La destinée manifeste est l’un des principes majeurs de l’expansionnisme américain. Formulé et développé par plusieurs théoriciens et hommes politiques, il permet de comprendre l’Amérique d’aujourd’hui.
Le 20 janvier 2025, Donald J. Trump, 47e Président des États-Unis d’Amérique, mentionne dans son allocution le concept de « Destinée Manifeste » (Manifest Destiny) : « L’Amérique sera à nouveau comme une nation en pleine croissance, qui accroît ses richesses, étend son territoire, construit ses villes, élève ses attentes et porte son drapeau vers de nouveaux et beaux territoires. Nous poursuivrons notre destinée manifeste jusqu’aux étoiles en plaçant des astronautes américains pour planter la bannière étoilée sur la planète Mars ».
Le 4 mars 2025, devant le Congrès américain, Donald Trump déclare : « Ce sera notre plus grande ère. Avec l’aide de Dieu, nous emmènerons cette nation encore plus loin. Nous allons créer la civilisation la plus libre, la plus avancée, le plus dominante de l’Histoire ». Des mots forts : ère, Dieu, civilisation, destinée domination et, au passage, un clin d’œil à Elon Musk à propos de Mars. En fait, en remontant aux « pères fondateurs », Donald Trump décide que la « civilisation » américaine », incarnée par ses valeurs politiques, économiques et sociales, a une mission divine et historique d’extension et de domination et développe un certain messianisme où les États-Unis deviennent les sauveurs du Monde.
La « Destinée Manifeste » (Manifest Destiny).
On peut faire remonter l’origine du concept aux Puritains qui se sont installés aux États-Unis au XVIIe siècle et qui se considéraient comme les élus de Dieu avec une mission une mission providentielle : ils devaient construire un pays exemplaire, non seulement en tant que modèle de démocratie, mais aussi comme diffuseur de valeurs, d’une culture, d’une économie et d’un système politique « supérieurs ». À la supériorité religieuse, s’ajoute, avec la Révolution, le sentiment que les institutions américaines incarnent au plus haut point les idées de liberté et de respect des droits.
En 1961, le président John F. Kennedy (1917-1963) a cité une phrase du sermon de 1630 du puritain John Winthrop, premier gouverneur du Massachusetts, dans lequel il faisait référence à « une ville sur une colline », faisant référence à la colonie de la baie du Massachusetts dans l’Amérique coloniale. En 1980, le président Ronald Reagan (1911-2004) a utilisé la même phrase dans ses discours de campagne. « John Winthrop rappela à ses compagnons qu’ils devaient rester fidèles à leur Dieu, que les yeux du monde entier étaient braqués sur eux » et mentionna également « la ville étincelante sur la colline ».
L’expression « Manifest Destiny » (littéralement « Destinée Manifeste ») a été employée pour la première fois par le journaliste John O’Sullivan en 1845 dans un article publié dans United States Magazine and Democratic Review. Cette idée est née dans un contexte d’expansion territoriale, au moment où les États-Unis étaient en pleine croissance et cherchaient à coloniser de nouveaux territoires, coast to coast. La Destinée Manifeste fait référence à l’idée selon laquelle c’est le droit, voire le destin des Américains, à étendre leur territoire à l’ensemble de l’Amérique du Nord et on voit déjà, à cette époque un intérêt pour la prise de contrôle de l’ensemble du territoire de l’Amérique du Nord britannique, notamment le Canada.
Le Président William McKinley (1843-1901), en fonction de 1897 à 1901, est l’un des derniers présidents à avoir supervisé une politique active d’acquisition territoriale, qui a vu les États-Unis prendre le contrôle d’Hawaï, des Philippines, de Guam et de Porto Rico.
La Destinée Manifeste a façonné les politiques expansionnistes des États-Unis et justifié, au nom du progrès et de la civilisation, des pratiques coloniales et impérialistes qui ont eu des répercussions durables sur les peuples et cultures autochtones.
La mission civilisatrice américaine
L’idée d’une mission civilisatrice appelée à être diffusée dans le monde est donc inclue dans le concept de Destinée Manifeste et participe du messianisme américain. La mission civilisatrice américaine a été défendue et théorisée par plusieurs penseurs, politiciens et intellectuels au cours de l’histoire des États-Unis, dont voici quelques exemples.
John L. O’Sullivan (1813-1895)
C’est le 1er « utilisateur » de la formule Destinée Manifeste. Il justifiait l’expansion territoriale en affirmant que les États-Unis étaient destinés à apporter des idéaux de liberté, de démocratie et de progrès, et que cela devait se faire au détriment des autres peuples jugés moins civilisés. O’Sullivan croyait que l’expansion était non seulement inévitable, mais également moralement justifiée.
Ralph Waldo Emerson (1803-1882)
Ralph Waldo Emerson, philosophe et poète transcendentaliste, a soutenu l’idée que les États-Unis étaient un modèle de liberté et de potentiel humain. Dans ses écrits, notamment dans son discours « The American Scholar » (1837), Emerson exprimait la conviction que les États-Unis avaient une mission intellectuelle, spirituelle et civilisatrice à accomplir, porteuse de valeurs uniques de liberté et d’individualisme.
Theodore Roosevelt (1858-1919).
Le 26e président des États-Unis est le 1er à avoir vraiment développé l’idée du nationalisme expansionniste et de la mission civilisatrice à l’échelle internationale en insistant sur l’extension de l’influence américaine à travers le monde. Il a notamment défendu la Doctrine Monroe et a proclamé en 1904 le « Corollaire Roosevelt ».
Alfred Thayer Mahan (1840-1914)
Alfred Thayer Mahan, amiral de la marine américaine et théoricien militaire, a contribué à l’idéologie de la mission civilisatrice par ses théories sur le pouvoir maritime et l’impérialisme avec, en particulier, son livre « The Influence of Sea Power upon History » (1890) qui soutenait que le contrôle des mers était essentiel à la prospérité d’une nation et à son influence mondiale et ses idées ont eu un impact majeur sur la politique impérialiste des États-Unis à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, en justifiant la nécessité pour les États-Unis d’étendre leur présence à travers le monde, en particulier dans le domaine maritime.
Josiah Strong (1847-1916)
Josiah Strong était un pasteur et théoricien du social darwinisme, qui, dans son livre Our country : its possible Future and its Present crisis (1885), a la particularité d’avoir développé le concept de mission civilisatrice chrétienne en diffusant les idéaux du christianisme, de la démocratie et du capitalisme, tout en exerçant une domination sur des peuples qu’il considérait comme « inférieurs » ou non civilisés par rapport aux Anglo-saxons. Strong explique que c’est le devoir des Anglo-saxons de répandre sur la planète les bienfaits de la démocratie, du protestantisme et de la libre-entreprise.
William H. Seward (1801-1872)
William Henry Seward, secrétaire d’État sous les Présidents Abraham Lincoln (1809-1865) et Andrew Johnson (1808-1875) est surtout connu pour avoir négocié l’achat de l’Alaska à la Russie en 1867, considérant cet achat comme un moyen pour les États-Unis de s’étendre sur un territoire riche en ressources naturelles (déjà !!) et de renforcer leur influence sur la scène mondiale. Seward croyait fermement que l’Amérique devait étendre son influence et son pouvoir à l’échelle mondiale, souvent, là encore, dans le but de diffuser les principes démocratiques et commerciaux des États-Unis.
Woodrow Wilson (1856-1924)
Le 28e président des États-Unis, un idéaliste de la mission civilisatrice américaine, notamment au travers de ses Quatorze points (1918), un programme du traité de paix proposé par le président des États-Unis, Woodrow Wilson pour mettre fin à la Première Guerre mondiale et reconstruire l’Europe et dans lequel il proposait un monde basé sur l’autodétermination des peuples, la démocratie et la paix, autant de valeurs ancrées dans l’histoire américaine.
Son interventionnisme, bien que motivé par des idéaux démocratiques, a souvent été perçu comme une forme de « mission civilisatrice » dans laquelle les États-Unis se présentaient comme les protecteurs et les promoteurs d’un ordre international libéral.
Ronald Reagan (1911-2004)
Dans un de ces discours, le 40e Président des États-Unis, dit « L’un de nos Pères fondateurs, Thomas Paine, disait : « Il est de notre pouvoir de recommencer le monde. Nous pouvons le faire, en faisant ensemble ce qu’aucune Église ne pourrait faire à elle seule ». L’Amérique, guide spirituel du monde. La célèbre déclaration de Reagan selon laquelle le « gouvernement n’est pas la solution à nos problèmes, le gouvernement est le problème » est devenu le slogan des conservateurs de même que celui du Tea Party et ce concept de peu de gouvernements se retrouve dans le libertarianisme. Donald Trump, va s’inspirer de Ronald Reagan en faisant de Make America Great Again son slogan de campagne en 2016 et 2024. Au congrès, on parle de républicains MAGA.
La mission civilisatrice américaine est-elle un mythe ?
Les États-Unis se sont toujours efforcés de restituer au monde des préceptes moraux et religieux, un « bonheur » longtemps dérobé aux hommes par la privation de libertés fondamentales, exacerbation des libertés qu’on retrouve également dans le libertarianisme. Avec le bouleversement drastique de la gouvernance américaine actuelle, il est difficile, et trop tôt, pour répondre à ces questions. Néanmoins, il y a plusieurs constantes à prendre en compte. Peut-on parler de « civilisation américaine » ? Il y a un facteur temps à prendre en compte. Une civilisation se bâtit sur le long terme. Or, la Georgie, dernière des 13 premières colonies est fondée en 1732, la déclaration d’indépendance date de 1776, la constitution est rédigée en 1787 et donc les États-Unis existent en tant que tels depuis 2 siècles et demi. C’est un pays jeune. Est-ce suffisant pour parler de civilisation ? En revanche, la tradition et la religion jouent encore aujourd’hui un grand rôle dans l’identité nationale américaine. Les Américains ont et ont toujours eu une haute idée d’eux-mêmes, de leurs Présidents, de leurs institutions, de leur Constitution, de leur pouvoir, de leur culture et de leur mission divine. Au XXe siècle et au-delà, l’idée de la mission civilisatrice a évolué, mais elle reste présente dans certaines justifications de l’intervention américaine à l’échelle internationale, que ce soit en Europe, en Asie, ou au Moyen-Orient. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se sont souvent perçus comme les leaders du monde libre, défendant la démocratie et les droits de l’homme dans des contextes géopolitiques, tels que la Guerre froide et les conflits en Irak ou en Afghanistan, essayant de transposer les valeurs politiques et humaines dans ces pays (nation building), avec les effets que l’on connaît. Aujourd’hui, bien que Donald Trump aime à citer les valeurs véhiculées par des Présidents comme Andrew Jackson (1767-1845), William McKinley ou récemment James K.Polk** (dont le tableau a fait son entrée dans le bureau ovale), il semble que la gouvernance américaine a ajouté (privilégié ?) à ces valeurs traditionnelles d’une mission civilisatrice, le mercantilisme et la technologie, le deal making soutenus par l’hubris présidentielle. L’idéologie de « destinée manifeste » est un élément constitutif de la culture américaine. Elle a une influence sur la politique nationale du pays, sur sa politique étrangère et sur le monde. Civilisation, destinée, culture, valeurs morales, on a vu que, souvent, dans les grandes occasions, les États-Unis ont été considérés comme indispensables, voire parfois montrées en exemple. Aujourd’hui, est-ce toujours le cas ? Le changement copernicien de la gouvernance américaine qui est en train de se manifester peut permettre d’en douter. Bien que ce ne soit pas vraiment américain, wait and see !!
Le corollaire Roosevelt
Le corollaire Roosevelt est une interprétation expansionniste de la doctrine de Monroe (1823). Théodore Roosevelt, dans son discours prononcé au Congrès le 6 décembre 1904 dans un discours prononcé le 6 décembre 1904 au début de la troisième session du 58e Congrès des États-Unis, a déclaré que les États-Unis se devaient d’exercer « un pouvoir de police international ».
Ce corollaire est lié à la doctrine du Big Stick permet de justifier les volontés d’expansion américaine vers les Philippines, Panama et Cuba, et de confirmer la place de l’Amérique latine dans la sphère d’influence des États-Unis.
James K.Polk (1795-1849)
James K. Polk, 11e Président des États-Unis, en fonction de 1845 à 1849, est souvent considéré comme le président qui a le plus étendu le territoire américain. Sous son mandat, les États-Unis ont annexé le Texas, acquis l’Oregon et conquis une grande partie du Sud-ouest américain suite à la guerre américano-mexicaine (1846-1848). Après ce conflit, le Mexique a cédé la Californie, l’Arizona, le Nevada, l’Utah, le Nouveau-Mexique et une partie du Colorado et du Wyoming, contre une compensation de 15 millions de dollars.
Ce programme expansionniste s’inscrivait dans l’idéologie de « destinée manifeste » et de la mission expansionniste des États-Unis. L’intérêt de Donald Trump pour James Polk n’est pas anodin et cohérent avec son idée d’élargir le territoire américain avec l’annexion du Canada, l’acquisition du Groenland et la reprise du contrôle du canal de Panama.
Pour aller plus loin.
Guétin Nicole, États-Unis : l’imposture messianique ?, L’harmattan 2009.
Stephanson Anders, Manifest Destiny. American expansion and the Empire of Right, Ed.Hill and Wang Inc. 1996.
Menell Stephen « L’histoire, le caractère national et la civilisation américaine » https://shs.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2010-2-page-143?lang=fr