L’Arabie saoudite pendant la Guerre froide

24 mai 2022

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Le président Franklin Roosevelt en compagnie du roi Abdelaziz Al Saoud, du colonel William A. Eddy (en) (qui sert d'interprète, un genou au sol) et de l'amiral William Leahy (debout, à gauche) sur l'USS Quincy.
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L’Arabie saoudite pendant la Guerre froide

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Depuis février 1945 et la signature du Pacte de Quincy, l’Arabie saoudite entretient une relation privilégiée avec Washington. L’accord était simple : la protection militaire de la famille royale en échange d’une stabilisation des marchés pétroliers. Ce pacte a fait des États-Unis et de l’Arabie saoudite des alliés privilégiés pendant toute la durée de la Guerre froide. Toutefois, les rapports entre l’URSS et le Royaume ne furent pas inexistants, l’URSS ayant même été l’un des premiers pays à reconnaitre le tout jeune Royaume saoudien en 1926, avant même qu’Ibn Saoud ait terminé la conquête du territoire (il faudra attendre 1934 pour que les dernières provinces du sud-ouest soient rattachées au Royaume).

 

Si l’Arabie saoudite a historiquement été proche des États-Unis, les relations avec les Soviétiques ne furent pas inexistantes. L’URSS fut en effet l’un des premiers pays à reconnaitre officiellement des relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite, dès 1926, alors qu’Ibn Saoud n’avait pas encore achevé l’unification du Royaume.

Des relations saoudo-soviétiques prometteuses qui annonçaient un avenir radieux

L’ouverture d’une représentation diplomatique soviétique à Riyad servait un objectif clairement politique : entretenir de bonnes relations avec les pays arabes indépendants cherchant à s’émanciper de l’influence britannique. Une manière pour les communistes d’endiguer l’influence occidentale dans les pays arabes. Le consul soviétique en Arabie saoudite, Karim Khakimov, entretenait d’excellentes relations personnelles avec Ibn Saoud, le diplomate soviétique ayant travaillé en Iran et étant fin connaisseur de la langue et culture arabe. Il était d’ailleurs connu dans une majorité des pays arabes sous le nom de « Pacha Rouge », titre honorifique et symbolique.

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La diplomatie soviétique cherchait donc à entretenir de bonnes relations avec les autorités saoudiennes, sans pour autant tenter d’exporter la révolution communiste. En effet, la ligne du Kremlin sur cette question était la discrétion et l’athéisme soviétique était passé sous silence auprès des Saoudiens, une stratégie visant à ménager la société saoudienne, religieuse et conservatrice.

Cette reconnaissance des relations diplomatiques sert également des intérêts économiques. Au début des années 1930, les gigantesques réserves pétrolières saoudiennes n’ont pas encore été découvertes. De fait, l’URSS fournit le tout jeune royaume saoudien en hydrocarbures. Un accord, pour la livraison de kérosène et de gaz naturel, fut même signé pendant la visite du Prince Faisal bin Abdulaziz (qui deviendra Roi en 1964) à Moscou en 1932. Cette visite officielle, si elle annonçait un rapprochement historique entre les deux pays, n’a toutefois pas eu le succès attendu. En effet, les autorités soviétiques rappelèrent au Prince le non-paiement des livraisons de kérosène et de gaz naturel, dans un contexte où Riyad souhaitait emprunter d’importantes sommes d’argent à Moscou. Des litiges qui ne furent pas que financiers, mais également idéologiques. En effet, l’URSS ne tolérait pas que ses citoyens musulmans se rendent à la Mecque et Médine pour y faire le pèlerinage. Il était inconcevable pour un pays communiste de voir ses ressortissants adorer Dieu et un autre idéal que celui imposé par le parti.

Cette visite a néanmoins été saluée par les deux parties, mais l’embellie fut de courte durée.

Une brusque interruption des relations saoudo-soviétiques au profit des États-Unis

 

Si l’URSS fut le premier pays à officiellement établir des relations diplomatiques avec le jeune Royaume saoudien, elles furent subitement interrompues en 1938. En 1937-1938, Staline procède à des purges sans précédent visant toute la société soviétique. Les fonctionnaires des affaires étrangères étant particulièrement visés, Karim Khakimov et Nazir Tiouriakoulov sont rappelés à Moscou, soupçonnés d’espionnage pour le compte des Saoudiens. Ils seront jugés, condamnés à mort et exécutés. Une catastrophe pour la diplomatie soviétique, qui doit justifier les actes de Staline dans un contexte de montée du fascisme en Europe.

Les autorités saoudiennes, mécontentes d’apprendre que les deux diplomates soviétiques avaient été exécutés, décidèrent de ne plus accueillir de nouveaux diplomates sur son sol et, de facto, de rompre ses relations diplomatiques avec l’URSS.

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Concomitamment à cet évènement, les premiers forages pétroliers ont lieu dans le Royaume, via des concessions accordées à la Standard Oil of California (SOCAL) pour faire de la prospection. C’est en 1938 que les ingénieurs de la SOCAL découvrent du pétrole en quantité suffisante pour en envisager une exploitation à large échelle. Cette découverte change la donne et les autorités américaines, profite du retrait des Soviétiques pour faire leur entrée dans le Royaume.

La relation entre le Royaume et l’Oncle Sam évoluera lentement pour se matérialiser en 1945, avec la signature du Pacte de Quincy, par lequel les États-Unis s’engagent à protéger militairement la dynastie des Saoud en échange de l’exploitation de richesses pétrolières du Royaume. Un bon moyen pour la diplomatie américaine de s’assurer du maintien des prix du brut, un outil qui lui sera bien utile par la suite.

Des relations qui évoluèrent à l’avantage des États-Unis

 

Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et l’Arabie saoudite continuèrent d’entretenir des relations privilégiées. Au fil des années, les autorités saoudiennes tenteront, avec succès, de prendre le contrôle de la Saudi Aramco. En 1950 est conclu un accord de partage des bénéfices nets à 50/50. En 1972, le gouvernement saoudien prend 25% des parts de la Saudi Aramco, pourcentage qui monte à 60% en 1973 en représailles au soutien américain à Israël lors de la guerre du Kippour. La Saudi Aramco sera entièrement nationalisée par les autorités saoudiennes en 1980. Ces évènements n’affecteront pas la relation américano-saoudienne, qui restera solide pendant toute la durée de la Guerre froide. Le premier choc pétrolier de 1973 aura des conséquences terribles pour une majorité des économies occidentales, qui verront leur croissance économique ralentir nettement ainsi que l’émergence de problèmes nouveaux comme le chômage, le déficit des comptes publics et la paupérisation d’une partie de leur classe moyenne. La nécessité d’une relation stable et solide entre l’Arabie saoudite et les États-Unis s’avèrera nécessaire malgré les divergences entre les deux pays sur un certain nombre de sujets.

Lors du second choc pétrolier en 1979, qui entraina la fin des exportations pétrolières iraniennes sur le marché mondial, l’Arabie saoudite tenta de rétablir ses relations diplomatiques avec Moscou, dans l’idée de mieux coordonner la production pétrolière mondiale et de trouver conjointement une solution durable à la crise. Cette tentative de rapprochement n’eut jamais lieu, certainement à cause de l’implication des États-Unis, qui voyait d’un mauvais œil un rapprochement du Royaume avec l’URSS.

Une tentative de rapprochement qui fut certainement la dernière, les États-Unis garderont l’avantage jusqu’à l’effondrement du bloc de l’Est.

La relation saoudo-américaine joua un rôle important dans la chute de l’URSS, notamment suite à l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir à la Maison-Blanche en 1981. En effet, le nouveau président américain élu est résolu à mettre un terme à l’Empire soviétique. Pour y arriver, il va mener une guerre sur tous les fronts, en particulier celui économique. Dans les années 1980, les hydrocarbures comptent pour environ 30% du Produit intérieur brut soviétique, signe d’une économie peu diversifiée et dépendante du cours des hydrocarbures. De fait, pour exploiter cette faiblesse, les États-Unis et l’Arabie saoudite signent, en 1986, un accord visant à augmenter la production de pétrole, officiellement pour satisfaire les besoins occidentaux en énergie. L’effet de cet accord fut quasiment immédiat avec le prix du baril qui tomba à un minimum de 10 USD en juillet 1986, à tel point que cette année est aujourd’hui souvent qualifiée de contre-choc pétrolier. Cet accord ne fut pas dénué d’intérêts géopolitiques, la baisse des prix du pétrole entrainerait la diminution des revenus de l’URSS, l’empêchant d’entretenir les pays satellites du bloc communiste. Un accord sera finalement trouvé en 1987 et la situation reviendra à la normale avec un baril à 17 dollars.

Le succès de cette brève opération est difficile à quantifier précisément, mais elle a certainement accéléré le démantèlement de l’URSS, dont l’économie était déjà mal en point.

Après la chute de l’URSS, qui marque la fin de la Guerre froide, les relations entre l’Arabie saoudite et la Russie seront rétablies en 1991, relation qui oscillera entre coopérations et affrontements, mais qui tend à prendre de l’importance ces dernières années, signe du désintérêt croissant de Washington pour cette région du monde. De l’autre côté, les relations saoudo-américaines se maintiendront et le Pacte de Quincy, initialement signé pour une durée de 60 ans, sera renouvelé en 2005 par Georges W. Bush pour 60 ans de plus.

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