Guerre économique, politique, culturelle, l’Asie est le continent des fractures et des dangers. Analyses de Barthélémy Courmont et Emmanuel Lincot.
Si l’actualité internationale, au moment où nous écrivons ces lignes, semble mettre de côté l’Asie, au profit des questions de sécurité en Europe, ou de la poudrière moyen-orientale, il n’en demeure pas moins que plus de la moitié de l’humanité est aujourd’hui confrontée à des défis majeurs. Cet ouvrage vient incontestablement à point nommé pour rappeler toute l’importance de ce pôle de puissance en plein développement, et en même temps les risques majeurs auxquels le continent est confronté.
Les deux auteurs organisent leur réflexion de façon finalement très classique, avec une première partie consacrée à un état des lieux des crises, qualifiées de multidimensionnelles, avant d’examiner soigneusement les lieux de tension, qui constituent autant de perspectives de conflits potentiels.
Quel poids pour l’Asie ?
Paradoxalement, et dans le contexte actuel marqué par les déclarations à l’emporte-pièce du président Donald Trump, il est opportun de lire attentivement l’avant-dernier chapitre de cet ouvrage. « Quel poids pour Washington en Asie ? ». La question mérite en effet d’être posée. Depuis au moins, la présidence Obama, les États-Unis n’ont jamais caché que le centre de gravité du monde se situait désormais en Asie – Pacifique, que l’espace indopacifique a vocation à devenir un théâtre d’affrontements potentiels avec l’autre grande puissance, la Chine bien évidemment. Sous la précédente administration, les relations anciennes avec le Japon et la Corée du Sud ont été renforcées. Les États-Unis sont bien conscients qu’ils doivent maintenir leur point d’appui insulaire et péninsulaire face à une puissance navale chinoise en pleine expansion. De la même façon, avec le Quad, le dialogue informel qui réunit les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie, Washington entend bien s’inscrire dans une compétition durable avec Pékin.
À lire aussi : Chine–États-Unis : gare à la fascination pour le « piège de Thucydide » !
Côté chinois, les actions peuvent relever d’une politique de force, comme en mer de Chine méridionale, mais également s’appuyer sur un subtil antioccidentalisme qui rappelle celui, plus militariste évidemment, du Japon impérial dans les années 1930. La promotion des valeurs asiatiques, comme la discipline, la hiérarchie, le travail et l’épargne, est censée séduire les populations de culture chinoise, mais pas seulement.
Washington s’inquiète de la démarche chinoise en matière de soft Power qui remet le passé impérial de la Chine au centre de la démarche, avec un empire entouré de vassaux librement tributaires, mais en tout cas associés au modèle de développement.
Si l’on reprend l’ouvrage par le début, on examinera successivement le rappel d’un certain nombre de références historiques majeures, notamment ce qui a pu relever de la rupture de la conférence de Bandung, mais également des rivalités mémorielles, ainsi que des enjeux patrimoniaux. Cela ne concerne pas seulement la Chine évidemment, mais également différents pays d’Asie centrale, comme le Tadjikistan et l’Ouzbékistan qui redécouvrent leur histoire, de même que le contentieux historique, mais surtout hydraulique entre l’Inde et le Pakistan à propos du cachemire.
Le Grand jeu
Le grand jeu, pour reprendre cette expression qui date de la rivalité entre l’empire des tsars et l’empire britannique au XIXe siècle en Asie centrale, se déroule aujourd’hui entre les États-Unis et la Chine, à la fois dans le domaine du soft Power que dans celui de la gesticulation militaire. Ce qui est clair en tout cas c’est surtout la tendance de fond à construire un espace qui ne soit plus soumis au modèle occidental longtemps dominant, et de ce point de vue, avec bien des nuances, il est possible de dégager des postures de rapprochement. Malgré ses ouvertures en direction des États-Unis, ou avec la France, bénéficiaire du réarmement du pays, l’union indienne reste dans une posture de non-alignement sans véritable neutralité, notamment en servant de relais pour les exportations russes d’hydrocarbures.
De la même façon, les deux géants asiatiques, qui pèsent tout de même près de 3 milliards d’habitants, s’affirment comme des pôles d’innovation, et peuvent jouer d’ailleurs sur leur diaspora respective pour entretenir leur soft Power. À cet égard la Chine fait encore la course en tête.
Tensions asiatiques
On examinera dans un second temps les lieux de tension qui sont évidemment connus, avec les plus importants et les plus anciens, comme le nœud sécuritaire Chine – Taïwan, l’opposition entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, la rivalité qui date de l’indépendance entre l’Inde et le Pakistan, sur fond d’équilibre de la terreur nucléaire.
À lire aussi : À Taïwan, un paysage politique en recomposition
Parmi les sujets que l’on voit que trop souvent abordés, on s’intéressera ce chapitre consacré par l’Indonésie et aux Philippines. Ces deux pays d’Asie du Sud-Est au fort potentiel de développement sont confrontés à des aspirations séparatistes et en même temps possible monté de l’islam radical. Ce phénomène a pu se révéler endémique au sud des Philippines, alors qu’il semble avoir été au moins maîtrisé en Indonésie.
Le lecteur pressé pourra également se rattacher à un ensemble de cartes, huit très exactement, qui apportent un éclairage particulier aux zones de tension abordées dans cet ouvrage. On retrouve le positionnement de la Chine, les tensions dans le de Taiwan, la géopolitique du cachemire et les différentes forces en présence en Asie du Sud-Est. La carte la plus inédite est celle qui aborde, en Asie centrale, la diplomatie des tubes et le terrorisme, avec le tracé de la route de la soie.
Plus qu’une véritable enquête sur la poudrière mondiale, cet ouvrage qui est très largement référencé présente l’intérêt d’apporter au lecteur une synthèse commode, avec des chapitres parfaitement identifiés, et dans l’ensemble bien documentés.