<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La FIADS, escadrille de start-up lancée dans la course à l’IA sécurité-défense

12 mars 2025

Temps de lecture : 7 minutes

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La FIADS, escadrille de start-up lancée dans la course à l’IA sécurité-défense

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La France veut devenir le leader européen de l’IA militaire. Pour cela a été créé l’Agence ministérielle de l’IA de défense (Amiad). À quoi s’ajoute la partie privée de l’écosystème français avec la FIADS (France IA pour la défense et la sécurité), véritable escadrille de start-up françaises, parties à la conquête de l’IA. 

Début 2024, le président Emmanuel Macron a exprimé l’ambition que la France devienne le leader européen de l’IA militaire et figure parmi les trois premiers à l’échelle mondiale. Cette vision est-elle réaliste et, au-delà des récentes mesures gouvernementales comme la création de la jeune Agence ministérielle de l’IA de défense (Amiad), la partie privée de l’écosystème français peut-elle relever ce défi ? C’est désormais chose faite avec la naissance en juin 2024 de la FIADS (France IA pour la défense et la sécurité), véritable escadrille de start-up françaises, parties à la conquête de l’IA. Il y a urgence.

Par Jean-Baptiste Fantun, CEO NukkAI, président FIADS

Article paru dans le no56 – Trump renverse la table

L’innovation française en matière de défense repose traditionnellement sur les grands groupes industriels : Thales, Safran, etc. ; acteurs rodés au développement de grands programmes d’armement pilotés par la Direction générale de l’armement (DGA). Problème : dans le domaine spécifique de l’IA, les cycles de développement n’ont rien à voir avec ceux d’un char d’assaut ou d’un avion de chasse. Sur le théâtre ukrainien, on a observé qu’il se passait environ deux semaines pour que les tactiques développées par les uns, notamment dans le domaine des drones, trouvent une contre-mesure dans le camp d’en face.

Quelle place en France pour les start-up dans l’innovation en IA de défense ?

En matière d’IA, le modèle classique de la DGA qui lance un programme, la BITD (Base industrielle et technologique de défense) qui s’organise pour répondre au marché en embarquant, le cas échéant, une armée de sous-traitants, ne fonctionne pas : les avanies du programme Artemis n’en sont qu’un exemple parmi d’autres. Il est donc urgent de changer de paradigme et de s’appuyer en matière d’innovation en IA de défense sur des acteurs agiles, susceptibles d’attirer les meilleurs talents, à la pointe scientifiquement et capables de très vite tester des prototypes : les start-up. Or, dans le domaine spécifique de l’IA de défense, l’écosystème français n’a pas encore accouché de start-up crédibles : les aventures d’acteurs de l’IA uniquement tournés vers la défense ont presque toutes tourné court, le marché français étant trop étroit (contrairement aux États-Unis où la colossale commande publique a fait émerger des géants type Palantir) et difficile d’accès.

Forte de ce constat, une équipe de start-up de l’IA, pour la plupart duales (le marché défense et sécurité n’est pas leur unique cible), s’est créée pour répondre au défi lancé par le président de la République. La FIADS est née en juin 2024, regroupant des start-up à succès comme Kayrros, Nuk­kAI, LTU, Impact et une vingtaine d’autres, mais aussi des cabinets de conseil spécialisés comme Mind2Shake ou Alveum dont la mission sera d’identifier les besoins urgents de nos forces.

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L’idée est de vite créer des prototypes, en associant les talents d’un sous-groupe d’acteurs issus de la FIADS. En cas de succès, il s’agira d’aller ensuite éventuellement vers les mastodontes de la BITD pour industrialiser le prototype et l’intégrer au système de défense. Car la FIADS a l’évidente vocation d’étroitement collaborer avec tous les acteurs de l’écosystème et d’abord la toute récente Amiad (Agence ministérielle IA défense), mais aussi tous les organismes concernés par l’innovation en IA : DGA, AID, institutions académiques, etc.

Enfin, la FIADS a une forte ambition internationale, car il existe plusieurs pays amis où, en matière de défense, l’expérimentation et son financement sont beaucoup plus rapides qu’en France : Singapour, Émirats arabes unis, Croatie, etc. La nomination récente d’un ambassadeur de la FIADS a Abu Dhabi témoigne de cette volonté d’avancer au plus vite sur cette piste.

Quels premiers cas d’usage pour la FIADS ?

Le théâtre ukrainien a révélé un retard certain des forces françaises dans le domaine des drones. Il y a urgence à développer des tactiques innovantes afin d’intégrer ces nouveaux vecteurs à haut potentiel à notre arsenal militaire. Aujourd’hui, les drones sont encore opérés par des humains, mais le temps est proche où des IA pourront coordonner des essaims de drones, démultipliant les possibilités d’agression et de captation d’informations. La FIADS travaille activement au développement d’une intelligence de coordination de drones multi-milieux (terrestres, marins, aériens) utilisés en appui de nos forces.

Sur un plan géopolitique-stratégique, la FIADS a participé récemment aux dernières assises nationales de la recherche stratégique du CNAM, lors desquelles fut présentée une carte des grands corridors économiques et commerciaux de l’Eurasie. Ces couloirs structureront les échanges Est-Ouest des prochaines années et dessineront le système veineux du commerce de demain, licite et illicite. Comment utiliser tous ces éléments pour aider les analystes à mieux anticiper ces menaces émergentes ? Voilà un défi de plus pour la FIADS qui souhaite développer des outils d’aide à la décision dans le domaine de la stratégie. Comment le relever ?

De l’IA générative à l’IA des agents, quelles conséquences pour la FIADS ?

Depuis la sortie à grand bruit de la première version de ChatGPT, pas un jour sans que nous entendions parler de l’IA générative capable, à partir d’un corpus énorme de documents, de produire des contenus de divers types : écrits, voix, images, vidéos, etc. Les résultats produits sont impressionnants, entraînant une adoption exponentielle inédite à l’échelle de la planète.

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Les futuristes les plus exaltés ont profité de l’émergence de cette nouvelle technologie pour annoncer l’arrivée imminente de « l’IA générale », pouvant dominer l’homme dans presque tous les domaines, car non spécialisée et sachant s’adapter à de nouveaux domaines et situations. Certes des esprits chagrins ont bien signalé certains problèmes rencontrés par les IA génératives :

  • Hallucinations : ces IA semblent parfois fournir des sorties totalement absurdes que nul ne s’explique, ce qui proscrit leur utilisation dans certains cas d’usage liés à des domaines dits critiques (santé, défense).
  • Consommation excessive : l’entraînement de modèles d’IA générative exige des ressources considérables. Des start-up ont ainsi dû dépenser des centaines de millions d’euros en quelques mois pour mettre au point leur modèle de LLM (Large Language Model). Ce n’est pas tenable sur le long terme, surtout si on envisage une adoption par la quasi-totalité des humains.
  • Propriété intellectuelle : les IA génératives créent du contenu à partir de milliards de documents parcourus, en mépris total de tout respect de la propriété intellectuelle, ouvrant des possibilités infinies de contentieux.

Cependant, la véritable limitation de l’IA générative tient au fait qu’elle fournit du contexte, syn­thétise des informations, propose des créations, etc., mais qu’à aucun moment elle ne propose d’action. Essayons d’utiliser l’IA générative pour planifier des opérations un peu complexes comme celles d’une compagnie aérienne, elle en sera bien incapable ; elle n’a pas été créée pour cela. Ces derniers mois, le battage médiatique autour de l’IA générative a suscité des attentes et s’approche l’heure des déceptions : Aleph Alpha, l’OpenAI allemand promettant de développer un LLM européen et ayant levé des centaines de millions sur des valorisations dépassant le milliard, vient d’annoncer qu’il abandonnait la course. Et il y en aura d’autres.

Tout analyste ou consultant trouve très utile un outil synthétisant pour lui des millions de documents. Mais dans la plupart des domaines, le vrai besoin est une aide à la décision, à l’action : bienvenue dans la nouvelle ère des agents, entités qui justement agissent de façon autonome ou semi-autonome, interagissent avec des humains ou d’autres agents, et passent d’un domaine à un autre connexe, sans trop de difficultés, sans besoin de réentraînement depuis le début.

Ces agents pourront coopérer pour résoudre des problèmes fort complexes en combinant des intelligences diverses puisque fondées sur des paradigmes d’IA parfois très différents. Ils apprendront à interagir au mieux avec l’humain en lui apportant les bonnes explications et en s’adaptant au profil de ce dernier pour que le couple homme-machine fonctionne au mieux.

Un des premiers agents à avoir remporté un succès mondial est Nook, développé par la start-up française NukkAI qui a battu, en mars 2022, huit champions du monde de bridge, jeu réputé jusqu’alors inaccessible à la machine. Nook est un agent au sens où il coordonne plusieurs modules d’IA reposant sur divers paradigmes, ce qui lui permet d’être à la fois :

  • performant : son score sur un nombre important de parties jouées est sans appel,
  • explicable : Nook est capable d’expliquer pourquoi il a pris telle ou telle décision,
  • frugal en ressources informatiques : 200 000 fois moins qu’AlphaGo, le robot développé par Google DeepMind jouant au go.

Du fait de son caractère explicable, Nook peut fonctionner en tandem avec un humain et ses compétences sont transférables à bien d’autres secteurs en dehors du bridge : après ce succès, NukkAI a créé des agents dans les domaines des transports, de la logistique, de la défense, etc.

Étant donné les moyens pharaoniques nécessaires à l’entraînement des LLM, leur développement devait rester l’apanage des grands acteurs, très souvent américains à quelques exceptions près comme Mistral en France. C’est tout le contraire pour l’IA des agents, car le nombre de paradigmes divers d’IA exclut potentiellement qu’un seul acteur monolithique, fût-il gigantesque, puisse développer tout seul des approches d’IA aussi diverses. Il y a fort à parier que nous soyons à l’aube d’un phénomène de regroupement d’acteurs spécialisés sur un ou deux domaines de l’IA.

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C’est une très bonne nouvelle pour la France dont le problème n’est pas le manque ou la variété de talents, mais la difficulté du passage à l’échelle. L’excellence académique française en IA est reconnue au niveau mondial ; c’est d’ailleurs la raison de l’installation à Paris de plusieurs géants américains comme Google, Meta ou plus récemment OpenAI. En revanche, pour des raisons d’insuffisance de financement et de taille de marché, l’écosystème français avait jusqu’ici peiné à faire émerger des acteurs capables de rivaliser avec la concurrence américaine ou chinoise.

Enfin, l’avènement de l’IA des agents valide le modèle coopératif de la FIADS puisque celui-ci permet à des acteurs français de l’IA de construire ensemble des agents IA compétitifs au niveau mondial dans le domaine de la défense et de la sécurité.

Conclusion

Depuis septembre 2024, les grands acteurs mondiaux de l’IA annoncent des initiatives dans le domaine de l’IA des agents, annonçant une course à une surenchère médiatique qui nuira à la compréhension d’un phénomène pourtant bien réel : l’émergence d’une IA pour l’action au potentiel incroyable. Cette IA de nouvelle génération, multiparadigme, se construira très certainement dans la collaboration entre acteurs de l’IA qui développent des agents reposant sur des approches très diverses. Dans ce contexte, la montée en puissance de la FIADS fédérant les pépites françaises de l’IA applicable au domaine de la défense et de la sécurité permet de nourrir les ambitions les plus hautes dans ce secteur clé pour la souveraineté nationale.

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