L’éco, une monnaie unique pour développer la conquête de la mondialisation en Afrique de l’Ouest

15 décembre 2017

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : La monnaie mondiale (c) Pixabay
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L’éco, une monnaie unique pour développer la conquête de la mondialisation en Afrique de l’Ouest

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Une union monétaire ouest-africaine est en passe de se construire sur le morcellement et la faiblesse actuelle des États du sous-continent. Son avènement bouleversera les frontières du sous-continent et accélèrera la concurrence entre grandes puissances pour l’accès à ses ressources naturelles et le commerce avec ses marchés intérieurs.

À ceux qui veulent faire de l’éco la monnaie d’une zone monétaire optimale ouest-africaine, certains blocages peuvent apparaître comme insurmontables à l’échelle de toute la CEDEAO, tels que le déficit de convergence des économies de ses États-membres, la présence d’obstacles puissants à la libre-circulation des marchandises et des travailleurs, l’application encore trop inégale du tarif extérieur commun et les divergences entre États-membres au sujet des Accords de Partenariat Économique avec l’Union européenne. Ces difficultés affectent inégalement les États, dont certains ont plus intérêt que d’autres à la création de l’éco.

Emmené par le Nigeria, un groupe d’États anglophones, majoritaire en nombre d’habitants se détache au Sud et prévoit d’adopter avant les autres cette monnaie unique qui s’adaptera aux besoins et aux ambitions économiques du géant pétrolier en Afrique de l’Ouest. Détaché au Nord de la zone, le royaume du Maroc, bientôt membre à part entière de la Communauté, profite de l’ouverture commerciale de la CEDEAO sans subir les contraintes de son union économique ; sa position rappelle celle du Royaume-Uni vis-à-vis de la construction européenne. Cette situation place les huit États francophones de l’UEMOA comme cœur de cible des nouvelles offensives commerciales permises par l’union économique ouest-africaine et interroge ses dirigeants sur l’opportunité réelle d’une séparation avec leur monnaie commune, le franc CFA.

L’idéal d’autonomie politique et économique ouest-africaine que porte la création de l’éco est sévèrement compromis par la commune dépendance des économies de la CEDEAO aux productions des grandes puissances industrielles mondiales, les États d’Europe, la Chine, l’Inde, les États-Unis. Aussi la monnaie unique ouest-africaine, si elle est instituée, cristallisera un lien entre deux interdépendances, celle qui est déjà entretenue vis-à-vis de l’extérieur et celle qui se développera entre les économies nationales, selon leur niveau de développement. Ainsi l’éco ne pourra exister hors du système monétaire international et devra viser une monnaie de référence internationale (US dollar, euro, yuan) sur laquelle fixer sa valeur pour en assurer la crédibilité, et ce, doublement ; à la fois pour garantir la convertibilité de son unité de compte sur le marché des changes et viser la stabilité des prix à l’intérieur de son union monétaire. De ce fait, la CEDEAO aura le choix d’arrimer l’éco soit sur l’euro, soit sur le yuan, compte tenu du volume et de la valeur des échanges entretenus par les États d’Afrique de l’Ouest avec les États d’Europe et avec la Chine. Puisque le commerce extérieur du Nigeria est dominé par les Émergents, la Chine en tête, on peut penser que c’est vers elle que la première version de l’éco se tournera.

Mais avant cela, la monnaie unique ouest-africaine ne pourra être convertible et donc échangée sans que sa valeur, après qu’elle ait été déterminée selon la variation d’une ou plusieurs monnaies internationales, ne soit garantie par la capitalisation de devises d’une valeur équivalente dans sa banque centrale, obtenus par le commerce extérieur de chaque État. Cette difficulté est sans doute la plus importante, considérant que cette condition n’est déjà pas remplie dans l’UEMOA, dont les réserves en devises des huit État-membres ne suffisent pas à assurer la convertibilité de leur monnaie, et le FCFA est garanti de manière illimitée par le Trésor français, comme il garantissait sa parité avec le franc au titre d’accords de coopération monétaires. Cependant cet avantage est devenu un inconvénient depuis que le passage à l’euro a maintenu un FCFA fort et ralenti les exportations agricoles de ses huit États-membres, au profit de leurs concurrents de l’Amérique latine. Mais c’est un autre sujet.

La création de l’éco est un projet encore loin d’être achevé qui ne représente ni un bouleversement de la division internationale du travail ni la naissance d’un empire défiant la mondialisation, mais plutôt un approfondissement de celle-ci au détriment de l’autonomie de la majorité de ses États-membres, une monnaie unique permettant l’accélération de la conquête du capitalisme mondialisé en Afrique de l’Ouest.

Loup Viallet
Auteur du blogue questionsafricaines.wordpress.com

Crédit photo : benkamorvan via Flickr (cc). Le siège de la CEDEAO à Lomé (Togo).

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