Comment la Chine perçoit-elle la guerre commerciale menée par les Etats-Unis. Alex Wang analyse les discours entendus dans les médias chinois et la position officielle du parti communiste sur la guerre des tarifs.
Alex Wang revient d’un mois de séjour à Pékin. Pour Conflits, il évoque ce qu’il a pu voir dans les médias chinois, la façon dont la guerre commerciale est présentée et comment la Chine se prépare à cet affrontement.
Le monde entier a assisté à une guerre commerciale déclenchée par l’administration Trump contre la Chine et le reste du monde. Les droits de douane, utilisés comme projectiles, volent dans tous les sens. Trump, convaincu que des hausses tarifaires extravagantes – jusqu’à 245 % – pourraient mettre la Chine à genoux, attendait un appel de reddition de Pékin. Mais la Chine a riposté sans tarder, imposant ses propres tarifs à hauteur de 125 %, surprenant Trump, qui semble avoir mal compris la détermination chinoise.
Après un mois passé en Chine, une impression s’est imposée à moi avec force : la Chine est prête à aller jusqu’au bout face aux États-Unis et à évoluer dans un monde sans eux.
Une prise de conscience plus aiguë
Pour les décideurs chinois, cette guerre commerciale a provoqué une prise de conscience plus aiguë. Ils réalisent que les États-Unis cherchent à briser l’ordre mondial établi par l’OMC, abandonnant le principe de la nation la plus favorisée pour maximiser leur avantage au détriment des autres, notamment des petits pays.
La Chine voit de plus en plus clair que les États-Unis ne permettront jamais son émergence en tant que première puissance économique mondiale. La croyance américaine en leur « destin manifeste » reste intacte. Désormais, en Chine, il n’y a plus d’illusions sur une Amérique bienveillante ou coopérative. La Chine ne cherche pas la guerre, mais elle ne la craint pas. Elle se prépare à tous les types de conflits, en commençant par celui du commerce.
Vers un découplage total ?
Dans les médias, à la télévision, sur les réseaux sociaux, dans les conversations quotidiennes, on perçoit, au-delà de toute propagande, une mobilisation générale comme à la veille d’une guerre. La Chine a pris la décision d’envisager un découplage complet avec les États-Unis, avec le soutien massif de sa population.
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Le discours de Mao[1] prononcé pendant la guerre de Corée a été rediffusé, rappelant que la Chine est prête à supporter une guerre longue et difficile. Après 5 000 ans d’histoire, dont la majeure partie sans les États-Unis, le peuple chinois est convaincu qu’il pourra continuer à prospérer sans eux pour encore 5 000 ans. [2]
C’est un pari qui engage l’avenir du pays et son projet de réémergence. Mais la Chine en a-t-elle réellement les moyens ?
La capacité de résilience chinoise
Les décideurs chinois ont fait leurs calculs. Oui, la Chine souffrira d’un découplage, mais elle estime pouvoir absorber le choc.
Échanges commerciaux
Entre janvier et novembre 2024, le commerce bilatéral Chine–États-Unis a dépassé 530 milliards de dollars, avec plus de 400 milliards d’exportations chinoises. [3] La perte de ce marché représenterait environ 3 % du PIB chinois. [4] Ce manque pourrait être partiellement compensé par la diversification vers d’autres marchés que la Chine a déjà commencé à mettre en place depuis plusieurs années.
Importations :
Beaucoup de produits américains achetés par la Chine sont déjà sous sanctions, comme les semi-conducteurs, les machines-outils et les équipements médicaux. La Chine poursuit activement et avec succès une politique d’autosuffisance (Made in China 2025)[5], notamment dans les semi-conducteurs. Pour le soja et d’autres produits agricoles, elle se tourne désormais vers le Brésil, l’Australie et la Russie. En matière énergétique, la Russie, l’Arabie Saoudite et l’Iran deviennent des partenaires stratégiques.
Industrie :
La fin des exportations vers les États-Unis entraînera des fermetures d’usines et nécessitera une redirection des productions vers d’autres marchés. Ce sera douloureux, mais absorbable grâce au soutien national massif.
Défense du commerce libre
Trump tentera probablement de baisser les droits de douane pour d’autres pays, espérant les inciter à isoler la Chine. La Chine parie cependant que la majorité de ses partenaires – notamment les BRICS, l’ASEAN et, dans une certaine mesure, l’Union européenne – continueront à défendre le commerce mondial ouvert. L’isolement reste une menace, mais la Chine travaille activement à l’éviter.
La suite : entre fermeté et pragmatisme
Forte de ses atouts, la Chine affiche une attitude claire :
Si les États-Unis veulent négocier, la porte est ouverte.
S’ils veulent poursuivre la guerre commerciale, la Chine est prête à tenir aussi longtemps que nécessaire, jusqu’à la victoire.
Ce positionnement marque une rupture avec l’attitude plus conciliante du premier mandat de Trump.
Face aux conséquences sur les marchés boursiers, les dettes et les portefeuilles des Américains, Trump va probablement revoir sa stratégie. Les signes de recul se multiplient : exemptions tarifaires pour certains produits électroniques, suspensions temporaires pour d’autres pays (sauf la Chine). Bien que l’administration envisage désormais de ramener les tarifs à 50–60 %, la Chine reste ferme : il faudra revenir à la situation antérieure au 2 avril pour envisager de vraies négociations – qui iront au-delà du seul commerce.
[1] Cf. l’extrait du discours de Mao : Nous n’allons pas décider tout de suite, nous allons laisser décider nos ennemis. Nous faisons la guerre aussi longtemps qu’ils voudraient, jusqu’à la victoire totale.
[2] Cf. l’extrait de l’interview de Victor Gao par BBC.
[3] Les Etats-Unis et la Chine en guerre commerciale, AFP, 04/02/2025
[4] Cf. Alex Wang, 60% des droits de douane mettraient ils la Chine à genou ? Revue Conflits, 28 novembre 2024
[5] Cf. Alex Wang, « 2025 Made in China » a atteint la plupart de ses objectifs, Revue Conflits, 28 décembre 2024