La Chine a fait du Cambodge son principal allié dans la région. Avec la Thaïlande les liens sont moins étroits, Bangkok voulant mener une politique d’indépendance
Depuis février 2025, la Thaïlande et le Cambodge s’accusent mutuellement d’incursions militaires dans des zones frontalières contestées, notamment autour de temples khmers anciens. Le conflit s’est intensifié après la mort d’un soldat cambodgien le 28 mai. En Thaïlande, le conflit frontalier avec le Cambodge déclenche une crise politique après la fuite d’un appel téléphonique. Le conflit frontalier ravive les tensions historiques entre le Cambodge et la Thaïlande, mais provoque surtout une grave crise politique en Thaïlande et réveille le spectre d’une instabilité militaire.
Face à cette crise opposant deux membres de l’ASEAN[1], la Chine a adopté une position officiellement neutre, appelant au dialogue et à la réconciliation. Toutefois, sur le plan historique et géopolitique, ses liens sont nettement plus étroits avec le Cambodge, considéré comme un partenaire stratégique de long terme. La Chine souhaite préserver cette relation privilégiée tout en maintenant des rapports stables et constructifs avec la Thaïlande, dans le but de garantir la stabilité régionale et de renforcer son influence au sein de l’ASEAN.
Le Cambodge dans le giron chinois
Bien que les deux pays ne partagent aucune frontière commune, la Chine entretient depuis longtemps des relations culturelles et commerciales historiques avec le Cambodge. Les 950 000 Chinois vivant au Cambodge représentent entre 3 et 5 % de la population cambodgienne[2].
Les relations bilatérales entre le Cambodge et la Chine se sont considérablement renforcées après la fin de la guerre cambodgienne-vietnamienne, durant laquelle la Chine avait soutenu le Cambodge contre le Vietnam.
L’évolution des relations entre la Chine et le Cambodge illustre parfaitement la stratégie d’influence déployée par la Chine en Asie du Sud-Est. Ces relations sont à la fois profondes et fortement liées à des enjeux géopolitiques, économiques et militaires.
Sur le plan historique, la Chine apportait un soutien actif à Norodom Sihanouk tout au long de sa vie politique. Après l’intervention du Vietnam au Cambodge en 1979, la Chine continue d’appuyer la résistance anti-vietnamienne. Cette période donne naissance à une relation stratégique, fondée sur une hostilité commune envers le Vietnam, alors allié de l’Union soviétique.
Entre 1990 et 2000, avec la fin des grands conflits régionaux et une stabilisation progressive du Cambodge, la Chine adopte une posture plus coopérative. Elle amorce une politique d’ouverture économique et diplomatique. En 1997, à la suite du coup de force de Hun Sen, la Chine soutient ouvertement son gouvernement. C’est à cette époque que naît le partenariat privilégié entre les deux pays.
Implantation chinoise au Cambodge
À partir des années 2000 et jusqu’en 2015, la Chine devient le principal partenaire économique du Cambodge. Elle investit massivement dans les infrastructures, finance la construction de routes, barrages, aéroports et bâtiments publics, et accorde des aides sans condition politique. Contrairement aux États-Unis ou à l’Union européenne, la Chine propose des prêts à taux préférentiels et des dons qui permettent au gouvernement cambodgien de renforcer son autorité. Dans le même temps, les relations politiques se consolident à travers des visites de haut niveau[3] et un soutien diplomatique réciproque.
Depuis 2015, l’alliance stratégique entre les deux pays se renforce dans les domaines militaire et sécuritaire. Les deux armées participent à des exercices conjoints, connus sous le nom de « Dragon d’or ». La Chine fournit des armes, parfois sous forme de dons, et forme des officiers cambodgiens sur son territoire. Un projet en particulier retient l’attention : la modernisation de la base navale de Ream[4], financée par la Chine, concrétise une présence militaire chinoise dans les eaux profondes du golfe de Thaïlande.
Dans la stratégie régionale de la Chine et considérée comme l’un de ses alliés les plus fidèles en Asie du Sud-Est, le Cambodge joue un rôle central. Ceci renforce la perception du Cambodge comme un pays étroitement aligné sur les orientations stratégiques de la Chine dans la région.
La Thaïlande : un allié dans l’équilibre
L’évolution des relations géopolitiques entre la Chine et la Thaïlande témoigne d’une transformation stratégique majeure en Asie du Sud-Est. Ce rapprochement progressif, marqué par un renforcement constant des liens bilatéraux, s’inscrit dans une logique d’équilibre entre les grandes puissances, notamment les États-Unis.
Pendant la guerre froide, les relations entre les deux pays restaient limitées. La Thaïlande figurait parmi les alliés stratégiques des États-Unis dans la région, jouant un rôle clé durant la guerre du Vietnam. À l’inverse, la Chine de l’époque soutenait activement les mouvements communistes en Asie du Sud-Est, ce qui entravait tout rapprochement significatif avec Bangkok.
Un tournant important intervient en 1975, lorsque la Thaïlande établit officiellement des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. Ce rapprochement s’explique par la fin du conflit vietnamien et l’évolution du contexte régional et international. Il s’inscrit dans une volonté thaïlandaise d’équilibrer les influences soviétique, vietnamienne et américaine.
La période allant de 1990 à 2000 marque un rapprochement économique rapide entre les deux pays, porté par une forte croissance du commerce bilatéral. La Chine devient progressivement un partenaire commercial majeur pour la Thaïlande. Dans le même temps, les échanges culturels, éducatifs et touristiques se développent rapidement. La Chine devient la première source de touristes pour le royaume, tandis que des coopérations se mettent en place dans les domaines de l’éducation, des médias et des infrastructures.
Depuis 2010, les relations sino-thaïlandaises s’intensifient dans le cadre d’une nouvelle stratégie régionale. La Thaïlande adhère à plusieurs projets d’envergure initiés par Pékin, notamment les Nouvelles Routes de la Soie (BRI). Parmi les réalisations phares, on compte le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse reliant la Chine, le Laos et la Thaïlande.
La coopération militaire connaît elle aussi une progression notable, avec des exercices conjoints comme « Blue Strike » et l’acquisition de matériel militaire chinois, dont des sous-marins et des chars.
Malgré ce rapprochement avec Pékin, la Thaïlande poursuit une politique de neutralité active, cherchant à maintenir un équilibre stratégique avec les États-Unis. Elle continue ainsi de participer régulièrement à des exercices militaires conjoints avec les forces américaines, notamment « Cobra Gold », l’un des plus vastes de la région.
Aujourd’hui, les relations entre la Chine et la Thaïlande sont marquées par un partenariat stratégique stable, soutenu par une coopération économique étroite — la Chine étant l’un des principaux partenaires commerciaux du royaume — ainsi que par des collaborations croissantes dans les domaines technologiques, tels que la 5G, l’intelligence artificielle ou les énergies renouvelables. Dans ce contexte, la Thaïlande adopte un alignement prudent, tentant de préserver sa souveraineté stratégique tout en tirant parti des rivalités entre grandes puissances.
[1] Cf. Alex Wang, ASEAN : équilibriste entre la Chine et l’Occident, Revue Conflits, le 4 juin 2025.
[2] Cf. Wikipedia : Cambodia–China relations.
[3] Courrier international, Xi Jinping au Cambodge pour célébrer une amitié “dure comme le fer”, le 18 avril 2025.
[4] Le Cambodge inaugure la base navale de Ream, financée en grande partie par la Chine, AFP, 05/04/2025.