des utilisateurs industriels. Mais pour de nombreuses installations industrielles, en particulier dans les secteurs de la métallurgie et de la chimie, une réduction de 40 % de l’approvisionnement en gaz suffirait à forcer une fermeture totale ; vous ne pouvez pas continuer à faire fonctionner une fonderie avec 40 % de gaz en moins. Et fermer une fonderie tout en la maintenant en état de reprendre ses activités est un processus extrêmement complexe et coûteux.

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En bref, le rationnement pour faire face à un arrêt soudain des importations de gaz russe entraînerait des fermetures industrielles généralisées, de nouvelles perturbations de la chaîne d’approvisionnement, la réduction des dépenses d’investissement et la menace de licenciements massifs – ce qui, à son tour, ébranlerait gravement la confiance des consommateurs dans des économies déjà fragiles.

Faibles marges pour la BCE

Avec une inflation de 7,4 % en glissement annuel, la capacité de la Banque centrale européenne à soulager la douleur serait limitée ; les responsables de la BCE ont répété à plusieurs reprises que c’était à la politique budgétaire de faire le gros du travail. Mais les équilibres budgétaires ont été mis à mal par deux années de Covid et le poids croissant des subventions énergétiques. Dans une grande partie de l’Europe, les finances publiques ne sont guère en mesure de financer une nouvelle série de mesures d’aide, telles que les régimes de chômage partiel ou les congés pour les travailleurs industriels désœuvrés. Si les gouvernements s’y essayaient, il en résulterait une forte hausse des rendements et un nouvel élargissement des spreads, en particulier compte tenu de la réduction des achats d’actifs de la BCE.

Cette détérioration des finances publiques et la hausse des coûts de financement qui en résulterait rendraient les secteurs public et privé moins aptes à financer les investissements nécessaires à la transition vers l’énergie russe. Par conséquent, si le flux de gaz russe devait s’arrêter, les capitales du sud de l’Europe ne tarderaient pas à demander que le coût de l’expansion budgétaire nécessaire soit supporté par le bilan de l’UE elle-même, plutôt que par les États membres. En bref, l’UE serait confrontée à un nouvel élan en faveur de l’émission de nouvelles dettes mutuelles, probablement à durée indéterminée, pour financer l’augmentation des dépenses budgétaires. C’est exactement ce que l’Allemagne a passé des années à essayer d’éviter. Il faut donc s’attendre à ce que Berlin fasse tout ce qu’elle peut pour que le gaz russe continue à circuler à court terme, y compris en traînant les pieds pour les livraisons d’armes à l’Ukraine et en payant son gaz en roubles, si c’est ce que Moscou exige.

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