<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La Mongolie en marge de l’Indopacifique

19 avril 2023

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Désert de Gobi en Mongolie. Pixabay

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La Mongolie en marge de l’Indopacifique

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Le concept d’espace indopacifique conduit souvent à cantonner les imaginaires et les analyses aux questions maritimes. Les États continentaux ont éprouvé des difficultés à s’y projeter. La Mongolie en constitue un parfait exemple. Isolées au cœur du continent eurasiatique, enclavées entre la Chine et la Russie, les autorités mongoles ont initialement exprimé des doutes quant à l’intérêt et à la finalité de ce concept. Ces doutes résultent des difficultés inhérentes à la position mongole. L’attitude des autorités à l’égard de l’organisation de coopération de Shanghai en offre un autre exemple éclairant. Elle interroge in fine l’évolution de la stratégie de sécurité de la Mongolie et le rapport du pays à ses voisins géographiques ou politiques. 

La stratégie de sécurité de la Mongolie s’articule depuis 1990 autour de la gestion de son enclavement géographique entre la Chine et la Russie. Celui-ci se traduit par une dépendance économique à l’égard de ses voisins : la Mongolie exporte ses productions principalement en Chine tout en étant dépendante de la Russie pour ses importations d’hydrocarbures. 

La Mongolie dans l’espace indopacifique

À l’occasion de la révolution démocratique de l’hiver 1989/1990, les autorités mongoles ont bâti une nouvelle stratégie de sécurité qui repose sur la préservation de bonnes relations avec leurs voisins géographiques. Cela s’est traduit par la signature d’accord de partenariat stratégique complet avec leurs deux voisins. Elle s’appuie aussi sur une volonté de diversification des partenariats, grâce au développement de relations privilégiées avec des « troisièmes voisins », un concept politique qui regroupe des pays démocratiques et développés susceptibles de contribuer à protéger l’indépendance et la souveraineté mongole. C’est par exemple le cas de la France, de l’Union européenne, du Japon, des États-Unis, ou encore de l’Inde. Les relations avec ces trois derniers États sont encadrées par des accords de partenariats stratégiques. 

Cette recherche d’équilibre se retrouve également dans le domaine militaire. La Mongolie n’a pas de contentieux avec ses voisins et s’attache à ne pas être perçue comme une menace. Cela se traduit par un statut, reconnu par les Nations unies, de zone exempte d’armes nucléaires et par l’interdiction d’héberger des troupes étrangères sur le sol mongol, inscrite dans la Constitution. La coopération militaire du pays est d’ailleurs diversifiée. Un accord avec la Russie permet d’entretenir et d’entraîner les forces conventionnelles quand des coopérations avec les troisièmes voisins permettent de développer des capacités dans des secteurs de niches, par exemple les opérations de maintien de la paix ou le cyber. 

L’émergence du concept d’Indopacifique au milieu des années 2010 a mis mal à l’aise les autorités mongoles. Ces dernières déploraient initialement un concept à vocation maritime, qui marginalisait indirectement un État continental comme la Mongolie. Le pays n’est mentionné qu’une fois dans la stratégie américaine, et à aucun moment dans la stratégie française ou la stratégie européenne de 2021. L’ancien président Battulga (2017-2021) avait ainsi présenté ce concept comme un artefact avancé par les États-Unis pour s’opposer à la montée en puissance de la Chine1. Le développement des relations avec les États-Unis, notamment au moment de la conclusion d’un accord de partenariat stratégique en 2019, a finalement conduit les autorités mongoles à endosser le concept d’espace indopacifique et à souligner l’importance de la préservation de la stabilité et du respect du droit international2. La Mongolie cherche aujourd’hui à cantonner ce concept à ses seules relations avec ses troisièmes voisins, en particulier avec le Japon et les États-Unis. Les autorités mettent pour cela en avant leur positionnement géographique singulier et la proximité de leur modèle politique et leur attachement à la démocratie et le respect de l’état de droit. 

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La Mongolie et ses voisins, le souhait d’un nouveau trilatéralisme

L’émergence de ce concept a accompagné une évolution plus globale de l’environnement stratégique de la Mongolie. Elle est marquée par la détérioration des relations entre ses voisins géographiques et ses troisièmes voisins, notable depuis l’annexion de la Crimée en 2014 qui ne cesse de s’accentuer depuis avec la guerre en Ukraine. 

Confrontées au dynamisme croissant des relations sino-russes, les autorités mongoles ont cherché à s’inscrire dans ce rapprochement pour en tirer un profit économique. Cette ambition s’est traduite par l’institutionnalisation progressive d’un format de dialogue trilatéral entre les trois pays, initié pour la première fois au printemps 2014. Il se matérialise par l’organisation d’une rencontre entre les chefs d’État russe, mongol et chinois qui se tient généralement en marge du sommet annuel de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). 

La Mongolie entend s’affirmer comme un espace de transit. En juin 2016, ces derniers ont signé un accord pour la création d’un corridor économique. Il repose sur le développement de 32 projets qui incluent des infrastructures de transport, routières et ferroviaires, numériques ou encore énergétiques. Malgré l’ambition de ce projet, les réalisations concrètes restent pour le moment très minces. Lors du sommet trilatéral de 2019, le président Battulga a déploré le peu d’efforts consentis jusqu’alors pour matérialiser ce corridor économique3. Cette frustration suscite de la suspicion. La mise en œuvre de ces projets pourrait être utilisée comme un levier pour amener la Mongolie à renforcer encore davantage son intégration politique et économique régionale.

La Mongolie face à l’organisation de coopération de Shanghai

Depuis 2004, la Mongolie dispose du statut d’observateur au sein de l’OCS. La position mongole à l’égard de l’organisation a toujours été marquée par une grande méfiance. Les autorités considèrent que l’OCS constitue essentiellement un regroupement d’États à vocation politique et militaire, opposé à l’OTAN, sorte de « club des pays autoritaires ». La méfiance de la Mongolie a été renforcée par le fait que les objectifs initiaux de l’organisation en matière de coopération sécuritaire, à savoir la lutte contre le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme, ne concernent pas réellement le pays. 

Malgré des appels répétés de la Russie et de la Chine à ce que la Mongolie devienne membre à part entière de cette organisation, la position des autorités est restée constante, soulignant que le statut d’observateur répondait jusqu’alors à leurs attentes. Le président Battulga avait pourtant appelé au printemps 2018 à une évolution du statut de la Mongolie dans l’organisation afin de faciliter l’intégration régionale de l’économie mongole. Cette prise de position s’explique par le fait que la Mongolie s’est trouvée exclue des projets d’infrastructures de connectivité développées dans le cadre de l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie qui privilégie pour le moment des voies transitant par l’Asie centrale. 

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Après un vif débat, les autorités mongoles ont fait le choix de maintenir leur engagement au sein de l’OCS au niveau de leur seul statut d’observateur4 . Plusieurs éléments l’expliquent. Le développement de réelles actions de coopération économique au sein de l’organisation tarde à se concrétiser. Une adhésion présenterait le risque de se traduire par un alignement de la Mongolie sur les positions de ses deux voisins géographiques. La stratégie de développement adoptée en 2015 prévoit que les membres de l’organisation se soutiennent mutuellement, notamment lorsque leurs intérêts vitaux sont concernés, et s’abstiennent de soutenir toute action perçue comme hostile par l’un des membres. Cette disposition s’inscrirait dans le cadre d’un rapport du fort au faible et pourrait être instrumentalisée pour faire pression sur la Mongolie, qu’il s’agisse des prises de position publiques, du vote au sein des organisations internationales, ou encore des visites d’autorités étrangères en Mongolie.

Les difficultés éprouvées par les autorités mongoles à l’égard du concept d’Indopacifique et à l’égard de l’OCS témoignent des limites et des contradictions propres à la stratégie mongole. Les autorités mongoles cherchent à préserver, autant que cela soit possible, une position de neutralité dans les conflits qui opposent leurs différents voisins. Elles mettent en avant auprès de leurs partenaires occidentaux leur attachement à la démocratie et à l’État de droit tout en refusant de condamner les agissements de leurs voisins. Elles sont ainsi tiraillées entre l’originalité de leur modèle politique, leur volonté de développement économique et leur attachement à la préservation d’une indépendance et d’une souveraineté fragiles.

1 Kh. Battugla, discours du 22 mai 2018.  

2 Département d’État des États-Unis, « Declaration on the Strategic Partnership between the United States of America and Mongolia », communiqué de presse, 31 juillet 2019.

3 Kh. Battugla, discours du 9 juin 2018.

4 Montsame, 2 juin 2021. 

À propos de l’auteur
Antoine Maire

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