Le grand retour de la terre dans les patrimoines

15 avril 2023

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Le grand retour de la terre dans les patrimoines

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La terre et l’immobilier sont des vecteurs essentiels de la richesse d’un pays. Dans un ouvrage stimulant, Alain Trannoy et Étienne Wasmer étudient le rapport que les Français entretiennent avec la terre et la façon dont une politique fiscale intelligente pourrait aider à tirer profit de cette richesse.  

Alain Trannoy et Étienne Wasmer, Le grand retour de la Terre dans les patrimoines, et pourquoi c’est une bonne nouvelle, Odile Jacob, 2022. 

Les deux auteurs s’attachent à analyser les spécificités du foncier en France ainsi que les raisons de l’inflation des prix du logement afin de déterminer une politique fiscale juste. Aujourd’hui, la fiscalité française repose essentiellement sur l’appareil productif, ce qui nuit au bon développement économique.  

Alain Trannoy et Étienne Wasmer proposent une véritable rénovation de la fiscalité. Ils souhaitent taxer uniquement la terre, en abolissant les taxes sur l’immobilier, notamment la taxe foncière car cette dernière est calculée sur la valeur des biens et non sur la base exclusive de leur emplacement et de la superficie du terrain. Cette fiscalité « terrestre » permettrait à la fois de décharger l’appareil productif français et de tirer avantage de la valeur du foncier.

Cet ouvrage à l’intérêt de repenser non seulement la fiscalité, mais aussi l’aménagement du territoire, le rapport à la terre ains que le développement de l’appareil productif. Il dépasse donc largement son cadre initial.    

L’importance du foncier

La part de la richesse française dans l’immobilier et le foncier est impressionnante. Une bonne utilisation de cette richesse pourrait permettre de renforcer le dynamisme économique de la France. L’urgence est de retrouver une croissance raisonnable en allégeant la fiscalité sur les facteurs productifs comme les salaires et les investissements, le tout en mobilisant la part de richesse la plus dynamique, c’est-à-dire l’immobilier et le foncier. Ainsi, plutôt que de tout considérer sous l’angle de la redistribution, en considérant la fiscalité des entreprises et du travail comme seuls moyens de financer notre modèle social, il pourrait être intéressant d’alléger ces prélèvements en taxant la terre qui ne représente pas moins de 7 000 milliards d’euros en France. Cette somme est si importante qu’un taux réduit dégagerait des sommes importantes pour diminuer fortement les différents impôts et en augmentant les salaires tout en soutenant l’accumulation du capital productif. 

La taxation de la terre remplacerait toutes les taxes actuelles sur l’immobilier qui découragent souvent l’aménagement ou la rénovation. En plus de diminuer les impôts actuels, cette taxe permettrait de limiter l’étalement urbain et d’être un moyen de rassurer les marchés financiers en cas de remontée abrupte des taux d’intérêts de notre dette publique massive. 

La thèse principale de l’ouvrage a pour but de faire contrepoids au sein des débats politiques et peut séduire une jeunesse qui a désormais besoin de croissance et d’emploi davantage que de rente. Il s’agit ici de raisonner selon le bien-être collectif en veillant à ce que les inégalités restent contenues en guise de conservation de la cohésion nationale. 

PREMIÈRE PARTIE 

La Terre comme réserve de valeur 

La richesse et l’accumulation de capital sont d’une diversité surprenante entre actifs financiers, actions et obligations ou non, logement ou œuvres d’art. Cette diversité rend complexe la mesure du patrimoine national. La comptabilité de la richesse est donc une opération qui n’est pas évidente. Les auteurs considèrent ainsi que le point de départ est la comptabilité nationale qui mesure les revenus et la consommation. 

Importance de la terre dans les patrimoines 

Pour mesurer les patrimoines, la méthode communément utilisée est celle des « investissements perpétuels ». Concernant les logements, la valeur du capital n’est autre que la somme de tous les investissements passés auxquels on soustrait la dépréciation de ce stock, qu’il s’agisse de l’usure ou de destructions par exemple. Lorsque l’on regarde dans un tableau comparatif la part de la richesse financière, non financière, des logements et de la valeur de la terre dans la richesse totale d’un pays, on constate que la France possède une préférence pour le logement et pour la terre. La composante terre dans la richesse totale est ainsi bien plus élevée en France et en Italie qu’aux Pays-Bas ou qu’en Allemagne par exemple alors que la forte densité de ces derniers pays amènerait à penser que la terre soit plus rare et donc plus chère. 

Les États-Unis apparaissent de leur côté comme un pays tellement vaste que la richesse foncière passe au second plan derrière l’importance des actifs financiers. La terre est depuis longtemps la source principale du patrimoine en France, et ce depuis des siècles. Seul le XXe siècle a marqué une rupture dans la valeur du logement et des terres en France. Cependant, depuis le siècle dernier, cette valeur remonte en flèche. Cette manne de richesse constitue un déséquilibre dans les sources de richesse. Le problème réside dans le fait que nos institutions et notre fiscalité se sont construites sur la situation d’après-guerre qui consistait à taxer la richesse, à savoir les salaires et le capital qui était à leur paroxysme au moment où la réserve de richesse liée au logement était à son minimum suite aux deux guerres mondiales. Ainsi on pourrait croire que l’augmentation du capital logement est l’accession à la propriété des Français. On comptait en réalité seulement 35% de propriétaires occupants en 1950 contre 60% aujourd’hui. Or ses mêmes Français étaient des locataires d’autres particuliers. Les logements existaient déjà pour loger la population, cela ne peut donc pas expliquer la tendance à la hausse de la valeur de ce stock de logements relativement à la production de la richesse de la population. Cependant, cela est révélateur d’une répartition plus égalitaire puisqu’ils détiennent davantage de patrimoines.

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Le facteur prix 

Cette augmentation de la richesse provient principalement du facteur prix. La France connait une hausse des prix de l’immobilier continue depuis trois décennies. Entre 1996 et 2018, l’indice des prix des appartements aurait augmenté de 4,6% par année sur le territoire national, selon l’Insee et 6% par année à Paris. Cette forte augmentation est en contraste avec l’inflation des autres biens qui n’augmentent que de 1% par an. On comprend ici que l’essentiel de la hausse de la richesse immobilière relativement à la production nationale est porté par les prix de l’immobilier. Cette augmentation de la valeur du patrimoine logement, parfois décriée comme tragique, s’accompagne d’une bonne nouvelle : la part des Français propriétaire a fortement augmenté durant les dernières décennies. 

Le retour de l’immobilier dans la richesse nationale ne se limite pas au cas français, mais est aussi partagé par la majeure partie des pays développés. Presque partout, la terre revient en force dans la richesse nationale. 

En France, on note plusieurs phases de hausse immobilière. La première, à la fin des années 1970 et la seconde un peu plus de dix ans après au tout début des années 1990. À partir des années 2000, les prix s’envolent pendant dix ans pour être stoppés par la grande crise financière de 2008. Après une courte baisse et une reprise légère, cette dernière est interrompue une nouvelle fois par la crise de l’euro en 2011. Finalement, la baisse des taux et la politique de la BCE permettent d’enrayer ce déclin et les prix continuent d’augmenter ensuite au rythme du revenu national depuis le milieu des années 2015. L’Allemagne fait quant à elle figure d’exception parmi les pays riches avec des prix de l’immobilier qui ont eu tendance à baisser en raison d’une démographie faible et de l’absorption de l’ex-RDA qui a couté cher au pays. 

Aussi, la comparaison des prix par rapport à l’évolution du revenu disponible permet de distinguer entre les différents pays les hausses artificielles de l’immobilier de celles liées à une bonne gestion économique. Ainsi, en France et en Italie, les prix ont progressé plus rapidement que les revenus des ménages. En Allemagne et en Suisse, les évolutions entre revenus et prix du logement sont plus proches l’une de l’autre. Enfin, en Italie et en Espagne, les prix des logements ont baissé par rapport à l’évolution des revenus. Cette comparaison à l’échelle internationale des pays riches permet de noter un caractère cyclique de l’évolution des prix. En effet, des bulles immobilières apparaissent et disparaissent, le placement immobilier n’est donc pas sans risque. De plus, dans certains pays comme la France ou au Royaume-Uni, l’immobilier représente une part importante de la richesse et continue d’être en hausse continue, ce qui rend conforme sa réputation de valeur refuge. La hausse des prix de l’immobilier est une bonne nouvelle, car elle reflète l’attractivité du pays ainsi que l’optimisme et la confiance dans les institutions du pays. La hausse des prix de l’immobilier est une chance à condition que les pays qui la vivent n’accumulent pas de déséquilibres macro-économiques comme avec une dette publique qui s’accumule sans financer d’investissements. C’est le cas de la péninsule ibérique où les prix de l’immobilier flambent puis finissent par chuter.  Il faut ainsi distinguer la bonne croissance de la mauvaise croissance qui n’est pas soutenable. Pour cela, il faut s’intéresser au lien entre les prix et les loyers.

Des loyers fixes, des rendements en baisse

En effet, si les prix de l’immobilier ont augmenté au cours du temps, les loyers n’ont pas suivi ces évolutions de prix conduisant à une diminution du taux de rendement locatif, c’est-à-dire le ratio entre les loyers et les prix. Ce dernier est fondamental, car il permet de détecter la présence éventuelle d’une sous-estimation ou d’une surestimation du prix de l’actif, et donc la présence de bulles spéculatives. Les loyers n’ont ainsi pas suivi l’évolution des prix malgré une politique massive d’aide au logement dont les effets inflationnistes ont beaucoup fait réagir. Le constat final est que les prix se sont déconnectés des loyers, mais aussi qu’ils ont massivement influencé les indicateurs de richesse nationale en France. En effet, ils ont contribué à un enrichissement à la fois virtuel (à moins de vendre, cette richesse ne rapporte rien) des classes moyennes et réelles lorsque ces biens ont été vendus pour réduire la taille du logement ou prendre sa retraite. Cependant, l’augmentation de la richesse immobilière mène paradoxalement à des inégalités. 

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En matière d’immobilier, les notions d’offres et de demandes sont incontournables pour comprendre les tendances générales. En ce qui concerne l’offre du logement lui-même, il faut distinguer le foncier sur lequel est construit le bâti et le bâti lui-même. Le prix d’un logement est donc la somme de ces deux composantes, à savoir le prix du terrain et le prix des structures. C’est une décomposition abstraite, mais essentielle. Ainsi, le bâti représente environ la moitié de la valeur totale et le foncier l’autre moitié. Cela peut évoluer si le foncier est situé en zone très recherchée. Ainsi, la valeur cumulée de toutes les terres en 2019 selon la comptabilité nationale atteignant le chiffre impressionnant de plus de 7 000 milliards d’euros. Dans ce total, la terre supportant les bâtis, c’est-à-dire le foncier, représente 83,7% de la valeur totale de la terre en France, le reste étant des terrains agricoles ou des jardins. Pour rendre ce chiffre plus concret, la valeur totale des terres représente près de trois fois le PIB français. Aussi, dans un monde égalitaire, si l’on rapporte ce chiffre au nombre total de ménages en France, environ 30 millions, on atteint la somme de 237 000 euros par ménage. Il faut aussi garder à l’esprit qu’une très grande partie de cette valeur est concentrée sur une surface très faible au regard du vaste territoire national. Ainsi, les surfaces bâties ne représentent que 1,5 à 1,6% de la surface totale des terres en France, mais elles sont pourtant l’essentiel de leur valeur, soit près de 84%. On pourrait donc être tenté de conclure que la hausse des prix de l’immobilier est liée à la rareté du foncier ou la hausse des prix de constructions. Mais ce n’est pas le cas. Ils ne sont responsables que d’une très faible partie de l’évolution de l’indice général de l’immobilier. 

Pour conclure, il apparaît évident de considérer que l’immobilier est non seulement une grande réserve de valeur et de richesse en France, mais aussi une source d’enrichissement pour ceux qui ont acheté au bon moment. En outre, c’est une source d’importants gains en capitaux pour les propriétaires de fonciers et dans une bien moindre mesure pour les promoteurs immobiliers. On ne peut donc parler de justice sociale ou de redistribution sans connaître les mécanismes qui agissent sur le foncier et sur l’immobilier, surtout lorsqu’ils portent sur des centaines de milliards d’euros. Il est à présent intéressant de s’intéresser à la question de la répartition de cette valeur. 

Qui détient le logement et la terre ? 

Il faut à présent comprendre comment cette immense richesse est repartie. L’imaginaire collectif considère souvent que la terre est essentiellement celle des résidences principales aux mains des classes moyennes. Or cela est en partie inexact, malgré un manque de données patent sur le sujet, la terre permet la diversification de gros patrimoines en regroupant de nombreuses formes de richesse : les terrains des résidences principales certes, mais aussi ceux des résidences secondaires, des investissements locatifs et de grandes exploitations, vignobles, forêts, bâtiments industriels. Plus l’on creuse, plus on se rend compte du fossé inégalitaire entre les ménages, du même ordre de grandeur que l’inégalité du patrimoine dans sa globalité, ce qui permet de concevoir une réforme fiscale d’envergure. 

À Paris, sur les 65 km² de surface cadastrale sur 105 au total, la moitié appartient aux pouvoirs publics, entre la Ville et l’État. Les particuliers en monopropriété n’en possèdent que 5% et les copropriétés, 38%, le reste entrant aux mains des entreprises et autres organisations. 

En dehors de l’agglomération parisienne, le prix moyen des terrains à bâtir est de 88 euros le mètre carré en 2019. Si l’on calcule la manne financière à partir de cette donnée par rapport aux hectares déjà construits en France, on trouve un chiffre bien inférieur à la valeur de la manne financière décrite par la compatibilité nationale. Cette différence s’explique en partie par le fait que ces surfaces ne sont pas situées en centre-ville, mais en périphérie des villes et villages. 

En ce qui concerne la France, 58% des ménages sont propriétaires de leur habitation principale dont 1/3 n’ont pas fini de rembourser leur emprunt. En 2013, 15% des ménages résidant en France possédaient au moins un autre bien immobilier que leur résidence principale. On constate aussi en France qu’en termes de possession de type d’actifs, l’actif immobilier est intermédiaire entre la détention de livrets d’épargne et l’assurance-vie. Il est intéressant de constater que si l’on divise les ménages par décile de richesse en France, les ménages du 6e au 8e décile diversifient leur portefeuille d’actifs en se tournant vers la détention d’un second actif immobilier que celle d’actifs financiers. Cela prouve l’aimant que représente le marché immobilier pour les Français. Pour les 1% les plus riches, le patrimoine brut peu à peu près se découper en 3 parties, le patrimoine financier, le patrimoine immobilier et le reste (essentiellement du patrimoine professionnel). L’immobilier représente une part importante du patrimoine même pour les plus favorisés. Aussi, lorsque l’on regarde le lien entre patrimoine immobilier et niveau de vie, la part des biens immobiliers reçus en héritage croît évidemment avec le niveau de vie. De plus, la valeur moyenne du patrimoine immobilier hors résidence principale concerne surtout les plus riches, mais toutes les catégories de la population sont curieusement concernées. 

DEUXIÈME PARTIE. D’où provient cette manne ? 

Immobilier et taux d’intérêt

La comparaison entre les prix de l’immobilier et les loyers ouvre des horizons très larges. Des phénomènes macroéconomiques de long terme sont porteurs de cette divergence entre prix de l’immobilier et des loyers. Parmi ces phénomènes, la croissance et les taux d’intérêt sont deux éléments intimement liés qui ont évolué au cours du temps. Or ces évolutions affectent la façon d’appréhender l’immobilier. 

Concernant les taux d’intérêt d’abord, il est essentiel de comprendre son impact sur le marché de l’immobilier. Toute personne voulant s’approprier un logement en a déjà fait l’expérience. Si vous souhaitez consacrer 20% de votre revenu à un emprunt, mais que les taux baissent de 50%, la capacité d’emprunt augmente presque du même montant. Tous les acquéreurs potentiels peuvent alors mettre davantage d’argent sur la table, ce qui par conséquent donne lieu à une hausse des prix des meilleurs logements. On note alors une baisse des taux d’emprunt nominaux depuis une vingtaine d’années pour arriver à un taux de 1,13% en juin 2021. Il faut bien préciser ici que ce ne sont pas les banques centrales qui définissent les taux auxquels nous empruntons, mais bien le marché et les forces sous-jacentes comme l’excès ou le déficit d’épargne, eux-mêmes des conséquences de la démographie, des rendements du capital et des risques. Les banques centrales contrôlent les taux à court terme, c’est-à-dire ceux qui concernent la demande de monnaie et de l’investissement. On observe ainsi une tendance à la baisse des taux d’intérêt qui explique la hausse tendancielle des prix de la terre dans le monde entier. La baisse du taux d’intérêt apparait alors comme un phénomène de long terme sur lesquelles les politiques économiques n’ont pas de prise.

Les prix des loyers dépendent ainsi du taux d’intérêt, mais également des loyers. Il s’agit d’un marché sur lequel se trouve des biens destinés à se loger et aussi à être loués, ce qui permet de les valoriser comme des actifs financiers. Si l’on prend l’exemple de quelqu’un qui souhaite investie dans une construction de logement à usage locatif, plus le taux d’intérêt est élevé, plus les charges d’emprunt vont être lourdes. Néanmoins, le bailleur pourra augmenter le loyer afin que celui-ci corresponde à la valeur locative, supérieure à la valeur du loyer plafonné. Cela dépend évidemment des conditions de marché, donc de la croissance. Ainsi, le lorsque le loyer est en croissance régulière, c’est la différence des taux d’intérêt par le taux de croissance qui compte pour la valorisation d’un bien immobilier. Plus cet écart est réduit, plus les prix vont s’envoler par rapport aux loyers. La Banque de France indique que depuis 2000, les taux d’intérêt nominaux des crédits immobiliers consentis une année donnée ont toujours excédé le taux de croissances des loyers, même si l’écart se resserre au fil du temps. Depuis 2019, nous sommes ainsi dans une situation où l’écart de taux d’intérêt et de taux de croissance se resserre à moins de 1%. En effet, plus les taux d’intérêt s’approchent du taux de croissance, plus les prix décollent. 

La baisse des taux d’intérêt peut conduire à l’émergence de bulle d’actifs, car ces dernières sont en relation directe avec le fait de savoir si la différence entre les taux d’intérêt et la croissance reste positive ou non. Une bulle d’actif est un phénomène de valorisation où le prix d’achat est déconnecté des rendements de l’actif, car les investisseurs privilégient la valeur de revente espérée et non pas les perspectives de dividendes. Par exemple, quelqu’un obtient un actif à un prix de 100 qui ne produit aucun rendement et espère le revendre dans un an avec une plus-value supérieure ou égale au taux d’intérêt sans risque, ce qui est complètement irrationnel. Il est ainsi clair qu’une bulle spéculative est par essence irrationnelle du fait qu’elle ne peut progresser éternellement. Si cela était compris, les bulles ne devraient pas exister et les investisseurs devraient tous vendre les actifs spéculatifs. Néanmoins, dans le cas d’un régime où la croissance de l’économie est supérieure au taux d’intérêt, les bulles spéculatives peuvent survivre durablement et améliorent la circulation du capital en plus de pousser l’investissement à la hausse. La logique du long terme est cependant fragile, car si le taux d’intérêt remonte au-dessus du taux de croissance, son explosion risque d’approcher à grands pas. 

Quoi qu’il en soit, la hausse des prix des loyers est inscrite dans l’évolution de l’économie. La baisse des taux d’intérêt est un facteur majeur du détachement entre la hausse des loyers et celle des prix de l’immobilier qui l’a largement dépassée. Il n’est toutefois pas certain d’affirmer que cette hausse résulte d’une bulle immobilière. Déjà en 2007, il n’avait pas été possible de dégager un consensus sur la question. Le problème majeur d’une bulle immobilière c’est qu’elle donne les preuves concrètes de son existence seulement après son explosion, car une partie des éléments constituants sont invisibles, notamment les anticipations de croissance des loyers. 

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La période actuelle de faible taux d’intérêt s’additionne à d’autres éléments intéressants. L’épargne des ménages augmente notamment à cause du Covid qui a empêché les ménages de consommer et en soutenant les revenus des ménages en question par des aides financières durant la crise. Aussi, la croissance, spécialement celle de la productivité totale des facteurs, qui assure la croissance de nos niveaux de vie, n’a cessé de baisser depuis la crise des subprimes. En définitive, la hausse des prix de l’immobilier est en grande partie liée à des phénomènes macroéconomiques. C’est aussi un sujet qui donne naissance à des débats d’opinions intéressants concernant la richesse, le patrimoine et les cycles macroéconomiques. 

Les dynamiques de la demande

Comprendre l’évolution des prix de l’immobilier nécessite de se pencher sur d’autres phénomènes de long terme que l’on nomme « facteurs de la demande ». Il est incontestable que la baisse des taux d’intérêt a suscité une hausse de demande de logements de la part de la classe moyenne. Cette baisse continue des taux d’intérêt permet le développement du crédit immobilier à un cercle de plus en plus large ajouté au fait que la croissance de la population ainsi que la concentration de l’activité économique dans les villes viennent renforcer la pression sur le foncier de certaines zones. Néanmoins, la hausse généralisée des prix de limmobilier dans le monde a forcément une origine multifactorielle. Il s’agit ici de s’intéresser sur la valorisation des terrains urbains et les facteurs qui influent sur la demande de ce type de terrain. 

La demande de terrains 

La demande de terre urbaine est soutenue et excédentaire. La croissance démographique, la croissance économique et le vieillissement sont autant d’éléments qui sont liés et qui augmentent la disponibilité à payer pour un même terrain en monnaie réelle. Concernant la valorisation de la terre, le premier élément important à prendre en compte est celui de l’enchère. En effet, la valorisation de la terre est donnée par la disponibilité à payer de l’acheteur marginal, elle appartient donc à celui qui peut mettre le prix le plus élevé. Les résidences secondaires posent un problème particulier. Dans les années 1950, il n’était pas possible de prévoir que l’accroissement du niveau de vie allait aboutir à ce qu’une part importante de Français achètent un second lieu de résidence au lieu de faire d’autres dépenses. Pour que les prix de l’immobilier n’augmentent pas plus vite que le revenu national, il faudrait que l’offre du foncier croisse plus vite que la croissance économique. Le dernier point à relever concernant le lien entre la croissance et le prix de l’immobilier est celui de la mobilité géographique vers les métropoles et le littoral. L’attractivité des grandes agglomérations fait mécaniquement monter les prix du foncier au niveau national tout simplement, car la part de la population habitant une zone moins chère baisse et que la part de la population habitant une zone plus chère augmente. Ce phénomène n’aurait pas lieu si les gens ne bougeaient pas de là où ils sont nés. L’accroissement de la population en métropole ainsi qu’au sein de littoraux, sur la Côte d’Azur ou en Haute-Savoie, participe à l’augmentation des prix des logements. 

Habitats et densification urbaine

Au-delà de ces facteurs de croissance interne des prix du foncier, il faut également examiner à présent le rôle des choix sociétaux pour la densité ainsi que de l’intégration européenne. Dès les années 1960, les idéaux urbanistes ont été à l’origine de la promotion d’un habitat collectif peu gourmand en termes de foncier. Même si les jugements sur ces habitats sont aujourd’hui plus que nuancés, ils représentent à l’époque un véritable gain de confort sanitaire par rapport au parc de logement de l’époque. À la veille du choc pétrolier de 1973, la construction des grands ensembles n’est déjà plus à la mode. La plupart des politiques publiques de l’époque favorisent la propriété davantage que la location, les propriétaires passent de 45% en 1970 pour atteindre 58% en 2010 avant de stagner depuis. Ce soutien à l’accession du patrimoine est induit par le contexte du souffle libéral de l’époque qui mettait au centre l’individu et non plus le collectif. En 2020, 55% des logements étaient individuels et 45% étaient collectifs. On pourrait estimer que ces chiffres vont augmenter à l’avenir en faveur du logement individuel, mais rien n’est moins sûr. En effet, alors que les prix des appartements parisiens par exemple sont presque en stagnation en 2020 au rythme de l’inflation avec +1,7%, l’indice des prix des maisons en Île-de-France s’envole, avec +7,1%. 

La comparaison des prix de l’immobilier dans les grandes villes françaises et allemandes en 2010 montre que les prix étaient de 50% plus élevés en France qu’en Allemagne. Or les prix ont depuis largement augmenté en Allemagne, resserrant l’écart autour de 15% courant 2018. La convergence à la hausse par l’Allemagne soutient l’idée de du poids la valeur de la terre urbaine en France. Il est ainsi possible de la considérer comme une potentielle base fiscale. 

Le malthusianisme foncier, une préférence française

Les pays de la zone euro sont contraints aux mêmes normes et taux d’intérêt, mais ils n’ont pas tous connu la même évolution du prix du foncier. Pourquoi le marché français est-il alors si spécifique ? 

Tout d’abord les aides au logement ont représenté 37 milliards d’euros, soit 1,6% du PIB en 2020. Ces aides renforcent au final la rentabilité de l’actif logement et cela soutient l’augmentation du foncier urbain. L’argent déversé dans la politique du logement va naturellement contribuer à la hausse du prix du foncier. 

Ainsi, les problèmes de régulations en France, que ce soit le localisme ou la gestion foncière, montrent la difficulté de l’offre urbaine à réagir à la demande, dont l’intensité se reflète par conséquent dans les prix de l’immobilier. En Europe, la France apparaît avec l’Autriche comme l’un des pays avec une politique d’urbanisme des plus restrictive. L’étalement urbain est donc largement encadré. Au contraire, aux États-Unis, l’étalement urbain ne fait pas peur et fait partie du mode de fonctionnement américain. En conséquence, ce pays possède une réactivité de l’offre au prix six fois supérieure à la France. Sans pour autant préconiser l’étalement urbain, il serait temps d’admettre que sa limitation a nécessairement un prix : le foncier devient de plus en plus cher à mesure qu’il est de plus en plus recherché. La règlementation en matière d’urbanisme en France semble faire face au dilemme au travers de la question de l’étalement urbain. 

À tout cela s’ajoute la loi « Climat et résilience » promulguée en août 2021 qui régit désormais la notion d’artificialisation des sols et introduit ainsi la rareté. L’écologie rejoint alors l’intérêt des propriétaires fonciers. Cette loi a pour objectif de diminuer par deux la consommation d’espaces agricoles et naturels dans la prochaine décennie par rapport aux dix dernières années. Plus précisément, toute terre agricole ou naturelle qui sera utilisée à des fins de logements devra être équilibrée par le retour à la nature d’un terrain artificialisé de la même superficie. Il est certes évident que la diminution des espaces agricoles et naturels est néfaste pour l’environnement. La France est d’ailleurs légèrement au-dessus de la moyenne européenne sur le sujet. Néanmoins, la consommation de terres agricoles et naturelles a notablement diminué sur la décennie 2010 par rapport à la précédente. Quoi qu’il en soit, la clôture de la ville sur elle-même ne peut que renchérir le foncier. 


TROISIÈME PARTIE. Comment tirer parti de la richesse-terre ?

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Si la réserve de richesse liée à la terre semble importante, il est nécessaire de regarder à présent s’il est possible d’en tirer parti pour consolider notre modèle social. Il est dommage de voir que le débat public néglige la question de la taxation de la terre en matière de fiscalité. En outre, entre les retraites, la dette, la santé, ou encore l’éducation, nous avons besoin d’un financement conséquent. Notre système fiscal se doit d’être solide, d’autant plus concernant les questions actuelles de transition énergétique. Nous allons donc passer en revue les arguments en faveur et ceux en défaveur de la taxation de la terre. L’analyse repose sur le fait que les bases fiscales, c’est-à-dire le montant de la richesse que l’on souhaite taxer, réagissent à la fiscalité. La théorie de la fiscalité optimale consiste à taxer ce qui ne réagit pas à la taxation, au moment du prélèvement d’un montant donné, peu importe le motif. 

Même si la théorie moderne de la taxation du capital et du patrimoine a beaucoup évolué, elle reste soumise à de nombreux paradoxes. Le capital fait en effet intervenir deux phénomènes complexes à appréhender, le risque et le temps. Au niveau international, même si l’épargne nationale diminue, il est possible de trouver d’autres sources de financement en faisant appel au crédit bancaire ou en proposant son crédit à des investisseurs étrangers. Les débats sur les questions de taxations semblent être devenus ces dernières années une forme avancée de la lutte des classes. Si le capital est certes détenu par les plus aisés, disposant des patrimoines les plus importants tandis que le travail est offert par la quasi-totalité de la population active, peu importe le patrimoine. Ainsi, il semble juste de vouloir alléger la fiscalité du travail et d’augmenter la fiscalité du capital. Cette question de taxation du capital doit s’appliquer sur le court terme. Il s’agit donc de taxer seulement dans le présent, en promettant de ne plus taxer le capital dans le futur pour ne pas décourager l’investissement à venir. Taxer le capital est donc possible sous certaines conditions. Il semble néanmoins idéologique de vouloir surtaxer le capital financier des entreprises lorsqu’il existe une richesse considérable immobilière. Cette dernière représente cinq fois le PIB en 2019 dont une partie, trois fois le PIB, n’est autre que la rente foncière. Il existe ainsi une énorme base fiscale sous-jacente qui réagit peu à la fiscalité, la terre. Cette solution de taxation de la terre peut ainsi être un moyen durable de maximiser l’emploi et l’investissement en assurant la pérennité du modèle social grâce à la manne foncière, plutôt que de vouloir taxer le capital et la production au détriment de l’investissement et de l’emploi. 

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En outre, la taxation du capital foncier se heurte à des réalités économiques : les bases fiscales réagissent aux taux d’imposition et les décisions publiques doivent s’accommoder de la réalité. Le souhait de taxer davantage doit servir à augmenter les rentrées budgétaires afin de financer les dépenses publiques, redistribuer plus ou encore rembourser la dette. 

Taxer sans décourager ? 

Mais alors, comment taxer le capital sans décourager l’investissement ?  Ce que l’on recherche à propos d’une base fiscale, c’est qu’elle ne s’évanouisse pas au moment de la taxer. Ainsi, taxer les décisions futures et l’investissement est pénalisant pour l’économie dans son ensemble. 

Il faut généralement éviter de taxer le produit de l’investissement pour ne pas le réduire. Ainsi, concernant la taxe, il faut se concentrer sur la terre et non le bâti. Si l’on imagine une société divisée entre possédants et exploités concernant le logement, il est possible de penser une manière efficace de lutter contre cette inégalité. Il faut imaginer un objectif social, dont la somme du bien-être des individus doit être la plus haute, en attribuant des poids différents aux individus selon leur richesse, en augmentant le poids des plus pauvres. Or, si l’on taxe les revenus pour redistribuer aux plus pauvres, les capitalistes n’investissent plus et le bien-être de tous s’effondre. Il faut donc trouver une autre solution, différente d’une gestion collective du capital. La solution n’est donc pas de taxer le capital productif, mais de taxer la terre. Les ressources fiscales récupérées pourront être en partie redistribuées aux travailleurs afin d’améliorer leur niveau de vie, en consacrant d’avantage de leurs revenus dans leur logement. En outre, les revenus bruts des possédants sont plus élevés avant investissements, mais doivent compenser les taxes sur la terre. Finalement, en taxant la rente foncière et non le capital, tout le monde bénéficie du même niveau de bien-être. Le raisonnement tire sa force d’une situation de départ ultra-inégalitaire. Tout cela souligne l’intérêt de la taxation de la rente foncière.

Une fois la proposition faite sur la taxation de la richesse foncière, à usage professionnel ou de logement, il faut regarder sur le monde non marchand, c’est-à-dire hors des ménages et des entreprises. Parmi la valeur française du foncier sous-jacent, 2 000 milliards sur 7 000 milliards concernant les sociétés financières et non financières. Il reste donc une richesse à tirer de la terre au sein des autres compartiments de la communauté nationale dont la majeure partie est celle des administrations publiques et les institutions sans but lucratif. Il ne s’agit cependant pas de taxer le secteur public ou associatif au même taux que les acteurs privés, car ils fournissent des services publics et contribuent à des externalités positives. Une taxe d’un taux plus faible est un moyen parmi d’autres d’internalisation de ces effets externes. 

Taxer la terre : une idée née avec l’économie politique 

Cette idée de taxer la terre a passé l’épreuve des siècles. Plus que cela, l’idée de taxer toute terre à un taux uniforme est une idée ancienne. La Révolution française avait adopté la taxe foncière en 1790. Mais la taxe sur la terre remonte encore à plus loin. La terre comme source de valeur et de revenu pour l’État avec l’impôt foncier a conduit à la naissance de l’économie politique au XVIIIe et XIXe siècle. Les penseurs, comme le Français François Quesnay, l’Anglais Adam Smith ou Robert Malthus, sont ceux qui ont porté le développement de cette idée. La propriété de la terre et sa valeur reste un thème important dans les débats de la doctrine économique fin XIXe. Cependant, à l’époque, le sujet tourne autour de la rente agricole, en laissant de côté la rente urbaine. Il faudra donc attendre l’analyse néoclassique et les théories économiques de la fin du XXe siècle pour enfin comprendre l’intérêt de la hausse de la rente foncière urbaine.  

Pour l’école classique, la rente est la rémunération d’un facteur non produit comme la terre. Le profit, en revanche, rémunère un investissement réalisé dans le passé proche ou lointain. La compatibilité nationale actuelle est l’héritière de cette tradition qui distingue deux grandes catégories de patrimoines entre actifs, produits et actifs naturels comme la terre. 

Pour l’école des physiocrates, la terre est la seule source de valeur. Cette idée ne peut plus être prise au sérieux dans sa généralité aujourd’hui, même s’il existe des exemples pour lesquels cette idée demeure juste comme les appellations d’origine protégée (AOP) pour le vin, où la qualité de la terre détermine en grande partie la qualité du produit. 

Pour Malthus et Ricardo, le cœur de l’analyse repose sur une tension entre les ressources naturelles rares et les besoins d’une population en croissance. Si l’économie et la population se portent bien, la terre va bientôt faire son effet et la famine, l’épidémie et la maladie vont faire revenir la population à son niveau d’équilibre. À l’inverse des physiocrates, Ricardo considère que le prix fait la rente et non l’inverse. Le promoteur va déterminer le prix maximal qu’il est prêt à payer pour un terrain, en calculant sa marge entre ses dépenses et le prix auquel il pense pouvoir vendre les logements projetés. 

Nationaliser les sols ? 

Au siècle suivant, cette idée a prospéré sous d’autres formes, comme au travers de l’idée d’une rente foncière mise au service de la collectivité. En effet, l’économiste français Léon Walras a mis en avant une idée de nationalisation des sols accompagnée de leur location, devant suffire à subvenir aux besoins de financement de l’État. La propriété du sol serait alors un monopole privé indu d’une ressource collective. Les hommes doivent posséder en commun ce que la nature a donné à tous, notamment les ressources naturelles, dont la terre. Tout individu doit profiter de ce capital naturel au service de la rente qu’il procure et qui servira à financer les services publics. Ainsi, tous les impôts sur le capital et le travail seront abolis. 

Hausse des prix urbains

Il est à présent nécessaire d’expliquer l’explosion sur la longue période de la valeur des terres dans les zones urbaines. Deux champs d’approches permettent d’aborder la question, notamment l’économie urbaine et l’économie géographique. D’abord, l’urbanisation a progressé à une vitesse sans précédent depuis deux siècles, partout dans le monde, passant de moins de 10% en 1800 à 55% en 2021, avec des taux de 80% aux États-Unis et en France. Au fur et à mesure que le coût de production des biens a diminué et que la création de valeur se trouve dans leur conception, les activités du marketing et les usines se sont déplacées en périphérie et les bureaux se sont localisés en centre-ville. Ainsi, une augmentation de la population permet un accroissement de l’activité traduisant des rendements croissants, cela étant à l’origine d’un phénomène de boule de neige urbain qui se manifeste dans les métropoles. 

La valeur de la terre en ville capitalise les services rendus par les investissements publics locaux, comme la construction d’une gare qui fait flamber le prix des terrains aux alentours. Cette taxe organise en quelque sorte un juste retour pour l’investissement public. Ce théorème fonde d’ailleurs les principes sur lesquels sont fondées les finances publiques locales dans de nombreux pays. 

La mise en pratique de ces idées est évidemment difficile. Certaines circonstances historiques permettent néanmoins de refonder la propriété de la terre. Par exemple, à Singapour, 90% du sol appartient à l’État ou à des entreprises publiques, grâce à une politique de rachat systématique. L’Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore l’Afrique du Sud ont expérimenté une taxe foncière. En Europe, l’Estonie a mis en place dès 1993 une unique taxe foncière. 

En définitive, l’histoire économique de la terre se caractérise par l’apparition de la distinction entre la rente et le profit, l’utilisation de la rente foncière pour financer les biens publics, le rôle accru du logement au détriment de la terre agricole et les implications pour la conception de l’impôt. 

QUATRIÈME PARTIE : Une aubaine pour l’économie et le modèle social français

Taxer la terre à la place du capital productif et des salaires 

Le point clé est de faire basculer sur la terre les charges et les impôts qui pèsent sur le capital productif et les salaires. Par ailleurs, il est clair que l’immobilier est aussi le résultat d’investissements. Ainsi, il s’agit de proposer de taxer uniquement la terre, mais de préconiser l’abolition de la taxe foncière, car cette dernière est calculée sur la valeur des biens et non sur la base exclusive de leur emplacement et de la superficie du terrain. Il faudra abolir les autres taxes sur l’immobilier, jusqu’à l’IFI. 

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La vieille antienne des hausses d’impôts

L’économie repose sur la main-d’œuvre et le capital productif. En France, par rapport à d’autres pays européens, on constate que la quantité de main-d’œuvre employée est faible par rapport à la population en âge de travailler, tout comme l’est le stock de capital installé par rapport à la population active. Le taux de chômage restait plus important en France qu’en Allemagne, résultant d’un taux d’emploi faible. Tout cela est bien connu, il désormais nécessaire de se pencher sur la tendance nouvelle du départ des travailleurs les plus qualifiés pour l’étranger. Le départ des plus qualifiés entraîne un déséquilibre des comptes publics. Une partie de la jeunesse part à l’étranger, à la recherche d’emplois plus attractifs et plus lucratifs. On considère généralement qu’un jeune sur vingt part à l’étranger. Même si la quantité semble faible, le problème pèse sur le système de solidarité entre générations sur lequel est fondé le système de redistribution français. Les jeunes générations doivent financer les retraites et les dépenses de santés des vieilles générations. Ce départ des jeunes entraîne ainsi un déficit du système de Sécurité sociale, et ce pour plusieurs dizaines d’années. À cela s’ajoute la baisse de 100 000 naissances ces cinq dernières années. 

Faiblesse du capital productif

Un autre outil de comparaison est celui de la faiblesse du capital productif installé en France. Ce point est souvent méconnu. Le capital des entreprises concerne la valeur des bâtiments sans le foncier, les matériels et logiciels installés sur le territoire d’un pays. 

Pour une entreprise française comme Michelin par exemple, seule la valeur des établissements installés en France sera comptabilisée. Un établissement Michelin en Espagne sera comptabilisé pour l’Espagne. Il ne faut donc pas confondre le capital de l’entreprise avec le patrimoine financier. Une étude de l’OCDE montre que la France possède le plus petit capital productif par tête des cinq grands pays d’Europe et rien n’indique qu’elle soit en voie de rattrapage. Le constat est clair : il y a peu d’établissements pour produire le « made in France ». Ces révélations font penser à une taxation excessive de ces deux facteurs de production qui décourage leur utilisation. En effet, concernant les entreprises, les impôts de production et sur les sociétés sont plus élevés que chez nos concurrents européens. Concernant la population active, pour un coût du travail à peu près équivalent, les salaires dans l’industrie allemande sont plus élevés que ceux dans l’industrie française. La valeur du patrimoine immobilier et foncier lié au logement est six fois supérieure à celle du capital productif installé en France. Ce même ratio est de 2,4 en Allemagne et de 3,6 au Royaume-Uni. Ce qui démontre que la France possède une forte préférence pour la richesse immobilière et compte tenu de ses besoins importants pour financer le pacte social, elle prélève ses recettes fiscales sur le capital productif. 

Le taux moyen des taxes sur le capital des entreprises françaises est de 5,5% sur 2 000 milliards d’euros. Or la somme de tous les impôts et taxes sur l’immobilier résidentiel représente un taux dix fois moindre, de 0,5% sur un volume de 10 000 milliards d’euros. 

Nous proposons alors de supprimer une partie des charges et impôts existants sur le travail et le capital ainsi que les impôts sur la partie « bâti » de l’immobilier, afin de les basculer vers la terre pour contrecarrer les inefficacités économiques du système actuel. 

Ceci posé, les auteurs présentent le scénario de leur réforme fiscale :

Le scénario proposé est le suivant. 

Il faudrait supprimer deux taxes foncières (concernant autant les entreprises que les ménages), soit 35 milliards d’euros en 2019, ainsi que toutes les autres taxes portant sur le logement hors TVA, soit 60 milliards d’euros. Cette suppression permettrait d’alléger les contribuables et de gagner en efficacité. En effet, le système fiscal actuel taxe les transactions immobilières, ce qui freine la mobilité des ménages. 

La base fiscale sur laquelle ils proposent de calculer les montants nets est de 6 000 milliards d’euros, dont un tiers appartenant aux entreprises et deux tiers aux ménages. Il convient donc de taxer au minimum la valeur de la terre à 2% sur les 6 000 milliards détenus par les entreprises et les particuliers, qui permet de dégager 120 milliards d’euros. 

Une taxe de 2% permet donc de compenser les 60 milliards de taxes sur l’immobilier qu’ils souhaitent remplacer. Le surplus fiscal de 60 milliards d’euros ainsi dégagé pourrait servir à financer des baisses d’impôts sur le travail et le capital productif. 

Certaines difficultés sont présentées comme insurmontables, or il existe des solutions. Par exemple, que faire d’une personne âgée aux faibles revenus, mais qui possède une grande maison à l’île de Ré. Ici, les enfants peuvent se cotiser pour payer cette taxe foncière s’ils veulent qu’elle reste dans le domaine familial. Sinon, on peut retirer l’impôt concernant cette personne âgée avec une clause indiquant que le paiement interviendra au moment de la succession. Avec un taux d’imposition à 2%, il est peu probable que la dette fiscale excède la valeur de la succession. Il faudrait en effet 50 ans pour que la taxe reportée dépasse la valeur du foncier qui lui-même ne représente que la moitié de la valeur de l’héritage. Un autre obstacle à détourner est celui concernant l’actuelle taxe sur les propriétés bâties qui est particulièrement injuste pour les propriétaires accédants, qui ont une dette immobilière en cours. Cette réforme permet de réparer cette injustice. 

Pour un ménage qui a déjà payé une portion de son logement (apport personnel + part amoindrie du prêt) la taxe à acquitter ne représentera que cette fraction de la taxe au taux plein. La fraction complémentaire sera payée par la banque à l’origine du prêt, en proportion de la part non encore amortie. 

La taxe proposée est uniforme. Elle concerna l’ensemble des propriétaires, et frappera notamment ceux qui laissent leurs biens vacants, ou les incitera à les remettre sur le marché locatif ou à les vendre. 

À propos de l’auteur
Côme de Bisschop

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