Le nucléaire demeure une source énergétique majeure

30 septembre 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : La central nucléaire de Cruas-Meysse en Ardèche, France.

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Le nucléaire demeure une source énergétique majeure

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Après avoir été mise à l’écart, l’énergie nucléaire connaît un grand regain d’intérêt. La guerre d’Ukraine et les risques de pénurie énergétique ont redonné toute sa place au nucléaire.

Maxence Cordiez et Stéphane Sarrace, L’énergie nucléaire, pour un monde en transition, Tallandier, 2025, 390 pages

Après avoir éprouvé une relative désaffection du fait de l’accident de Fukushima du 11 mars 2011, voilà que l’énergie nucléaire connaît un net regain d’intérêt. Ce sursaut contraste avec les vingt dernières années qui ont été des années noires. Aucun chantier n’a été réalisé à temps aux États -unis et en Europe. Alors que le coût des renouvelables chutait constamment, les surcoûts et les délais du nucléaire faisaient mauvaise figure. D’où l’utilité de cet ouvrage écrit par deux anciens du CEA qui présentent sans technicité excessive l’ensemble du cycle nucléaire de la réaction nucléaire, au fonctionnement des réacteurs et à la gestion des déchets. Ils s’étendent également sur les problèmes de sûreté nucléaire, font le point des accidents nucléaires, de Three Mile Island à Fukushima, décrivent les différents rapports entre nucléaire, société et environnement. Il n’est guère de questions qui échappent à leur sagacité.

Le renouveau du nucléaire

Le renouveau actuel du nucléaire – on parle d’un triplement des capacités d’ici 2050, ce qui nécessitera des investissements de plusieurs centaines de milliards d’euros, résulte de la conjonction de trois facteurs.

En premier lieu, les gouvernements désirent posséder des sources d’électricité stables, indépendantes et non intermittentes. Certes, le coût du nucléaire, nous indiquent les auteurs (60 euros le MWh pour la Commission de régulation de l’énergie, et 70 – 75 euros pour EDF) est plus cher que l’éolien et le solaire, mais moins que celui des énergies fossiles. Mais surtout il n’est pas émetteur d’émissions. Deuxième facteur de la renaissance du nucléaire : l’intérêt redoublé des GAFAM et des data centers, dont les besoins en énergie et en refroidissent vont croître de manière exponentielle, et que l’énergie verte, en dépit du dédain, affiche par Donald Trump, reste attractive. Sur ce point, notons qu’après une bataille ayant duré des années, du fait du blocage allemand, le nucléaire a reçu le label de renouvelable de la part de la Commission. Troisième élément peut-être décisif, de nouveaux modèles opérationnels, financiers et technologiques rendent le nucléaire plus aisément accessible.

Évolutions technologiques

Cela provient d’abord de l’évolution technique avec l’apparition de centrales nucléaires plus petites, plus robustes et plus sûres. La dernière partie du livre explique ce que sont ces centrales de l’avenir qui font l’objet d’un vif intérêt et drainent d’importants capitaux mis au service des diverses start ups se lançant dans cette direction. Ce sont les SMR (Small modular reactor) ou en français les PRM (petits réacteurs modulaires) sont des réacteurs de 3e génération de faible à moyenne puissance de 50 à 300 MW ; les AMR (Advanced modular reactor) qui sont de petite ou moyenne puissance, comme les SMR mais qui comportent des innovations technologiques comme l’utilisation de neutrons rapides) ; les MMR (Micro modular reactors ) et les vMMR ( very micro modular reactors d’une puissance entre 1 et 20 MWe). Les SMR ou AMR ont donc des puissances équivalentes à celle des plus gros sous-marins ou des porte-avions. Encore expérimentaux, ces petits réacteurs de poche pourraient avoir un fort impact économique, industriel et environnemental, d’ici 2030. Alors que les centrales classiques sont de la haute couture, ces derniers sont du prêt-à-porter, car ils sont modulables, fabriqués en usine, ce qui en réduit les coûts, puis assemblés sur le site. Ils sont aussi flexibles, il est possible d’en installer un seul ou d’en regrouper en fonction de l’évolution des besoins. L’intérêt porté par les géants du numérique a suscité la création de nombreuses start up à la recherche de solutions innovantes, qui ont levé des capitaux se comptant en milliards de dollars aux États-Unis. Leur puissance moyenne de 77 MW est déjà suffisante et leur délai de construction est réduit à 36 mois. Trois à cent fois moins puissantes que les réacteurs classiques, ils peuvent se substituer aux centrales à gaz, au charbon ou au fuel, fonctionner dans des endroits isolés, être utilisés pour la désalinisation de l’eau, produire de l’hydrogène, fournir de la chaleur et d’électricité à des industries à forte consommation énergétique.

La central nucléaire de Cruas-Meysse en Ardèche, France.

Vers de petites unités

Ces petites unités, MMR ou PRM ou même SMR font l’objet, deuxième élément du renouveau du nucléaire, de l’intérêt redoublé des GAFAM et des data centers, dont les besoins en énergie et en refroidissent vont croître de manière exponentielle. Les réacteurs novateurs suscitent également l’intérêt, un appel à projet financé » à hauteur de 500 millions d’euros a été lancé dans le cadre du programme France 2030. La France, et plus globalement l’Europe, est à la traîne en ce qui concerne la filière des mini-réacteurs nucléaires. Pour relancer la machine, il faudrait injecter un milliard d’euros par projet, alerte un rapport de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Pour la France, l’enjeu dépasse la simple innovation technologique. Le pays revendique une longue tradition dans le nucléaire, mais il doit désormais rattraper un marché émergent où il n’est plus leader. Le compte rendu de la CRE sonne comme une alerte : si Paris et Bruxelles n’augmentent pas rapidement les financements, l’Europe sera dépendante des technologies étrangères dans un secteur stratégique. Le calendrier est d’autant plus serré que les SMR sont attendus dans la décennie 2030 et les AMR entre 2040 et 2050. Cela va contribuer à relancer la filière nucléaire française, constituée de 2600 entreprises, dont plus des trois quarts sont constitués de microentreprises et de PME, comptant 200 000 emplois directs et indirects.

La croissance du nucléaire

La part du nucléaire est appelée à croître de manière significative. En 2023, il ne représentait que 4 % de l’énergie primaire au niveau mondial, et n’était que la troisième source d’énergie non fossile, derrière la biomasse et l’hydroélectricité. Le nucléaire est principalement utilisé dans la production d’électricité (14 %), où, en contribuant 9 % de l’électricité mondiale, il occupe, la quatrième place, derrière le charbon (35 %), le gaz fossile (23 %) et l’hydroélectricité (14 %), mais devant l’éolien (8 %) et le solaire photovoltaïque (5 %). Par contre, dans l’UE, le nucléaire était la première source d’électricité (24 %). Ce n’est qu’en France et en Slovaquie que l’énergie nucléaire représente plus de 50 % de leur bouquet énergétique, alors que 15 pays européens n’utilisent pas ou plus l’énergie nucléaire, une situation appelée à bouger. En France du fait de la crise gazière de 2021 – 2022, du fait du rebond postCovid et de la guerre en Ukraine, le retour en grâce du nucléaire s’est traduit par le programme de construction de 6 voire 14 réacteurs EPR2 (un modèle simplifié de l’EPR (European Pressurized Reactor de 1650 MW à sécurité renforcée) d’ici 2050.

Développement des réacteurs

En 2022, 31 pays (plus Taïwan) exploitent des réacteurs nucléaires à vocation électrogène. Cependant tous ne disposaient pas de leur propre technologie de réacteurs. ? En se limitant aux technologies de génération III/III+, dont au moins un réacteur est en élaboration, on citera : l’Argentine, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, la France, le Japon et la Russie. Cette liste de pays devrait s’agrandir dans les années à venir avec l’essor de petits réacteurs nucléaires modulaires, qui intéressent la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Inde et l’Allemagne. Outre les pays européens (Suède, Finlande, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Bulgarie, Estonie, Pays-Bas, Hongrie, Belgique et peut-être Italie) envisagent de développer leur secteur nucléaire. À ces pays s’ajouteraient les pays qui y ont eu recours (EAU), sont en train de le faire (Égypte, Turquie) ou le projettent (Arabie Saoudite, Bangladesh, Vietnam, Indonésie, Thaïlande, Colombie). Pour le moment ce sont la Chine et la Russie qui dominent largement la renaissance mondiale du nucléaire. Sur les 52 nucléaires dont la construction a débuté dans le monde depuis 2017, 25 sont de concept chinois et 23 de conception russe, indique l’AIE. On verra si l’accord qu’ont signé Washington et Londres lors de la visite de Donald Trump au Royaume-Uni du 16 au 18 septembre annonçant un « nouvel âge nucléaire » renversera la vapeur.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.

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