La diplomatie du Second Empire, un modèle à suivre ?

20 avril 2025

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Photo : La bataille de Magenta par Gerolamo Induno. Musée de l'Armée

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La diplomatie du Second Empire, un modèle à suivre ?

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Isolée avec le congrès de Vienne (1815), la France cherche à revenir au centre du concert des nations. C’est toute l’action diplomatique de Napoléon III, qui a œuvré pour redresser la diplomatie française, avant de chavirer au Mexique et à Sedan.

« Je n’ai jamais fait de conquête qu’en me défendant. L’Europe n’a jamais cessé de combattre la France à cause de ses principes. J’étais forcé d’abattre sous peine d’être abattu » écrivait Napoléon Ier à Sainte-Hélène. Après des années de succès, l’Empire finit par être abattu à la suite de la défaite de Waterloo. Quelques jours plus tôt, cette même année 1815, le Congrès de Vienne définit un nouvel ordre international européen fondé sur un retour des monarchies. L’Autriche, la Prusse et la Russie gagnent des possessions territoriales et le Royaume-Uni améliore ses appuis maritimes. La France, grande perdante de la dernière guerre, est traitée comme un pays vaincu et subit un enfermement diplomatique avant d’être peu à peu réhabilitée à partir de 1818. Plus que la France, c’est le régime napoléonien qui a été vaincu et dont les puissances d’Europe ont cherché à se débarrasser. Le retour d’un Bonaparte au pouvoir en France en 1848, d’abord en tant que Président de la République, puis en tant qu’Empereur des Français, aurait eu toutes les raisons d’inquiéter l’Europe et de conduire à nouveau à un enfermement diplomatique français. En arrivant au pouvoir dans une période d’instabilité intérieure plus grande que celle qu’a connue son oncle, Louis-Napoléon ne souhaite pas devoir agir comme Napoléon Ier sur la scène européenne. Au contraire, comme il le dira publiquement en 1852 à Bordeaux, il veut la paix, nécessaire pour moderniser et réformer la France.

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Il réussit d’ailleurs en quelques années à remettre la France au centre de la scène internationale et à ne pas subir des guerres incessantes et non désirées qui auraient renversé le régime rapidement. Alors, doit-on prendre la diplomatie du Second Empire pour modèle ?  Nous porterons notre regard sur la première partie de l’Empire (1852-1860), un peu délaissée aujourd’hui, période durant laquelle Napoléon III s’est montré remarquable, où la France a su mettre en œuvre un réseau d’alliances locales judicieusement choisies et où les opérations militaires qui ont été menées ont été précisément voulues et employées comme arme diplomatique. Certes, la deuxième partie de l’Empire est plus terne, mais elle ne remet pas en cause l’excellente diplomatie française du début d’Empire.

Napoléon III : sagesse, compétences et entourage

Louis-Napoléon Bonaparte prend le pouvoir en France en 1848, à la suite de son élection à la présidence de la République française. Ne pouvant briguer qu’un seul mandat, et convaincu du soutien populaire, il réalise un coup d’État le 2 décembre 1851. Après un plébiscite, il devient officiellement Empereur des Français un an plus tard. De 1848 à 1860, sa politique connait plusieurs succès, aussi bien à l’intérieur que dans le domaine diplomatique. Napoléon III a une connaissance parfaite de bon nombre de pays d’Europe. En effet, avant 1848, il passe une partie de sa vie en exil. Dès 1815, à seulement 7 ans, il vit en exil en Suisse, à Arenberg[1]. Après quelques années, il s’installe à Rome où il s’investit politiquement, en participant notamment à l’insurrection de 1831[2]. En 1846, après s’être échappé du fort de Ham, il rejoint l’Angleterre pour deux ans, où il développe des relations qui lui seront utiles une fois au pouvoir. Ces longs séjours à l’étranger lui donnent une connaissance des pays frontaliers, des mœurs, de la langue (ce qui sera remarqué tout au long de sa vie). Il parle couramment l’anglais et l’allemand, maîtrise aussi l’Italien. En exil, il ne pense qu’à rentrer en France, et comprend les motivations des pays où ils résident. Une fois au pouvoir, il comprendra ainsi les penchants et les aspirations des pays frontaliers.

Contrairement à son oncle qui a connu une ascension politique sans entrave, Louis-Napoléon connaît une carrière beaucoup plus chaotique. Il souhaite d’abord installer sur le trône de France Napoléon II, lors des instabilités politiques de 1830, sans aucun succès ni beaucoup de crédit accordé[3]. Il est ensuite auteur de plusieurs conspirations pour s’emparer du pouvoir. Toutes ont pour but de soulever l’armée en lui rappelant le souvenir de l’Empereur, et de profiter de l’instabilité politique pour asseoir à nouveau l’Empire, qui serait ensuite validé par plébiscite. À Strasbourg en 1836, son plan ne fonctionne pas. Louis-Napoléon est d’abord emprisonné, puis envoyé en Amérique par Louis-Philippe À Boulogne en 1840, profitant du retour des Cendres, sa tentative est à nouveau un échec et il est condamné à perpétuité au fort du Ham dont il s’échappera six ans plus tard. Ses tentatives de coup d’État sont mal conçues, impulsives et impatientes. Durant ces six années d’enfermement, il gagne en maturité et en sagesse et affine son projet politique pour la France. Il y écrit l’Extinction du paupérisme[4], qui lui servira de boussole pour sa politique économique et sociale en France. Ses échecs de jeunesse, ses années en prison ou en exil l’ont assagi. En 1848, il est prudent, méthodique, calme, modéré et visionnaire. Cette sagesse impériale s’associe à des compétences, de vastes connaissances et une ambition pour la France : connaissance, sagesse, vision : trois caractéristiques d’un bon chef politique.

Qualité de l’entourage

Une raison du succès de Napoléon III réside sans doute aussi dans la qualité de son entourage et la durée d’exercice des postes. Les ministres tiennent leurs portefeuilles car ils ont une compétence établie dans leur domaine, et le gardent pour une durée longue. Citons quelques exemples : Edouard Drouyn de Lhuys est ministre des Affaires étrangères de 1848 à 1849 avant de démissionner pour un différend sur la question romaine, il devient ensuite ambassadeur à Londres avant de redevenir ministre des Affaires étrangères de 1852 à 1855 et de 1862 à 1866. Le compte Walewski, fils de Napoléon Ier et de Marie Waleswska, ambassadeur de France au Royaume-Uni de 1851 à 1855, prend la suite de Drouyn de Lhuys aux Affaires étrangères de 1855 à 1860. Si on ne se penche que sur le ministère des Affaires étrangères, deux hommes ont occupé le poste pendant 12 des 18 années de l’Empire. Avant le déclin de la politique étrangère impériale, cela fait 12 années sur 14. Dans le domaine de la défense, Jean-Baptiste Vaillant, ancien officier, est ministre de la Guerre de 1854 à 1859, et succède au général Leroy de Saint Arnaud, ministre de la Guerre de 1851 à 1854. Trois ministres de la guerre seulement se succèdent entre 1851 et 1867.

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Après Vienne, la France isolée

Fort de ses qualités et de son entourage, Napoléon III met en place un schéma diplomatique pour la France. Avant de le détailler, il convient d’abord d’analyser dans quel contexte s’inscrit l’action de l’Empereur.

Le Congrès de Vienne visait à instaurer un équilibre des puissances en Europe. Par ce congrès, on ne prend pas en compte le principe d’autodétermination des peuples, mais on procède à une découpe assez arbitraire des États dans les territoires perdus par Napoléon. Ainsi, la Pologne revient en grande partie à la Russie, l’Autriche gagne des possessions italiennes et la Prusse s’étend également. De plus, la Quadruple Alliance qui réunit la Grande-Bretagne, la Russie, la Prusse et l’Autriche est créée. Elle est destinée à tuer dans l’œuf toute politique belliciste de la France. Parallèlement à cela, la Sainte-Alliance regroupe la Russie, la Prusse et l’Autriche. Contrairement à la Quadruple Alliance, cette alliance repose davantage sur la sauvegarde des institutions intérieures[5]. Metternich, brillant diplomate à la manœuvre dans le Congrès de Vienne, pose ainsi les bases du Concert européen, qui tiendra jusqu’au milieu des années 1850. Selon lui, un facteur de paix en Europe réside dans la création d’une Europe centrale forte, qui empêcherait les velléités conquérantes de la France ou de la Russie, du fait de leur position en Europe. C’est pourquoi, la Prusse et l’Autriche gagnent considérablement en puissance et en territoire après la chute napoléonienne.[6] Durant plus de trois décennies, l’ordre établi tiendra, puisque Metternich assurera d’une main de maître la diplomatie en Europe.

C’est dans ce contexte-là que Napoléon III prend les rênes de la France. Son projet est clair : il l’annonce en 1852 à Bordeaux : « L’Empire c’est la paix […] Nous avons d’immenses territoires incultes à défricher, des routes à ouvrir, des ports à creuser, des rivières à rendre navigables, des canaux à terminer, notre réseau de chemin de fer à compléter »[7]. Il désire moderniser la France et améliorer les conditions de vie du peuple. Seule la paix peut lui donner la liberté d’agir à l’intérieur du pays. La paix certes, mais pas la soumission. Il ne rejette pas la guerre « qui ne se fait pas par plaisir, mais pas nécessité », c’est-à-dire uniquement pour défendre la Patrie ou obtenir des avancées diplomatiques conséquentes. Ses principes sont clairs : il défend entre autres le principe d’autodétermination c’est-à-dire la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ainsi, Napoléon III s’apprête à conduire la France avec une vision (un cap à long terme pour la France), quelques principes (une boussole pour décider avec cohérence) et un sens aigu de l’intérêt national, dépassant ses intérêts personnels.

Le décloisonnement des alliances européennes : un schéma diplomatique appliqué à la guerre de Crimée

Pour être certain d’avoir la paix, Napoléon III doit rendre la France forte et lui redonner une place sur la scène internationale. Il comprend qu’il doit décloisonner les relations internationales en Europe, puis en affaiblir le centre, sans quoi la France n’aurait aucune marge de manœuvre. Il doit donc dans un premier temps briser la Sainte-Alliance et la Quadruple-Alliance. Pour cela, il identifie des tensions existant depuis des années, à savoir les rivalités russo-autrichiennes dans les Balkans et anglo-russes sur les Dardanelles. C’est la rivalité anglo-russe dont il va choisir de se servir.

En 1852, Napoléon III convainc le sultan de lui accorder le titre de protecteur chrétien de l’Empire ottoman (qui était d’habitude destiné au tsar). Le tsar réclame alors le même statut, que le sultan lui refuse[8]. Depuis Louis XV, un accord entre la France et la Porte Ottomane établissait que les religieux catholiques garderaient la jouissance de tous les lieux de pèlerinage entre Jérusalem et Bethléem. Mais depuis plusieurs années, les moines grecs orthodoxes prennent le contrôle de ces lieux[9]. Napoléon III juge que cette situation est intolérable, d’autant plus que le tsar soutient religieusement, puis politiquement, les chrétiens orthodoxes. La crise s’envenime, les Russes souhaitent se servir du prétexte des orthodoxes à défendre pour affaiblir l’Empire ottoman, et récupérer les Dardanelles et le Bosphore, ce qui déplaît à l’Angleterre. La tension monte, les Russes en juillet 1853 envahissent la Valachie et la Moldavie[10], certains que la Prusse et l’Autriche ne s’y opposeraient pas frontalement. Forte du soutien français et anglais, les Ottomans déclarent la guerre à la Russie et l’alliance franco-britannique s’enfonce dans la guerre, en précisant en avril 1854 « ne rechercher aucun avantage particulier dans le conflit »[11]. L’Autriche ne prend pas parti dans le conflit Elle est consciente des relations entre la France et le royaume de Piémont Sardaigne et craint une attaque sur ses possessions autrichiennes en Italie. Elle lorgne de plus sur les territoires de Valachie, ce qui la pousse à être neutre.

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Napoléon III tient son conflit qui détruira les anciennes alliances. Il doit maintenant soigner ses alliances pour tirer du conflit des bénéfices conséquents.

Soigner les alliances

En Angleterre, la situation politique à l’hiver 1854-1855 est tendue. La reine Victoria souhaite changer de Premier ministre. Napoléon III, qui a déjà invité le Prince Albert en France en 1854, suggère à la reine de placer Lord Palmerston au poste de Premier ministre. Cet homme a entretenu de bonnes relations avec Louis-Napoléon Bonaparte, lors de ses exils en Angleterre. Avec Lord Palmerston, Premier ministre, Napoléon III dispose d’un homme qui ne lui est pas hostile à la tête du gouvernement anglais. Cela va lui faciliter ses relations avec la Couronne. Lord Palmerston convainc notamment la reine Victoria d’inviter à Windsor l’Empereur et l’Impératrice en avril 1855. Un Bonaparte en visite officielle à Londres, Napoléon III prouve au monde que les alliances du Congrès de Vienne ont bien volé en éclat.

Napoléon III souhaite mettre fin au conflit, en sortir victorieux et organiser la paix. Ici, la victoire militaire ne peut pas annihiler l’armée adverse et soumettre l’État, puisque le conflit s’enlise et que les armées qui s’affrontent s’équilibrent. Pour soumettre l’ennemi, il faut certes des victoires – qui lui infligent des pertes militaires et territoriales pouvant engranger une dynamique favorable – mais il faut également que les puissances internationales poussent à la paix, en pressant sur un camp ou sur l’autre. Pour les Russes, comme pour la France, le réel risque à moyen terme est d’être perçu comme une puissance dangereuse pour les autres pays d’Europe. Puisqu’un équilibre semble s’établir entre la France, l’Angleterre et les Russes, Napoléon III sait que c’est l’Autriche ou la Prusse, initialement neutres, qui finiront par forcer le tsar à cesser le conflit.  En effet, la mort du tsar Nicolas Ier le 2 mars 1855, et la chute de Sébastopol en septembre 1855 ne mettent pas directement fin au conflit. Ce sont les pressions de l’Autriche et de la Prusse vis-à-vis de la Russie qui font accepter à Alexandre II de cesser la guerre[12]. Napoléon III a gagné, la Quadruple Alliance et la Sainte-Alliance ont explosé. Napoléon III, fort de sa participation massive dans le conflit, de son succès à Sébastopol et de son excellente relation avec la reine Victoria, souhaite organiser les discussions pour la paix. C’est à Paris que le Congrès se tient. Quel succès diplomatique. Par ce congrès, la France affirme sa puissance diplomatique et militaire à l’Europe. De plus, elle se montre comme un partenaire fréquentable, un allié de choix. Ainsi, la France redevient une nation à craindre, et une nation avec laquelle on peut construire un projet.

Pour résumer, le schéma appliqué par l’Empereur peut être exposé comme suit : la France doit regagner en puissance. Les Quadruple et Sainte-Alliances l’en empêchent. Un point de tension existe entre les pays membres, sur la question orientale. Napoléon III y fait pression avec un allié puissant : les Anglais. Le conflit armé est inévitable. Par des victoires militaires et des pressions diplomatiques, le conflit cesse favorablement. La paix est rétablie par un congrès organisé en France.

La péninsule italienne : deuxième acte de la diplomatie napoléonienne

C’est pendant ce conflit contre la Russie que Napoléon III pose les bases de l’affaiblissement de l’Autriche. Conscient que la fin du conflit va mener à une dégradation de l’alliance russo-autrichienne, Napoléon III obtient du Piémont l’envoi de 15 000 hommes en Crimée le 10 janvier 1855. Victor-Emmanuel y voit un moyen de porter son projet d’unification italienne devant les grandes puissances d’Europe. La cause italienne sera le moyen de Napoléon III pour affaiblir le centre de l’Europe, l’Autriche en premier lieu, qu’il considère trop puissante.

Napoléon III tente d’appliquer le même schéma diplomatique que pour la question russe quelques années auparavant. Son problème réside dans la puissance autrichienne. Le point de tension se situe entre l’Autriche et le Piémont-Sardaigne. Il applique donc une pression forte sur ce point en renforçant sa relation avec Victor-Emmanuel II et Cavour. C’est à ce titre que Cavour et l’Empereur se rencontrent en secret à Plombières-les-Bains en juillet 1858. Napoléon III promet une aide militaire à l’Italie dans sa lutte contre l’Autriche pour récupérer les provinces du nord de l’Italie. Il prévoit la création d’une confédération à quatre États, où la Haute-Italie reviendrait à Victor-Emmanuel. En échange, après plébiscites, la France récupérerait la Savoie et Nice, et le Prince Napoléon, cousin de Napoléon III, serait marié à la fille de Victor-Emmanuel, afin de renforcer le partenariat entre les nations dans la durée. Au cours de l’année 1859, les provocations de Cavour vis-à-vis de l’Autriche attisent les tensions entre l’Autriche et la France. Lorsque l’Autriche impose un ultimatum au Royaume de Piémont Sardaigne, qui impose la démobilisation de l’armée de Victor Emmanuel sous peine d’être attaqué, la guerre éclate. L’Autriche envahit les provinces du nord de l’Italie. Napoléon III peut donc appliquer l’accord de défense prévu depuis de longs mois. Sans attaque autrichienne sur le Piémont, Napoléon III n’aurait jamais pu légitimer auprès des autres nations européennes une action française. Après avoir contribué à faire monter le niveau de tension, il prend la tête de l’armée française. La guerre est marquée par des victoires françaises, Magenta et Solférino les 4 et 24 juin 1859. Cependant, les succès français finissent par inquiéter les Anglais et les Prussiens. On risque une potentielle invasion prussienne. Cette fois-ci, les États initialement neutres poussent Napoléon III à mettre fin au conflit, qui rentre victorieux en France au mois d’août 1859[13]. Les objectifs franco-sardes n’ont pas complètement été atteints, et Napoléon III ne parvient pas à organiser un nouveau congrès. Il supervise simplement la rédaction des traités. Néanmoins, l’Autriche est bel et bien affaiblie par la situation, et la France renforcée.

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Ainsi, Napoléon III, en douze années d’exercice du pouvoir, est parvenu à son objectif. Les solides alliances mises en place par Metternich sont oubliées. L’Autriche est affaiblie. La France est de nouveau au premier plan des nations européennes. Un objectif clair, quelques principes directeurs, et un schéma d’action méthodique.

Une fin d’Empire plus ombragée

Toutefois, le système diplomatique de Napoléon III connait aussi quelques ratés et échecs. En effet, après 1860, on constate que le mécanisme se grippe et que la position fra

nçaise en Europe stagne, puis s’affaiblit. Napoléon III, en défendant le principe des nations, a indirectement contribué à l’unification de l’Allemagne. En défendant le principe d’autodétermination des peuples, difficile pour Napoléon III d’agir à l’encontre du mouvement allemand mis en œuvre par Bismarck. De plus, Napoléon III s’écarte un peu de sa méthode, qui avait porté des fruits durant la première partie de l’Empire. La campagne au Mexique paraît par exemple incohérente, ou en tout cas s’inscrire dans un cadre secondaire. Le problème initial est minime, puisqu’elle concerne un non-paiement de dettes des Mexicains à plusieurs pays européens[14]. Les États-Unis s’inscrivant dans un projet politique expansionniste, Napoléon III voit la présence française sur le continent comme un contrepoids à la puissance américaine grandissante et pense que cela pourra préserver les colonies françaises aux Antilles. Il y envoie donc une force militaire, avec l’idée de créer un Empire catholique au Mexique, en coalition avec les Anglais et les Espagnols, qui ne partagent pas les mêmes motivations que la France. Quand ces derniers s’en rendent compte, ils quittent le Mexique, laissant la France seule dans son opération, devenue de plus en plus compliquée, à des milliers de kilomètres de la métropole. Quand une coalition se forme avec des intérêts qui ne convergent pas, elle conduit au mieux à une division, au pire à la ruine. La situation finit par dégénérer, et l’Empire s’effondre. L’exécution de Maximilien Ier, frère cadet de l’Empereur d’Autriche ayant été placé par Napoléon III à la tête du Mexique, refroidit les relations entre la France et l’Autriche. Cet épisode, qui dure de 1861 à 1867 affaiblit la France sur la scène internationale, amoindrit la crédibilité de Napoléon III et réduit la capacité militaire française.

Les conséquences sont bien réelles, puisque Napoléon III n’a pas la possibilité d’intervenir au profit de l’Autriche en 1866 dans le conflit qui l’oppose à la Prusse, dont la position en Europe devient dangereuse et prépondérante. Napoléon III, conscient que la France ne joue pas son rôle, tente de participer aux négociations, mais sans résultat positif. La déclaration de guerre en 1870, pour un motif léger et sur une pression des députés, de la presse et de l’opinion publique, procède d’une volonté d’assurer le retour de la France sur la scène européenne. Sur la scène de la politique intérieure, les Républicains sont bellicistes et désireux de retrouver les frontières françaises de la Révolution. Etant de plus en plus nombreux, et remportant des succès lors des législatives, Napoléon III doit de plus en plus composer avec cette opposition résolue et tournée vers la guerre. Sur la scène de la politique européenne, nombreux sont les pays qui finissent par se méfier et s’éloigner de Napoléon III et reprochent sa « politique des pourboires ». En effet, en 1866, l’Autriche donne la Vénétie à la France qui la rétribue à l’Italie (ce qui agace Victor-Emmanuel II qui considère que la France ne devrait pas servir d’intermédiaire)[15]. Au même moment, son insistance pour obtenir de la Prusse la rive gauche du Rhin, la Belgique[16] et le Luxembourg est tournée en ridicule par Bismarck et attise la réserve et la méfiance de l’Europe.

Dans la deuxième partie de l’Empire, l’entourage de Napoléon III change régulièrement. Il perd ses meilleurs conseillers, dont une grande partie décède, ne gardant que ceux qui sont peu rompus aux affaires de l’État ou de moins bons conseils. Le duc de Morny, demi-frère de Napoléon et conseiller depuis toujours meurt en 1865, Le compte Walewski en 1868, Drouyn de Lhuys quitte la vie politique en 1866. À quoi s’ajoute la maladie de l’Empereur, qui l’affaiblit considérablement et qui altère son jugement et sa lucidité.

La diplomatie du Second Empire peut se résumer en ces quelques principes : une bonne perception des enjeux de la France, un projet à long terme, une fine connaissance de la situation diplomatique générale, l’identification d’un point de tension et l’application d’une pression forte sur ce dernier avec l’appui de l’allié adéquat, un recours à la guerre, puis la résolution du conflit par un congrès ou des traités. Une grande stratégie qui, en dépit de la défaite finale de 1870, a permis à Napoléon III de réparer les conséquences funestes de la politique de son oncle et de remettre la France au centre de l’Europe.

[1] https://www.napoleon.org/jeunes-historiens/napodoc/la-vie-de-napoleon-iii-a-partir-de-6-ans/

[2] https://storiaefuturo.eu/napoleon-iii-et-lunification-italienne/

[3] CASTELOT André, Napoléon III Des Prisons Au Pouvoir, Librairie Académique Perrin, 1974.

[4] BONAPARTE Louis-Napoléon, Extinction du paupérisme, 1844.

[5] KISSINGER Henry, Diplomatie, Fayard, 1996, traduit de l’anglais par Marie-France de Paloméra, p. 67-89.

[6] ibid

[7] Discours de Louis-Napoléon Bonaparte à Bordeaux en 1852 :   https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53018934q.item

[8] KISSINGER Henry, Diplomatie, op. cité, p. 91-122.

[9] CASTELOT André, Napoléon III l’Aube Des Temps Modernes, Librairie Académique Perrin, 1974, pages 133-168.

[10] KISSINGER Henry, Diplomatie, opus cité, pages 91-122.

[11] CASTELOT André, Napoléon III l’Aube Des Temps Modernes, op. cité p. 133-168.

[12] CASTELOT André, Napoléon III l’Aube Des Temps Modernes, op. cité p. 169-257.

[13] CASTELOT André, Napoléon III l’Aube Des Temps Modernes, op. cit. p. 343-394.

[14] https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/guerre-du-mexique-1-1862-1867-les-raisons/

[15] CASTELOT André, Napoléon III l’Aube Des Temps Modernes, op. cité p. 645-674

[16] https://www.napoleon.org/enseignants/documents/chronologie-napoleon-iii-et-son-epoque-a-consulter-et-telecharger/

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À propos de l’auteur
Louis Le Roux

Louis Le Roux

Officier de l'Armée de Terre

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