<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’accord commercial Union européenne-Mercosur, révélateur de fractures contemporaines

10 novembre 2022

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L’accord commercial Union européenne-Mercosur, révélateur de fractures contemporaines

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Un partenariat de grande ampleur

La multiplication des accords de libre-échange conclus entre l’Union européenne et d’autres régions du monde au cours des dernières décennies a suscité bien des réticences dans l’Union. Ces dernières sont d’ordre économique (certains secteurs s’estimant exposés au vent de la mondialisation dérégulée), social (les normes dans le domaine étant très variable en fonction des nations) et écologique. Les partenariats entre Bruxelles et l’Amérique latine ne sont pas une nouveauté. En 2000 est entré en vigueur un accord avec le Mexique, cinq ans avant que ne soit pleinement appliquée une disposition du même type avec le Chili. Dans les années 2010, l’UE a négocié une collaboration de cette nature avec le Pérou, la Colombie et l’Équateur. Plus complexes ont été les pourparlers entre l’espace communautaire et le Mercosur[1]. Il a en effet fallu près de deux décennies pour parvenir à un accord de principe le 28 juin 2019, alors que les discussions ont débuté en 2000 – même s’il est vrai qu’elles ont été suspendues de 2004 à 2013. Avec plus de 710 millions de consommateurs potentiels (dont plus de 260 millions pour les pays membres du Mercosur), il s’agit de l’une des ouvertures commerciales les plus importantes de l’histoire.

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Un tel accord de libre-échange n’est cependant toujours pas ratifié par l’ensemble des nations signataires… et cela ne doit rien au hasard. Le Mercosur est composé de quatre pays (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) associés depuis 1991 afin de favoriser le commerce multilatéral. S’y est ensuite adjoint le Venezuela (suspendu pour une durée indéterminée en 2017) tandis que la Bolivie est actuellement candidate à l’intégration.

Le pacte conclu entre Bruxelles et ce bloc vise à la suppression des tarifs douaniers sur de nombreux produits agricoles et industriels – ainsi qu’à une facilitation des exportations de services – de façon progressive sur une période de dix à quinze ans. Par ailleurs, l’UE a obtenu des quatre nations ibéro-américaines concernées qu’elles reconnaissent plus de 350 indications géographiques protégées européennes. Le texte final, qui s’accompagne de dispositions sur l’environnement et les droits des travailleurs, a bénéficié du soutien de trois présidents ibéro-américains de droite (Mauricio Macri en Argentine, Jair Bolsonaro au Brésil et Mario Abdo Benítez au Paraguay).

Le partenariat vient prolonger des relations économiques intenses : en 2018, le Mercosur a vendu pour 45 milliards d’euros de biens à l’Union européenne tandis que cette dernière constitue le principal investisseur dans la région avec un stock de 381 milliards d’euros. Néanmoins, la collaboration va plus loin puisqu’elle doit favoriser les exportations de l’UE dans plusieurs domaines : automobile, chimie, médicaments, machines-outils, vin, boissons gazeuses, produits laitiers et chocolatés, etc. En échange, Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay verront leurs produits phares (viande bovine, volaille, soja, céréales, éthanol, sucre, miel, etc.) pénétrer plus massivement le marché européen.

Craintes sociales et environnementales

Il s’agit d’un bouleversement économique pour les deux zones économiques car l’UE est habituée, à travers la politique agricole commune (PAC), à une forme de protectionnisme alimentaire. À l’inverse, l’industrie a longtemps bénéficié d’un traitement spécifique de la part des pays membres du Mercosur. Les levées de boucliers ont logiquement été nombreuses de part et d’autre.

De ce côté de l’Atlantique, les organisations paysannes et écologistes ont souligné que les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont monnaie courante en Amérique latine. Elles ont ajouté que les conditions de travail y sont bien moins avantageuses.

Par ailleurs, l’élevage bovin extensif et la culture du soja sont à l’origine d’une course au profit dont la forêt amazonienne fait les frais depuis des décennies. L’on se retrouverait ainsi face à une fragilisation du monde agricole européen et à une dégradation accrue de la nature. Cette dernière menace, loin d’être combattue, serait même encouragée par l’Union européenne. La déforestation de l’Amazonie (liée à l’expansion d’une monoculture tournée vers les marchés étrangers et gourmande en pesticides[2]) suppose de plus une diminution de la biodiversité et une moindre capture de dioxyde de carbone. La concurrence entre agriculteurs ibéro-américains et européens serait, in fine, déloyale et favoriserait les premiers. De quoi contredire les objectifs environnementaux affichés par les deux parties, d’autant qu’un président comme Jair Bolsonaro s’est toujours montré critique face aux discours de protection du climat.

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Par conséquent, la signature de ce traité a rencontré des oppositions de la part d’un groupe de 11 nations d’Europe regroupant quelques-uns des principaux bénéficiaires de la PAC (dont la France). « Condamner l’agriculture pour sauver l’industrie » : c’est le constat émis à regret par les agriculteurs européens. La précarisation d’une partie de la population de l’UE (qui s’est révélée, par exemple, à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes) a aussi poussé certains dirigeants, comme Emmanuel Macron, à critiquer le partenariat avec le Mercosur.

Les dispositions en matière d’achats de viande bovine américaine sont particulièrement dans le collimateur. Le texte final en limite l’importation à 90 000 tonnes par an, soit 1,2 % de la consommation européenne. Toutefois, les pièces de bœuf concernées par l’abaissement des tarifs douaniers sont l’aloyau, le filet et la bavette d’aloyau, trois morceaux « nobles » représentant l’essentiel des recettes des éleveurs européens. C’est notamment le cas pour les petits exploitants, qui craignent de se faire dévorer par les grandes entreprises désireuses d’importer du bœuf à bas prix.

… mais d’autres nations satisfaites

Cependant, certains États européens se sont montrés plus enthousiastes. C’est en premier lieu le cas de l’Allemagne. Notre voisin rhénan est en effet un gros exportateur d’automobiles ainsi que de produits pharmaceutiques et chimiques, secteurs qui veulent partir à la conquête du Mercosur. Des firmes allemandes comme Bayer et BASF ont exercé des pressions pour qu’aboutissent les négociations entre les deux parties, car elles voient dans l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay des clients pour leurs pesticides.

Moins connu est le cas de l’Espagne, dont deux présidents du gouvernement successif (Mariano Rajoy et Pedro Sánchez) ont donné une impulsion décisive à l’accord. La quatrième puissance de l’Union européenne bénéficie pourtant de la PAC et une partie de ses agriculteurs ne cache pas ses craintes face à la concurrence du Mercosur. La polémique est patente chez les producteurs de riz, les éleveurs bovins et ceux qui cultivent des agrumes. Toutefois, d’autres acteurs espagnols de l’agroalimentaire se montrent plus confiants, à l’image des producteurs de charcuterie et d’huile d’olive.

Il ne faut pas non plus oublier que notre voisin ibérique (qui parle la langue de trois des pays membres du Mercosur) fabriquait en 2019 environ 2,8 millions de véhicules (chiffre qui le place directement derrière l’Allemagne). De même, l’Espagne abrite de grands équipementiers automobiles, dont Gestamp et Antolín. Principale porte d’entrée de l’Amérique latine en Europe, Madrid est très connectée au continent par voie aéroportuaire et les entreprises espagnoles sont parmi les mieux implantées dans le Mercosur. L’Espagne se voit donc comme une gagnante potentielle du partenariat.

Ainsi donc, deux visions des relations commerciales internationales s’affrontent en Europe à l’heure où le protectionnisme fait son grand retour dans les débats publics.

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[1] Bien que le terme « Mercosur » corresponde au sigle en langue espagnole et que son équivalent en portugais soit « Mercosul », ce dernier est bien moins usité dans les médias francophones et, dans cet article, nous lui préférons donc le premier.

[2] Rien qu’au Brésil, la consommation moyenne de pesticides par hectare est huit fois supérieure à celle des pays membres de l’UE.

À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).
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