Le piège africain de Macron

13 septembre 2021

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Le piège africain de Macron

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Qu’il s’agisse d’une actualité crue, en cas de prise d’otage dans la région du Sahel, devenue un nid de djihadistes, ou d’une mémoire matérialisée par les rapports Stora sur l’Algérie ou Duclert sur le Rwanda, les affaires africaines se retrouvent sans cesse en une de nos journaux. 

De même lorsqu’il s’agit de la lutte contre la pandémie on voit bien, que malgré les bonnes intentions, les transferts de vaccins en direction du continent n’ont pas été à la hauteur des promesses effectuées. L’ouvrage, par ailleurs fort intéressant de l’ancien directeur d’Africa Intelligence, Antoine Glaser, et du journaliste de L’Opinion Pascal Airault sorti en mars, tombe au bon moment. Au terme d’une étude fouillée d’une relation franco-africaine, qui comme le disait le poète n’est jamais tout à fait la même, ni tout à fait une autre , ils y montrent comment le président français, qui voulait changer les rapports entre Paris et l’Afrique, s’est heurté, comme ses prédécesseurs, à la réalité et à l’érosion de l’influence française. 

Or Emmanuel Macron a bien cherché à mener en Afrique une politique différente de celle de tous ses prédécesseurs depuis le général de Gaulle et son puissant conseiller, de l’ombre Foccart à qui la paternité de la fameuse Françafrique a été attribuée. En effet il est le premier président qui, face à un gros bateau comme la Françafrique dont les dirigeants se relayent au pouvoir qu’ils soient hommes forts ou autocrates et vieux cacique, et ce, plus encore dans les anciennes colonies françaises, décide de changer de cap et d’aller vers l’Afrique anglophone, de se rapprocher du Nigeria, où il a fait son stage lorsqu’il était à l’ENA, du Rwanda ou de l’Afrique du Sud. Emmanuel Macron est aussi le seul chef d’État français à avoir créé un Conseil présidentiel africain, le CPA, dans lequel on retrouve des premiers de cordée, des chefs d’entreprise et les intellectuels africains les plus en rupture avec la Françafrique, comme le Camerounais Achille Mbembe, et bien des hommes ou femmes (bien que celles -ci soient moins nombreuses) de sa génération. Pragmatique, comprenant que l’armée française au Sahel n’est qu’un des aspects de la présence de notre pays en Afrique, il s’est aussi tourné vers les diasporas. Enfin, il s’adresse directement à la jeunesse africaine, qu’il incite à bouger, à innover, à remettre en cause les idées reçues. 

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Pourtant Emmanuel Macron sait parfaitement que tirer un trait sur la Françafrique n’est pas chose facile. On ne change pas du jour au lendemain, des habitudes bien ancrées depuis soixante-dix ans. La chute du mur de Berlin, en novembre 1989, s’est matérialisée en Europe par la réunification allemande. La fin de la guerre froide, actée à Malte entre George Bush et Mikhaël Gorbatchev en décembre 1989 a profondément changé le destin de l’Europe. Mais elle n’a pas eu d’impact en Afrique, où, nonobstant les orientations fixées lors du sommet franco-africain de la Baule de 1990, les Français ont continué à agir comme s’ils étaient toujours chez eux et comme si le monde n’avait pas bougé, estiment les auteurs, une réalité qu’il convient de nuancer. Il y a eu pendant longtemps une sorte d’aveuglement, encouragé par les milieux patronaux ajoutent-ils. Pour changer cela, Emmanuel Macron s’est éloigné des grands anciens, comme Sassou-Nguesso, le président du Congo. Brazzaville, au pouvoir depuis 1979, après un intermède entre 1992 à 1997. Mais les ”dinosaures” lui ont rappelé qu’ils avaient le monde entier, Chinois, Russes, Turcs, Indiens, Brésiliens… dans leurs salles d’attente et qu’il était illusoire de croire qu’on pourrait se passer d’eux.

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Ils lui ont aussi rappelé que l’influence diplomatique de la France repose sur deux choses: sa dissuasion nucléaire et sa politique africaine. C’est l’Afrique qui donne à la France de l’influence, et non l’Europe, du fait de ses 54 votes à l’ONU et en raison du fait que l’avenir de la Francophonie se trouve en Afrique. En arrivant à l’Élysée, Emmanuel Macron s’est vite aperçu que le monde entier voulait parler d’Afrique avec lui. Il a compris qu’il avait besoin de ces dirigeants. C’est ce que les auteurs appellent le piège africain de Macron. Il désirait changer la relation de la France à l’Afrique, mais il a fini par faire comme ses prédécesseurs, qui ne pouvaient s’empêcher de vouloir gérer le monde. En janvier 2020, il a convoqué, de manière assez peu délicate, les chefs d’État africains au sommet de Pau. Un an plus tard, il s’est comporté au sommet en visioconférence de N’Djamena comme s’il était le chef du Sahel. Désormais la politique africaine en France de l’Élysée, est pilotée par le CPA. Tous ceux qui gèrent les dossiers africains, à l’Élysée, au Quai d’Orsay et dans les ambassades, sont aujourd’hui des hommes du renseignement. La plupart sont passés par la DGSE, la Direction générale de la sécurité extérieure.

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Aussi la Françafrique aujourd’hui se concentre en l’Afrique de l’Ouest, à la fois au niveau militaire et au niveau politique. L’Afrique étant redevenue une zone stratégique, la Françafrique s’est transformée en AfricaFrance. Ce qui semble ’intéresser, le président français c’est de voir ce que l’Afrique peut apporter à la France et non plus de s’occuper des affaires de l’Afrique. Emmanuel Macron est obligé de faire de la realpolitik parce que le continent s’est mondialisé. De nouvelles puissances s’y installent. La Chine, la Russie et, ce qui agace au plus haut point l’Élysée, la Turquie qui prend de plus en plus de place. On a vu il y a quelques mois Erdogan et Macky Sall, le président sénégalais, inaugurer main dans la main les travaux de l’aéroport de Dakar repris par les Turcs. Quant au Forum international de Dakar sur la sécurité en Afrique, il est organisé par la France dans un palais construit par la Turquie… À Paris, l’ambassade de Chine s’est installée dans l’hôtel de Montesquiou, qui fut jadis le ministère de la Coopération, c’est-à-dire celui de l’Afrique. C ‘est bien dans un cadre nouveau que s’inscrivent les relations de la France avec le Rwanda et l’Algérie. Dans ces deux pays, le président se place sur le terrain du symbolisme et du mémoriel. Il aime bien Kagamé, le président rwandais, et a tenté de le séduire. Mais au final il a fait comme ses prédécesseurs, puisqu’il lui a offert, en poussant à sa tête la Rwandaise Louise Mushikiwabo, la francophonie. Comme Chirac y avait en son temps propulsé Boutros Boutros-Ghali, l’ancien secrétaire général des Nations unies, auquel les États-Unis refusaient un second mandat. La francophonie reste une diplomatie d’influence politique. Avec le rapport Duclert sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis, Emmanuel Macron voudrait faire du Rwanda un tournant. Mais, malgré son activisme, ses marges de manœuvre sont limitées. C’est pareil avec l’Algérie. Il n’a jamais repris l’expression de «crimes contre l’humanité» prononcée pendant la campagne électorale, qui avait fait polémique. Il a compris qu’il marchait sur des œufs et fait désormais la part des choses.

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 Tout ce qui était disruptif dans sa politique étrangère devrait être mis en veilleuse à l’approche des élections de 2022. De la réforme du franc CFA, à la question délicate de la restitution des œuvres d’art, de la diplomatie du sport, aux « banlieues africaines, c’est un riche tour d’horizon que dressent les auteurs, qui au terme de leurs investigations ont été longuement reçus par le chef d’État qui leur a livré, de manière très franche, souvent crue, sa philosophie des affaires africaines, qui il faut l’avouer ne manque ni de souffle, ni d’inspiration. Le malheur est qu’il semble bien isolé , aucun pays européen n’ayant opéré son propre aggiornamento vis-à-vis de l’Afrique, qui n’est guère la priorité des Européens. Seule l’histoire montrera si de nouveaux rapports plus équilibrés, débarrassés des miasmes du passé sont envisageables.

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Pour le moment, le poids des questions sécuritaires, la crise sanitaire, la chute de la croissance ou encore la montée de l’endettement sont autant d’obstacles qui obstruent le chemin de l’avenir.

À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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