<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Pas de puissance brésilienne sans agriculture

1 septembre 2020

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Agriculteur brésilien © Unsplash
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Pas de puissance brésilienne sans agriculture

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L’agriculture et l’agroalimentaire sont depuis très longtemps des piliers de l’économie brésilienne. Le pays continue à miser fortement sur ce secteur pour renforcer son développement et conquérir toujours plus de marchés à l’international. Qualifié de « ferme du monde », il dispose de nombreux atouts mais certains défis peuvent potentiellement fragiliser sa compétitivité.

Depuis dix ans, l’agriculture compte pour environ 4,5 % du PIB brésilien. En ajoutant la contribution de ce secteur à celle de l’industrie agroalimentaire, c’est près d’un quart de l’économie qui en dépend en 2017. Un chiffre en progression constante depuis une décennie. De même, l’emploi dans l’agro-industrie est en hausse malgré la forte contraction de la croissance économique du pays depuis quelques années. L’emploi agricole stricto sensu s’est lui contracté passant de 18 à 10 % de la population active entre 2007 et 2017. Première conclusion : l’agriculture brésilienne, forte de ses matières premières, offre de plus en plus de produits transformés.

Les chiffres de la performance

Le Brésil est le premier producteur et exportateur mondial en sucre, jus d’orange et café, le second en éthanol et viande bovine. Il est le second producteur mondial de soja, le troisième de maïs et de viande de volaille et le quatrième de viande porcine. Si le café, le sucre, le coton ou le caoutchouc ont été des cultures phares dans les siècles passés, il est essentiel de souligner la percée du soja et de l’élevage au cours des dernières décennies.

À partir des années 1960, la graine de soja, tirée par une demande mondiale en forte hausse, s’implante massivement dans le Sud-Est et le Centre-Est. Rien que depuis 2010, les surfaces de soja sont passées de 24 à 34 millions d’hectares (Mha). Quant à l’élevage et l’agro-industrie de la viande, ils mobilisent près de 100 Mha actuellement. Ces deux filières (soja et viande) représentent désormais la moitié de la superficie agricole totale du pays qui atteint 280 Mha.

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Ce Brésil agricole, très performant, tire sa force d’une géographie favorable : ressources hydriques et foncières en abondance, conditions climatiques propices dans plusieurs régions de ce pays par ailleurs immense, volonté permanente des autorités brésiliennes de développer l’agriculture… Les efforts en matière de formation technique, de sciences, d’investissement matériel et d’organisation des filières ont porté leurs fruits. Les rendements céréaliers ont triplé depuis le début de la décennie 1990. Dans le secteur de l’élevage, alors que l’étendue des pâturages s’est légèrement contractée, le nombre de bovins a doublé depuis les années 1980. Sur les deux dernières décennies, la production de volaille a triplé et celle du soja a presque quadruplé !

Commerce et diplomatie agricoles

Présentant un bilan agricole excédentaire, à l’exception notable du blé et des produits laitiers (même si pour ces derniers, de gros investissements sont actuellement réalisés), le Brésil se situe dans le top 5 des exportateurs mondiaux, avec des variations de place en fonction des années, et des ventes annuelles oscillant entre 70 et 80 milliards de dollars dans la décennie 2010. La Chine est le principal acheteur du Brésil, avec près de 30 % de ses exportations, devant l’Union européenne (en moyenne 20 à 22 %) suivie par les États-Unis. Depuis le début du siècle, la valeur totale des exportations agricoles et agroalimentaires a été multipliée par près de sept. 40 % du sucre ou des poulets vendus dans le monde sont d’origine brésilienne.

Outre ces marchés, le Brésil est parvenu à devenir un fournisseur majeur des pays nord-africains et moyen-orientaux. En Afrique, ses positions progressent, non seulement sur le plan agro-commercial mais également sur celui de la coopération technique. Les programmes sociaux brésiliens, en matière de lutte contre la faim et la pauvreté, constituent des sources d’inspiration pour plusieurs États africains. Cette diplomatie agricole vers le monde arabe et l’Afrique représente l’un des points forts de l’action extérieure d’un Brésil promoteur de ce dialogue Sud-Sud où le business n’est jamais très loin derrière les discours de partenariat.

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Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de voir l’activisme de la nation sud-américaine dans les institutions internationales concernées. Le pays prône la libéralisation des échanges dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et mise beaucoup actuellement sur l’accord MERCOSUR-Union européenne en négociation. Il a obtenu l’élection de Brésiliens à la direction générale de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (José Graziano da Silva, à la tête de la FAO depuis 2012) et de l’OMC (Roberto Azevêdo depuis 2013). Dans un autre registre de l’influence stratégique, le Brésil reste l’un des protagonistes de la recherche agronomique mondiale et mise de plus en plus sur l’innovation et les technologies numériques pour optimiser les performances de son agriculture. Très rares sont les entreprises internationales du secteur à ne pas investir sur le terrain fertile brésilien.

Défis et contrariétés

La très grande dualité de l’agriculture brésilienne persiste. D’un côté, de petites exploitations qui fournissent l’alimentation locale ou nationale. Elles sont plus de 4 millions, emploient environ 15 millions de Brésiliens et font l’objet de soutiens spécifiques, mis en place par l’ancien président Lula. De l’autre côté se trouve l’agro-business, sur environ deux tiers de la SAU (surface agricole utile) bien que les exploitations de plus de 500 hectares ne représentent que 3 % de toutes les fermes brésiliennes. Ce sont ces acteurs qui assurent la transformation des produits et l’agro-exportation du pays. Cette bipolarisation est assumée, à tel point qu’il existe un ministère distinct et dédié à chacune des deux catégories.

Toutefois, l’épineuse problématique des paysans sans terres n’a pas été totalement résolue, ni celle des conditions très imparfaites dans lesquelles évoluent les travailleurs au sein des méga-fermes brésiliennes. Le foncier demeure un facteur de surchauffe sociale dans le pays avec plus de 70 victimes du conflit agraire en 2017. La FAO estime de son côté que les deux tiers du foncier agricole brésilien ne sont pas encore exploités, ce qui donne aussi la mesure du potentiel du pays, quand bien même l’extension de l’agriculture sur la terre encore disponible pose d’indéniables questions sociétales et écologiques.

 

Autre sujet à controverses à propos du développement de l’agriculture : son impact sur l’environnement et la biodiversité. Le déboisement de la forêt amazonienne, l’impact de pratiques agricoles intensives sur les ressources, les émissions de gaz à effet de serre (GES) – provenant notamment de l’élevage – et le recours depuis 2005 aux organismes génétiquement modifiés (OGM) – autorisés pour le soja, le maïs et le coton – animent régulièrement les débats intérieurs et internationaux.

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Les déficiences logistiques sont, elles aussi, un point de vulnérabilité à cause des distances entre les zones de production qui s’étirent de plus en plus dans l’intérieur du pays et les façades maritimes où se concentrent les mégapoles et les interfaces portuaires. Les capacités de stockage mériteraient aussi d’être renforcées. La fiscalité différenciée entre les États brésiliens complexifie aussi l’équation. À cela s’ajoutent des conflits sociaux réguliers dans les transports qui pénalisent leur fluidité et engendrent des coûts supplémentaires. Il n’est donc pas si étonnant de voir ces dernières années les investissements s’amplifier sur ce créneau stratégique des chaînes logistiques agroalimentaires, avec les initiatives visant à établir des corridors interocéaniques entre Atlantique et Pacifique (avec par exemple des barges sur l’Amazone pour transporter les grains). Et le grand acteur de ce développement s’appelle la Chine. L’entreprise COFCO, l’une des plus importantes compagnies du négoce de matières premières de la planète, y accélère ses financements.

Enfin, deux dynamiques mondiales viennent potentiellement perturber la trajectoire prise par le Brésil ces dernières années. D’une part, le retour du protectionnisme peut brider le développement agro-commercial de l’agriculture brésilienne. Ensuite, la demande de qualité explose chez les consommateurs du monde entier. Or les produits brésiliens sont loin d’être aussi tracés et contrôlés que ceux des Européens par exemple (voir en 2017 le scandale de la viande avariée).

La montée en gamme de l’agriculture et de l’agroalimentaire au Brésil sera donc nécessaire pour qu’elle reste compétitive à moyen/long terme, les acteurs du secteur l’ont bien compris.

À propos de l’auteur
Sébastien Abis

Sébastien Abis

Directeur du club DEMETER Chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
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