Alors que les tensions régionales s’intensifient entre l’Iran et Israël, les Kurdes d’Iran tentent de faire entendre leur voix dans un pays où ils constituent une importante minorité souvent marginalisée. Retour sur l’histoire récente des Kurdes iraniens ainsi que sur leurs représentations de la situation actuelle avec Hassan Sharafi, membre de la direction du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), l’une des principales formations politiques kurdes iraniennes.
Propos recueillis par Pierre-Yves Baillet le 2 juillet 2025.
Les Kurdes représentent environ 10 % de la population iranienne, soit près de 9 à 10 millions de personnes, concentrées dans les provinces occidentales du pays. Depuis la révolution de 1979, les Kurdes iraniens se plaignent d’être exclus du jeu politique et de faire l’objet de discriminations économiques, culturelles et religieuses. Fondé en 1945 dans la ville de Mahabad, le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) est l’un des plus anciens partis kurdes. Il a été le bras politique de la République de Mahabad, éphémère État kurde soutenu par l’URSS et écrasé en 1946 par les forces iraniennes. Depuis, le PDKI prône une solution politique basée sur l’instauration d’un Iran démocratique et fédéral, garantissant les droits nationaux des Kurdes. Basé aujourd’hui au Kurdistan irakien, le parti dispose également d’une branche armée, les peshmergas du PDKI, qui ont repris les armes à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie.
Une opposition fragmentée, mais en dialogue
Le mouvement kurde iranien est traversé par des divisions idéologiques. Le PDKI s’oppose notamment au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et à son affilié iranien, le PJAK, jugés plus centralisés et liés à l’idéologie d’Abdullah Öcalan. Le PDKI, quant à lui, s’affiche plus social-démocrate, pluraliste et attaché à une structure fédérale en Iran. Il est aussi lié au puissant PDK (Irak) des Barzanis. Depuis plusieurs années, le PDKI est confronté à une répression croissante de la part des autorités iraniennes. Cette pression s’est intensifiée en 2025, alors que l’Iran était la cible de plusieurs frappes israéliennes massives en représailles à des attaques de drones et missiles contre Israël. À la mi-juin 2025, lors de l’opération israélienne dite Rising Lion, plus de 250 cibles ont été frappées en Iran, selon la presse israélienne et américaine. Dans ce contexte de chaos sécuritaire, les forces iraniennes ont accentué la répression par crainte de soulèvements. L’ONG Kurde, Hengaw, affirme que plus de 300 arrestations ont eu lieu dans les villes kurdes durant cette période, et plusieurs affrontements armés ont été signalés dans les zones montagneuses frontalières avec l’Irak, où sont implantées les bases du parti. Comme l’explique Hassan Sharafi, le PDKI mise sur une entente avec les autres minorités du pays, notamment à travers la création du Congrès des nationalités iraniennes pour un Iran Fédéral. Cette initiative est soutenue par plusieurs mouvements baloutches, azéris, kurdes, arabes et turkmènes.
Comment les Kurdes iraniens perçoivent-ils les récentes frappes de drones et de missiles de l’Iran contre Israël ?
Hassan Sharafi – Depuis sa création, la République islamique d’Iran a fait de la destruction d’Israël un de ses slogans centraux. Pour atteindre cet objectif, elle a mis en place les moyens nécessaires : la constitution et l’armement de groupes affiliés dans la région — comme en Syrie, le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza ou encore les Houthis au Yémen. Par ailleurs, l’Iran a poursuivi sans relâche l’acquisition d’armes nucléaires et développé divers types de missiles et de drones, dans ce même objectif. C’est dans ce cadre qu’il a lancé des frappes contre Israël.
Quelle est la situation actuelle des Kurdes vivant en Iran, notamment dans le contexte des tensions régionales et du conflit entre Israël et l’Iran ?
Hassan Sharafi – Les Kurdes d’Iran et du Kurdistan, soumis à un régime antidémocratique, liberticide et inhumain, n’ont jamais, ni aujourd’hui ni par le passé, connu une vie faite de liberté, de justice, de reconnaissance de leurs droits nationaux, d’égalité ou d’équité. Dans ce contexte, la lutte pour se libérer de toutes les formes d’oppression et de discrimination, afin de conquérir la démocratie et les droits nationaux, se poursuit. Malheureusement, la République islamique d’Iran n’a non seulement jamais répondu positivement à ces revendications, mais elle y a réagi avec une répression brutale : des milliers de personnes ont été exécutées, emprisonnées, ou tuées. Les Kurdes n’ont jamais été traités comme des citoyens à part entière, dotés de droits. Cette répression continue aujourd’hui, et le combat des Kurdes pour obtenir leurs droits reste d’actualité.
Quelles sont aujourd’hui les principales revendications politiques de votre mouvement ? Demandez-vous l’autonomie, un système fédéral ou l’indépendance complète vis-à-vis de l’Iran ?
Hassan Sharafi – Comme toute nation libre dans le monde, les Kurdes ont le droit de revendiquer et de chercher à exercer leur autodétermination de différentes manières. Aujourd’hui, si l’on prend en compte la situation actuelle — au niveau mondial, régional et en Iran —, on peut dire que la majorité des forces politiques du Kurdistan sont fermement engagées en faveur de la reconnaissance des droits nationaux au sein d’un Iran démocratique et fédéral. Nous insistons sur le terme « démocratique » car, sans démocratie, les droits nationaux des Kurdes ne pourront ni être obtenus ni être pérennisés. De toute évidence, sans la reconnaissance pleine et entière des droits nationaux des Kurdes d’Iran, il ne peut y avoir de véritable démocratie en Iran.
Pensez-vous qu’un Iran fédéral ou décentralisé pourrait répondre aux aspirations kurdes tout en maintenant l’unité de l’État ?
Hassan Sharafi – La réalisation des aspirations et des revendications fondamentales du peuple kurde peut prendre différentes formes, mais uniquement dans le cadre d’une véritable démocratie. Sans démocratie – comme je l’ai déjà souligné dans ma réponse précédente – aucun droit kurde ne pourra être pleinement garanti. Pire encore, ces droits pourraient rester si fragiles et vulnérables qu’ils risqueraient d’être rapidement dénaturés ou vidés de leur substance.
Comment envisagez-vous l’avenir du Kurdistan iranien dans un scénario post-République islamique ?
Tant que le régime de la République islamique perdure, avec son idéologie rétrograde et son attitude hostile envers autrui – agissant comme un facteur de déstabilisation, de bellicisme et de tensions régionales tout en poursuivant ses politiques de répression intérieure –, il n’est pas possible d’imaginer un avenir clair et prometteur pour les Kurdes sous ce régime. C’est pourquoi les Kurdes ont hissé le drapeau de la chute de la République islamique.
Les différents groupes kurdes coopèrent-ils entre eux, ou bien des rivalités subsistent-elles ?
Je dirais oui : malgré des divergences de vues et même des tensions occasionnelles, ces partis ont su faire preuve d’unité. Ils continuent de se tenir ensemble, solidaires, et s’expriment d’une seule voix dans un cadre commun, comme on l’a vu au sein du Centre de coordination des partis politiques du Kurdistan, mais aussi dans le mouvement « Femme, Vie, Liberté ».
Les forces kurdes se préparent-elles activement à un conflit d’ampleur ou à un effondrement interne du régime iranien ?
Les partis politiques du Kurdistan, en particulier le Parti démocratique du Kurdistan iranien, disposent des capacités nécessaires pour adapter leur lutte à l’évolution des circonstances, renforcer leur organisation, maintenir leur position ferme dans le mouvement pour renverser le régime de la République islamique d’Iran, et affermir leur détermination. Ils sont prêts à engager une coopération stratégique avec d’autres forces démocratiques qui reconnaissent les droits nationaux des Kurdes en Iran, afin de construire un partenariat plus fort et plus efficace.
Quelles sont les relations entre les mouvements kurdes et les autres minorités en Iran ? Existe-t-il une vision commune de l’avenir ?
Les partis politiques du Kurdistan entretiennent des relations solides et bien établies avec les autres nations opprimées sous le régime iranien. Une douleur partagée, des aspirations communes et un adversaire commun facilitent leur coordination et leur rapprochement. Cette coordination est aujourd’hui institutionnalisée à travers un cadre politique commun : le Congrès des nationalités pour un Iran fédéral.
Existe-t-il une coordination ou un dialogue entre les acteurs politiques kurdes et les forces d’opposition plus larges en Iran, y compris les mouvements démocratiques persans ou les monarchistes ?
Le Parti démocratique du Kurdistan iranien a toujours entretenu – et continue d’entretenir – des relations positives avec les forces démocratiques et républicaines d’Iran, et ce, depuis ses débuts. Le parti n’a jamais posé de conditions préalables au dialogue ou à la réconciliation avec d’autres acteurs politiques. Toutefois, il trouve un terrain de coopération plus favorable avec les forces démocratiques qui reconnaissent les droits nationaux du peuple kurde. À l’heure actuelle, il collabore activement avec plusieurs de ces groupes dans le cadre de l’alliance Solidarité pour la liberté en Iran.
Si la République islamique venait à tomber, pensez-vous que l’Iran pourrait survivre en tant qu’État unifié, ou existe-t-il un réel risque de fragmentation ?
C’est l’existence et la persistance de la République islamique – qui ne reconnaît ni la démocratie ni les droits des peuples – qui sont devenues la principale source de crainte de fragmentation. Si ce régime venait à s’effondrer et qu’il était remplacé par un gouvernement démocratique respectueux des droits humains et des droits des différentes nationalités iraniennes, alors il ne subsisterait aucun risque crédible de désintégration de l’Iran.
Le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (IRGC) pourrait-il prendre le contrôle total du pays si le régime venait à s’effondrer ? Et quelles en seraient les conséquences pour les minorités ?
Le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (IRGC), comme son nom l’indique, est la force militaire du régime de la République islamique d’Iran. Il ne protège pas le peuple ni la nation iranienne ; il est un outil répressif au service du régime, destiné à maintenir sa domination. Sans ce régime, il ne resterait rien de significatif sous l’appellation de République islamique d’Iran capable de se préserver. À moins que cette force ne change de nom, de nature et de finalité – ce qui serait une entreprise extrêmement difficile.