Le missile hypersonique. Symbole de la nouvelle puissance chinoise

28 octobre 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Sept. 3, 2025. (Liu Xu/Xinhua via AP, File)/PAR101/25269428398815/NO SALES, PHOTO PROVIDED BY XINHUA NEWS AGENCY FILE PHOTO/2509261400

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Le missile hypersonique. Symbole de la nouvelle puissance chinoise

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Début septembre, la Chine a présenté un missile hypersonique. Une entrée avec fracas dans le monde des grandes puissances militaires


A retenir

La Chine a dévoilé lors du défilé du 3 septembre 2025 ses armes hypersoniques, symbole d’une percée technologique et stratégique majeure.
Ces missiles, manœuvrables et quasi impossibles à intercepter, bouleversent l’équilibre militaire mondial et relancent une course aux armements.
L’avancée chinoise, fondée sur la magnétohydrodynamique, marque un tournant géopolitique comparable à la conquête spatiale du XXᵉ siècle.


Le 3 septembre 2025, jour que la Chine a nommé « Jour de la Victoire », Pékin a organisé un défilé imposant. Ces défilés sont généralement des scènes de puissance et d’unité nationales. Mais cette année, le défilé était exceptionnel : des armes hypersoniques de nouvelle génération étaient exhibées afin de montrer que la Chine venait de rejoindre un très petit groupe de pays avec cette capacité, annonçant un changement dans l’équilibre mondial des pouvoirs.

Une technologie perturbatrice

Il faut tout d’abord démystifier le terme « hypersonique ». Les missiles balistiques intercontinentaux classiques (ICBM) volent, à des vitesses hypersoniques Mach 5 et plus lorsqu’ils rentrent dans l’atmosphère sur le chemin vers leur cible. Pourtant, ce n’est pas seulement leur vitesse brute qui caractérise les nouvelles armes hypersoniques, c’est aussi l’exploitation de cette vitesse. Ils sont très manœuvrables grâce aux nouvelles plateformes de propulsion et de guidage, qui permettent au missile de changer de cap en vol. Les ICBM prennent une trajectoire courbe prévisible (Loi de Newton), tandis que les missiles de croisière hypersoniques peuvent rapidement changer d’altitude et de direction. Ce sont ces virages et ces changements de cap qui leur permettent d’éviter les systèmes antimissiles classiques, même si l’interception reste théoriquement possible avec la technologie actuelle.

Des origines françaises inconnues

Dans les années 1960, Jean-Pierre Petit, chercheur au CNRS et astrophysicien était à l’avant-garde de la recherche en magnétohydrodynamique (MHD). Ses recherches le menaient plus précisément à étudier l’influence des champs magnétiques sur les fluides conducteurs. Dans le même temps, la MHD faisait son entrée dans la culture populaire. En bon pédagogue, Petit présenta cette technologie à la télévision dans l’émission culte de science-fiction des années 80, Temps X. Le sous-marin furtif fictif « Octobre Rouge » du techno-thriller de Tom Clancy de 1984 était alimenté par la MHD. La France a été l’un des premiers pays à s’intéresser à la MHD, mais elle a finalement abandonné en raison d’un manque de financement et parce que bon nombre d’experts pensaient que l’application de cette technologie était impossible.

En revanche, la Russie a poursuivi ces recherches. Le coup de tonnerre se fit entendre le 1er mars 2018 lorsque le président Vladimir Poutine annonça que la Russie avait développé une série d’armes stratégiques avancées propulsée avec les technologies MHD. Lors d’un discours, il présenta plusieurs armes comme les missiles hypersoniques Avangard et Kinzhal, les drones sous-marins à propulsion MHD nucléaire. De tels systèmes basés sur la MHD pour la propulsion et le contrôle représentent des améliorations substantielles dans la technologie militaire.

Un message du passé

Pour le défilé chinois de 2025, les systèmes hypersoniques ont eu une signification importante mis à part « l’attrait esthétique » (comme le véhicule de glisse DF-ZF ou le missile anti-navire YJ-21 défilant dans les rues de la ville). Cette démonstration a servi d’emblème pour illustrer comment la Chine est passée d’un pays copieur à un générateur avancé d’armements. Le message était sans équivoque : la Chine est désormais une puissance militaire majeure. Les seuls deux pays avec des armes hypersoniques déployées haut de gamme sont la Russie, avec l’Avangard, et la Chine, avec le DF-17. La Corée du Nord a testé des systèmes similaires, y compris le Hwasong-8, mais leur performance reste inconnue à ce jour. Les États-Unis, pris de court sur la valeur stratégique des hypersoniques, sont maintenant en train de rattraper leur retard avec les puissances nucléaires concurrentes et prennent des mesures pour le faire avec l’AGM-183A ARRW (Air-Launched Rapid Response Weapon). Malgré les progrès, il existe encore des défis techniques, démontrant comment le contrôle du vol hypersonique reste une question compliquée.

Déséquilibre stratégique imminent

Le déséquilibre stratégique imminent devient plus visible avec cet écart technologique de plus en plus grand, obligeant les pays occidentaux à réévaluer leur posture de défense. Et c’est la tendance qui donne à Moscou et Pékin un avantage temporaire mais substantiel dans le nouvel ordre mondial qui émerge. Il est évident que les défenses antimissiles sont en danger. Cette compétition sur les armes hypersoniques est, à une échelle réduite, un écho de la course au développement des ICBM pendant la Guerre froide. Mais les hypersoniques présentent une distinction majeure : il y a peu de protection contre elles dans les défenses antimissiles existantes qui façonnent aujourd’hui les stratégies militaires américaines et alliées.

Le missile anti-navire supersonique chinois YJ-21, quant à lui, pourrait fondamentalement changer le calcul des engagements navals dans et au-delà de la mer de Chine méridionale. Tiré depuis la terre, la mer ou l’air, il pourrait frapper les porte-avions américains (le cœur de la projection de puissance américaine) et donner à la Chine une capacité destructrice crédible. Stratégiquement, l’armement hypersonique combine rapidité et survivabilité pour pénétrer les défenses antimissiles, perturbant les calculs de dissuasion. Comme l’histoire l’a montré, une telle action pourrait inciter à une nouvelle course aux armements et à un nouveau cycle d’escalade.

Vers un nouvel ordre stratégique

La magnétohydrodynamique est plus qu’un saut technologique, elle reflète une révolution dans les relations de puissance militaire et économique. Comme avec la course à l’espace il y a un demi-siècle, la MHD est maintenant un symbole de statut de puissance géopolitique. Les États-Unis, la Chine et la Russie investissent massivement dans cette course technologique alors qu’elle devient une compétition qui pourrait avoir des enjeux dangereux. Il y a plus que de simples enjeux matériels (émotion mise à part) en jeu. La MHD révolutionnera la guerre sous-marine avec des sous-marins et des torpilles silencieux et à grande vitesse lors d’une campagne pour dominer (par exemple) les goulets d’étranglement maritimes clés, tels que le détroit de Malacca et le canal de Suez.

Elle amplifie aussi la compétition géo-économique : ces systèmes dépendent d’éléments de terres rares et de supraconducteurs — des marchandises dominées par la Chine, qui gagne un pouvoir semblable au pays producteur de pétrole du siècle dernier.

Répercussions mondiales

La prolifération de la technologie hypersonique rend la compétition des grandes puissances encore plus rapide. Les États-Unis dépensent des sommes considérables pour développer de nouvelles défenses, y compris des lasers et des intercepteurs hypersoniques. Dans l’Indo-Pacifique, les alliés et partenaires, tels que le Japon, l’Australie, l’Inde et la Corée du Sud, approfondissent leurs relations de sécurité avec Washington par le biais d’accords comme l’AUKUS ou le Dialogue Quadrilatéral pour la Sécurité, connu sous le nom de Quad.

Avec son avancement la Chine dépasserait même la Russie (qui pourtant partait avec un avantage car pionnière) et ajusterait discrètement quelque peu cette coopération stratégique avec son voisin.

De plus, l’absence de réglementations internationales concernant les armes hypersoniques augmente encore plus l’incertitude dans un environnement mondial déjà compliqué.

Conclusion

Le défilé du 3 septembre 2025 restera dans les mémoires comme le jour où la Chine a rejoint l’élite des puissances hypersoniques ; tous ceux qui « ne peuvent/veulent pas comprendre » ou lire entre les lignes et continuent de rester ignorants en gardant la tête dans le sable. Ce n’était pas simplement une démonstration de force militaire, mais aussi un marqueur géopolitique. Les missiles hypersoniques sont bien plus qu’un nouveau type de gadget létal : ils représentent un monde où la technologie a donné une nouvelle dominance militaire.

C’est une course, et Pékin vient de tirer le coup d’envoi. Le missile hypersonique a soudainement émergé comme le totem de la puissance stratégique et la dernière frontière où les nations concourent pour la dominance.

Bibliographie

Ministère de la Défense chinois (PLA Daily)

US Naval Research Office (2023), « MHD Warfare: The Next Frontier »

China Academy of Sciences, « Blue Dragon Project: MHD Dominance by 2035 »

IRIS, « Géopolitique des Technologies Sous-Marines » (2024)

MHD and the Future of Naval Warfare », U.S. Naval Institute (2024)

« China’s Blue Water Ambitions: The MHD Factor », CSIS Report (2023)

« Geopolitics of Rare Earths in the Age of MHD », MIT Technology Review (2024)

Understanding China’s Victory Day Military Parade: Politics, Strength, Narrative

By Dr. Guangyi Pan – Australian Institute of foreign affairs (2025)

Xi showcases China’s military prowess in Kim, Putin’s presence, Vighnesh P. Venkitesh, The Hindu 3 septembre 2025

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À propos de l’auteur
Frédéric Rosard

Frédéric Rosard

Frédéric Rosard est docteur en mathématiques appliquées, consultant en intelligence économique et enseigne notamment à Sciences Po Paris

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