Petit territoire disputé par l’Albanie et la Serbie, le Kosovo a été l’objet d’une guerre intense dans les années 1990. Le problème n’est pas résolu pour autant. Enjeu d’une mythologie politique, le Kosovo sert aussi d’exemple pour les drames de la guerre d’Ukraine.
Toute l’histoire du Kosovo, faite de grandes batailles, de luttes souterraines, de provocations, représente le résultat d’un processus complexe, marqué par l’évolution des nationalismes serbe et albanais et la formation des États nationaux respectifs.
L’émergence de la question du Kosovo et son évolution dans la première moitié du XXe siècle.
Au fil du temps, le sens de la question du Kosovo a changé. Elle a émergé au lendemain de la guerre russo-turque de 1877-1878. À partir de ce moment et jusqu’à 1913, elle a signifié pour les Serbes le problème du rattachement du Kosovo à la Serbie. Mais ces intentions expansionnistes se sont tout de suite heurtées au nationalisme albanais sur le terrain. Cette collision est la clef de toute l’évolution de la question du Kosovo. La première phase de cette opposition prit fin en 1913 où, avec le soutien de la Russie qui, seule des grandes puissances, avait pris le parti serbe dans la question du Kosovo, ce dernier fut rattaché à la Serbie.
Entre la Serbie et l’Albanie
De ce moment et jusqu’en 1941, pour la Serbie et ensuite pour la première Yougoslavie (1918-1941), la question du Kosovo résida dans la nécessité de s’approprier cette région et pour ce faire de régler la question de l’intégration des Kosovars (à savoir les Albanais du Kosmet) dans l’État slave et de modifier la structure de la population au profit des Slaves, surtout des Serbes. Proclamé le 1er décembre 1918, le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes réunit, outre le Kosovo au sein de la Serbie, la Métochie comme partie intégrante du Monténégro. Donc, à partir de ce moment, la question du Kosovo est en réalité devenue celle du Kosmet (Kosovo-Métochie). Parallèlement, à partir de 1913, pour le mouvement nationaliste albanais, la question du Kosovo était constituée par le problème du rattachement de cette région à l’Albanie, ce qui prit la forme du mouvement de kačaks sur le terrain (étouffé par Belgrade vers le milieu des années vingt) et la forme de pétitions contre la violation des droits des Kosovars adressées à la Société des Nations. C’est aussi pendant cette seconde phase de l’évolution de la question du Kosovo que, pour la première fois, son instrumentalisation par des acteurs extérieurs (l’Albanie et l’Italie) commença.
En 1941-1944, durant la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la libération du Kosmet, pour les dirigeants de deux Partis communistes yougoslave et albanais, la question du Kosovo était, avant tout, constituée par le problème de l’engagement des Kosovars dans la lutte contre les fascistes. Pour le mouvement nationaliste albanais, c’était la question du maintien du Kosmet dans l’Albanie ethnique en vue de la formation ultérieure de la Grande Albanie.
La question du Kosovo dans la Yougoslavie socialiste.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’au milieu des années cinquante, pour la deuxième Yougoslavie (1945-1992), la question du Kosovo signifia la réintégration du Kosmet dans l’État yougoslave, y compris l’engagement des Kosovars dans les structures d’État et du Parti communiste yougoslave. Cette période fut aussi marquée par des tentatives d’instrumentalisation de la question du Kosovo par le Kremlin. À partir de la fin des années soixante, pour les pouvoirs serbe et yougoslave, la question du Kosovo devint un problème de séparatisme intérieur, caractérisé par la lutte des Kosovars pour l’élargissement des droits du Kosmet au sein de la Yougoslavie. Dans les années 1980, ce mouvement se changea en lutte pour l’indépendance des Kosovars de la République de Serbie au sein de la Yougoslavie et la question du Kosovo prit alors la forme sous laquelle elle allait être connue de toute la communauté internationale et entrer pour la première fois dans l’arène internationale.
Pendant toute l’histoire de la Yougoslavie socialiste, la question du Kosovo revêtit une dimension serbe, avec le problème des Kosovci (Serbes du Kosmet), ce que les pouvoirs yougoslaves et serbes essayaient de dissimuler en partant de la thèse que la question nationale était résolue. Mais c’est cette dissimulation qui allait contribuer beaucoup à l’essor du nationalisme serbe et à l’émergence du phénomène de S. Milošević à la fin des années 1980.
Dans les années 1960-1980, la question du Kosovo prit, jour après jour, la forme d’une crise dont l’évolution connut quatre étapes principales. La première correspond à la naissance de la crise. Cette étape commença au lendemain du plénum de Brioni de 1966, dont un des résultats fut un changement notable dans la politique fédérale par rapport du Kosmet qui conduisit à un certain processus de libéralisation. Cette libéralisation, à son tour, constitua le fondement qui permit à la réforme constitutionnelle (1967-1971), puis à la nouvelle Constitution yougoslave de transformer la Province autonome de Kosovo et Métochie en un élément constitutif de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, et de lui accorder les compétences d’un État, et avant tout, le droit de promulguer les lois. Cependant, ces compétences très larges se trouvaient en contradiction avec le statut du Kosmet au sein de la Yougoslavie, car il restait une province autonome et non une république. Cette contradiction contribua à l’aggravation de la situation au Kosmet, une situation compliquée par son sous-développement économique et l’essor démographique de sa population kosovare conduisant à l’augmentation de la jeunesse étudiante ou instruite, mais sans-travail. C’est pourquoi la dernière période de cette étape (1981-1989) se caractérise par des turbulences accrues, également nourries par les revendications des Kosovci de plus en plus teintées de nationalisme, dont S. Milošević, leader de la Ligue des communistes de Serbie depuis 1986, puis, à partir de 1991, président de la Serbie, fit un objectif politique.
L’aggravation permanente de la crise du Kosovo dans les années 1990
La ligne de partage entre les première et seconde étapes fut l’année 1989 avec l’adoption de la révision de la Constitution de la Serbie visant à la diminution des compétences du Kosmet et la formation de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), le plus grand parti des Kosovars ayant à sa tête I. Rugova, favorable à la pratique de la non-violence. La deuxième étape est constituée par le développement de la crise, où les Kosovars firent tout pour constituer un État indépendant au Kosmet, tandis que les pouvoirs serbes tâchaient de les soumettre et de rattacher la province à la Serbie. Le démembrement de la Fédération yougoslave que la Slovénie et la Croatie lancent en 1991, semble-t-il, le coup d’envoi à la crise du Kosovo, mais, en réalité, il donne un fond dramatique à son approfondissement latent : se forme alors l’UÇK[1], aile militaire du mouvement pour l’indépendance des Kosovars, tandis que le régime de S. Milošević s’affaiblit en tentant de profiter de la question du Kosovo pour rester au pouvoir.
La manifestation de l’UÇK et l’intensification de son activité ont lieu pendant la troisième étape, celle du sommet de la crise. Cette étape qui commence avec l’achèvement de la guerre de Bosnie en décembre 1995 voit la communauté internationale se préoccuper de la violation des droits des Kosovars. À son tour, la situation sur le terrain se caractérise par une aggravation permanente – explosions et assassinats, ce qui montre à tout le monde que les pouvoirs serbes ne réussissent pas à mettre de l’ordre au Kosmet et ne maîtrisent plus la situation.
Enfin, la quatrième étape est constituée par la phase militaire, le conflit du Kosovo, c’est-à-dire par des tentatives pour résoudre la crise du Kosovo par le recours à la force militaire. Le trait principal de cette étape est l’internationalisation toujours croissante qui encourage une partie – les Kosovars et décourage une autre – les Serbes. Cette étape se partage lisiblement en deux phases : le conflit entre l’UÇK et les forces serbes (mars 1998 – mars 1999), puis l’entrée en fonction de l’OTAN et l’internationalisation militaire du conflit (24 mars – 10 juin 1999).
L’instrumentalisation comme la force motrice
La crise du Kosovo est le fruit et le triste bilan de l’opposition entre les intérêts du nationalisme albanais et ceux de l’État serbe. Ce sont le nationalisme albanais et le nationalisme serbe qui ont constitué les forces motrices non seulement de la question du Kosovo, mais aussi de ses formes les plus aiguës (d’abord la crise et puis le conflit). Cependant, d’autres paramètres ont joué : une instrumentalisation intérieure de la question, c’est-à-dire celle qu’ont menée non seulement les dirigeants yougoslaves et serbes, mais aussi les dirigeants albanais du Kosmet, et une instrumentalisation extérieure, de la part de l’État albanais et des puissances occidentales. Pendant tout le XXe siècle, l’instrumentalisation de la question du Kosovo a touché presque tous ses aspects : du mythe kosovien jusqu’à la tragédie à Račak (janvier 1999). Cette exploitation d’un problème complexe à des fins politiques contribua beaucoup à son aggravation, en empêchant non seulement sa résolution, mais même toute production d’un discours ou d’une perception non-engagée et non-politisée.
Quant à l’instrumentalisation extérieure, l’Albanie, qui cherchait l’appui de Staline pour se rattacher le Kosmet dans la seconde moitié des années 1940, soutenait les manifestations des Kosovars dans les années 1980 et devint le premier État, reconnaissant la République du Kosovo autoproclamée en octobre 1992, fut un acteur essentiel dans la crise du Kosovo. C’est, de fait, la proximité géographique de l’Albanie, la frontière commune albano-yougoslave qui constituèrent le principal facteur extérieur empêchant la résolution du problème du Kosovo. Ce facteur alimentait, d’un côté, les espoirs spirituels nationalistes des Kosovars, et de l’autre côté, fournissait en besoins matériels les indépendantistes, de l’UÇK.
Les Occidentaux devant la crise du Kosovo
Les Occidentaux, en particulier les Européens, ne commencèrent à s’engager vraiment dans le règlement de la crise du Kosovo qu’à la fin de 1997, à un moment où il était déjà tard pour tenter de mettre en place une diplomatie préventive, mais où c’était peut-être encore possible. Cependant, la diplomatie européenne préféra suivre un chemin tout tracé dont le sens principal était de multiplier les pressions sur S. Milošević, d’abord au moyen des sanctions, puis en recourant à une intervention militaire de l’OTAN, sans chercher à conjurer le renforcement de l’UÇK. C’est dans ce contexte que la diplomatie américaine en vint peu à peu à prendre des initiatives et à agir à partir de mai 1998, en entamant des pourparlers avec les indépendantistes, en proposant aux deux parties des projets sur l’autonomie future du Kosmet et enfin en initiant l’adoption des résolutions 1199 et 1203 par le CS de l’ONU et la signature de trois accords sur le Kosmet, acceptés par S. Milošević en octobre 1998. L’internationalisation de la crise du Kosovo en septembre – octobre 1998 mit en relief le facteur militaire : c’est en prenant en considération la puissance militaire croissante des États-Unis dans les Balkans, d’un côté, et au sein de l’OTAN, de l’autre, que les pays européens acceptèrent l’intervention militaire au Kosmet.
Le 24 mars 1999, l’OTAN commença à bombarder le territoire de la Serbie. On repère des jugements opposés sur l’opération otanienne du printemps 1999. Si les spécialistes occidentaux la trouvent légitime car, d’après eux, elle fut basée sur les résolutions onusiennes 1199 et 1203, les historiens russes et serbes la considèrent comme illégale et bafouant le droit international, car elle ne fut pas fondée sur une résolution spécifique du CS de l’ONU. Les bombardements continuèrent 78 jours et furent suspendus le 10 juin 1999 avec l’adoption par le CS de l’ONU de la résolution 1244 qui devint la base pour le déploiement au Kosmet de la Kosovo Force – KFOR, force armée multinationale sous l’égide de l’OTAN. La KFOR se déploya le 12 juin 1999 et continue son travail jusqu’à nos jours. Mais elle n’a pas réussi à conjurer de nouveaux affrontements interethniques au Kosmet dont le plus grave, qui est appelé parfois « la nuit de Cristal » a eu lieu en mars 2004. D’après les données Human Rights Watch, en deux jours, les 17-18 mars, 19 Serbes y sont tués, au moins 550 maisons serbes et 27 églises et monastères orthodoxes incendiés, 4 100 Serbes forcés à quitter leurs foyers. C’est pourquoi cette organisation humanitaire a constaté qu’au Kosmet, l’OTAN et l’ONU étaient « incapables de protéger les minorités ». À son tour, en 2006, l’UNESCO a inscrit les monuments médiévaux du Kosovo et de la Métochie – les églises et monastères orthodoxes sur la Liste du patrimoine mondial en péril.
Placé jusqu’à aujourd’hui sous les auspices de la KFOR, le Kosmet est reconnu depuis 2008 comme un État indépendant – la République du Kosovo (Republika e Kosovës) par plus de 100 pays, y compris les grandes puissances occidentales (États-Unis, Grand-Bretagne, Allemagne, France, Italie), mais il est considéré comme une partie intégrante de la République de Serbie (Republika Srbija) par d’autres 35 pays, parmi lesquels la Russie, la Chine, l’Espagne et, évidemment, la Serbie. Étant toujours un des sujets les plus litigieux de l’agenda international actuel, la question du Kosovo continue de rendre compliquée la situation régionale dans les Balkans, pendant que Republika e Kosovës sert d’exemple pour les mouvements séparatistes à travers tout le monde.
[1] Ushtria Çlirimtare e Kosovës (L’Armée de libération du Kosovo)
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