Considérée comme un îlot de stabilité parmi les juntes ouest-africaines, la Guinée bascule. En mai 2025, la révocation du permis d’Axis Minerals en offre un dernier exemple, sur fond de dérive autoritaire.
Depuis trois ans, la Guinée se présente comme l’exception raisonnable parmi les régimes militaires d’Afrique de l’Ouest. Contrairement au Burkina Faso, au Mali et au Niger, membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) ayant rompu avec la CEDEAO et les partenaires occidentaux, la junte guinéenne a longtemps cultivé une image de stabilité, de dialogue international et de volonté réformatrice. Pourtant, une série de signaux alarmants suggère que cette exception guinéenne n’est plus qu’une façade, et que le pays emprunte la même voie autoritaire et économiquement prédatrice que ses voisins sahéliens.
Dérives institutionnelles
Sur le plan politique, la Guinée semble s’engager dans une trajectoire institutionnelle comparable à celle observée dans d’autres pays de la région. Comme au Mali ou au Niger, un verrouillage progressif du pouvoir s’installe, couplé à une reprise en main des médias et de l’espace public. Plusieurs organisations de la société civile ont exprimé leurs préoccupations concernant l’espace civique, notamment en lien avec la situation d’activistes comme Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, dont la disparition en juillet 2024 soulève des interrogations.
C’est sur le plan économique, et plus particulièrement dans le secteur stratégique des mines, que les signaux d’alerte sont les plus clairs — et les plus inquiétants pour les investisseurs. Sous couvert « d’assainissement » et de « bonne gouvernance », la junte guinéenne a révoqué plusieurs centaines de permis miniers depuis mai 2025. Si l’objectif affiché est de réorganiser le secteur, la réalité observée sur le terrain rappelle plutôt les méthodes coercitives déjà vues dans d’autres pays dirigés par des juntes militaires.
Au Mali, le gouvernement a procédé l’an dernier à l’arrestation de dirigeants du secteur minier afin de faire pression sur Resolute Mining et Barrick, dans le cadre de leurs différends avec l’État liés à la révision du code minier. Il a également nationalisé plusieurs mines d’or. Parallèlement, le Niger a exproprié le groupe français Orano, spécialisé dans l’uranium, et nationalisé sa filiale Somaïr en juin 2025. Barrick et Orano ont tous deux engagé des procédures d’arbitrage, qui devraient durer plusieurs années et pourraient s’avérer coûteuses pour les États sahéliens.
Le cas d’Axis Minerals
Le cas d’Axis Minerals est lui aussi emblématique. Présente en Guinée, première réserve mondiale de la bauxite, depuis 2013, l’entreprise est aujourd’hui la deuxième source de minerais du pays, avec plus de 18 millions de tonnes produites en 2024 et près de 40 millions de tonnes exportées entre 2023 et mi-mai 2025. Malgré cet ancrage industriel et son rôle crucial dans l’approvisionnement international en bauxite — matière première essentielle à la production d’aluminium — Axis Minerals s’est vue retirer son permis d’exploitation le 14 mai 2025, par simple décret présidentiel, lu à la télévision nationale sans justification, sans préavis et en dehors de toute procédure contradictoire. Des sources proches du dossier affirment que la révocation est motivée politiquement et résulte d’une collusion impliquant certains responsables — probablement à l’insu du président.
Bien que l’exercice de retrait des permis miniers touche principalement des entreprises guinéennes, plusieurs sociétés internationales ont également été visées. Il s’agit notamment d’Arrow Minerals (bauxite), du projet de graphite de Lola porté par Falcon Energy Materials, ainsi que deux permis d’exploration détenus par Predictive Discovery, qui développe l’une des plus grandes nouvelles mines d’or en Afrique de l’Ouest.
Fausse attractivité, vrai isolationnisme
Ce mode opératoire, digne d’une opération de communication, s’inscrit dans une logique d’intimidation et d’arbitraire. Il envoie un message limpide aux investisseurs : les règles du jeu peuvent être changées du jour au lendemain, sans dialogue, sans garantie, sans respect des engagements contractuels. Les méthodes coercitives employées au Niger, avec l’expulsion d’Orano, ou au Mali, où des dirigeants d’entreprises étrangères ont été pris pour cibles, semblaient jusqu’alors un cas d’école à ne pas suivre. La Guinée semble pourtant s’en inspirer.
Cette approche met en lumière le fossé grandissant entre le discours « investor friendly » du régime et la réalité brutale vécue par les opérateurs économiques. Derrière une façade diplomatique encore polie, c’est bien une logique de prédation économique qui semble s’installer au ministère des Mines et de la Géologie. Les ressources minières sont re-nationalisées, les investisseurs de longue date écartés, et des fonctionnaires peu scrupuleux en profitent pour prendre la mainmise sur les leviers stratégiques du pays.
Or, dans un monde dans lequel la sécurisation des chaînes d’approvisionnement devient un enjeu vital, la fiabilité d’un État ne se mesure pas à ses déclarations, mais à sa capacité à respecter le droit, à garantir la stabilité des contrats et à traiter ses partenaires avec équité. En sacrifiant ces principes, la Guinée risque de connaître le même isolement que ses voisins de l’AES, où la fuite des investisseurs compromet la capacité des États à mobiliser les financements nécessaires pour lutter contre le terrorisme. Cette désaffection des investisseurs pèse ainsi lourdement sur la stabilité régionale.
Une junte avec des gants de velours et une main de fer
La prudence s’impose face à un régime qui, derrière des gants de velours diplomatiques, commence à user de la main de fer caractéristique des juntes du Sahel. La bauxite guinéenne est abondante, mais les investisseurs, eux, sont mobiles. Si la Guinée persiste dans cette logique d’appropriation autoritaire, elle risque de se couper durablement des capitaux, de la technologie et des marchés dont elle a besoin pour valoriser ses ressources. Comme dans les autres pays de l’AES, le court-termisme militaire pourrait bien se traduire par un effondrement économique et une longue période d’incertitude.