Nichée, presque oubliée, dans un fond de vallée près de la forêt mayennaise, l’abbaye Notre-Dame de Clairmont est un témoignage émouvant de neuf siècles d’histoire cistercienne.
L’association Arcade y tenait : la restauration d’une abbaye fait partie du devoir patrimonial lorsqu’on est Français. Car le patrimoine religieux est « à l’image du patrimoine national », selon Amaury Gomart, président de la jeune association. Les volontaires y travaillent en lien avec les bénévoles de l’Association des Amis de Clairmont et voient en le sauvetage de cet édifice un projet de bien commun.
Un passé tumultueux
L’abbaye Notre-Dame de Clairmont est fondée en 1152 par Guy IV, seigneur de Laval. Implorant le ciel de lui accorder la guérison de son frère gravement malade, le baron est désireux d’installer des moines dans son fief du Maine. Il profite ainsi du passage d’un homme alors extrêmement populaire, qui attire les foules : Bernard de Clairvaux, venu prêcher la deuxième croisade. Guy IV lui demande de fonder une abbaye, et offre à la jeune communauté un terrain boisé. Témoin exceptionnel de l’architecture cistercienne du XIIe siècle, l’abbaye de Clairmont devient ainsi la 63e des 66 filles de Clairvaux. Longtemps, elle demeure la nécropole des barons de Laval.
L’abbaye acquiert rapidement ses lettres de noblesse, à tel point qu’en 1204, ses occupants fondent à une trentaine de kilomètres seulement l’abbaye de Fontaine-Daniel. Encore au seuil de sa vie, l’institution est déjà révérée par les Mayennais. Au XIIIe siècle, elle accueille entre 30 et 40 moines, et jusqu’à 60 convers, un record. Mais cette époque glorieuse est de courte durée, puisque dès les débuts du XVe siècle, la règle cistercienne se relâche. Les abbés se font construire des hôtels particuliers à Laval, et seigneurs et personnalités lavallois se font inhumer dans le chœur de l’église, ce qui était auparavant proscrit par l’ordre de Saint Bernard de Clairvaux. Ainsi de Béatrice de Bretagne, de son fils Guy XII ou encore de Jeanne de Laval. À l’aube du XVIe siècle, les occupants de Notre-Dame de Clairmont ne sont plus qu’une vingtaine. C’est alors qu’est inauguré un système extrêmement libéral qui ternira la réputation de l’abbaye : la commende. Désormais, l’élection de l’abbé n’est plus exercée par les religieux seuls, mais l’abbé est nommé par les moines, et également des laïcs. Il doit acheter sa charge auprès du trésor royal. Ainsi, le monastère se transforme en une exploitation pour les abbés commendataires.
Maison de Clermont. 7, rue de la Trinité à Laval (Mayenne).
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Son déclin s’accroît. Les moines protestent farouchement contre la commende, et vénèrent leur dernier abbé élu, Yves Tronson, mort en 1506. Ils lui font bâtir un tombeau de pierres blanches sur lequel il est représenté, vêtu d’une bure. Vers 1557, c’est même Pierre Lescot, architecte du Louvre, qui se voit nommé abbé commendataire de Clairmont. Mais il semble qu’il n’y ait jamais mis les pieds. Ainsi laissés à l’abandon par les élites, les religieux désertent peu à peu le monastère. Au début du XVIIe siècle, les bâtiments sont agrandis par les frères Langlois, architectes mayennais.
C’est la Révolution française qui signe définitivement la fin de l’œuvre. Le prieur et les quatre religieux restants sont évacués en 1790, et l’abbaye est vendue comme bien national. Elle est transformée en exploitation agricole par les nouveaux propriétaires. Le bâtiment des convers devient une étable, l’église une grande à foin. Le reste, mal entretenu, tombe en ruines. Les boiseries et ornements, ainsi que la rampe de l’escalier, sont vendus à des antiquaires de Laval. C’est finalement juste après la Seconde Guerre mondiale que Notre-Dame de Clairmont renaît de ses cendres, après des décennies de négligence. En 1936, une jeune Bretonne, Suzanne Denis, tombe littéralement sous le charme de l’abbaye, en l’apercevant de la fenêtre du train qui la ramène à Paris depuis Brest. Elle en parle à l’une de ses amies parisiennes, Hélène Blanchot, et toutes deux se mettent alors en tête de sauver l’édifice des ravages du temps, coûte que coûte. Après de longues et difficiles négociations, la vente de Notre-Dame de Clairmont est finalement actée en 1954. Des travaux de restauration sont entrepris et les murs ancestraux reprennent peu à peu de leur couleur. Les « demoiselles », comme on les appelle alors, sont enterrées à Clairmont.
Sévérité et noblesse
Implantée au milieu des bois, sur un point haut du lit du Vicouin, Notre-Dame de Clairmont est entourée de trois étangs dotés de leur moulin à haut, qui témoignent de l’activité piscicole que pratiquaient autrefois les moines.
Aujourd’hui, le monastère a conservé une grande partie de ses bâtiments d’origine. L’église abbatiale est tout à fait typique des édifices religieux du XIIe siècle : romane, elle est en forme de croix latine. L’originalité réside dans la grandeur du bâtiment. Longue de plus de soixante mètres et large de dix-huit mètres, elle est pourvue de six chapelles isolées, disposées parallèlement au chœur, comme de nombreuses églises cisterciennes. Bernard de Clairvaux réprouvait absolument le luxe et la recherche artistique typique des bénédictins, d’où cette extrême simplicité des décors et cette blancheur sobre des parois et des colonnes.
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Outre l’église, le bâtiment des moines tente lui aussi de tenir debout. Reconstruit par les religieux au XVIIIe siècle, il ne peut plus évoquer le quotidien des moines contemporains du fondateur de l’ordre. Les appartements du prieur sont luxueux, les cellules plus spacieuses et moins sévères. De même, le bâtiment des convers conserve encore un peu de ses vieilles pierres. C’est là que les volontaires de l’association Arcade travaillent prioritairement. On y trouve un cellier, un réfectoire, ainsi qu’un dortoir à l’étage. Les communs sont totalement en ruines.
Le sauvetage promet d’être long et fastidieux, mais la récompense sera grande lorsque l’abbaye aura retrouvé de sa noblesse.
