<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’Équateur face à ses défis sociaux

4 janvier 2024

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Un indigène brandit un drapeau équatorien devant la Maison de la Culture (AP Photo/Dolores Ochoa)/DOR111/22176069724286//2206250419
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L’Équateur face à ses défis sociaux

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L’Équateur fait face à des défis très importants telle la lutte contre le trafic de drogue,  la corruption et une situation économique délicate. Le pays tente de consolider ses fondements sociaux pour surmonter les défis qui se présentent à lui.

Pour comprendre la vie politique de ce pays, nous avons interrogé Michel Rowland, politologue franco-équatorien, spécialiste politique de la région des Andes et plus globalement de l’Amérique du Sud. Administrateur, fonctionnaire et consultant dans des projets de développement soutenus par diverses agences internationales (USAID, CRDI, NDI, DFID, UNDP, IDEA International, AECID, Transparency International entre autres).

Membre de l’Assemblée constituante équatorienne (1997-1998), Secrétaire Exécutif du Réseau interaméricain pour la Démocratie – RID (2003), membre du Service extérieur équatorien (2009-2011), Secrétaire Exécutif de l’Initiative latino-américaine de Recherche en Politiques Publiques – ILAIPP (2016-2018), Président de l´agence anticorruption « Quito Honesto » (2019-2021).

Un pays géographiquement et culturellement divisé

L’Équateur est marqué par la fragmentation générale du pays. Il est divisé en trois grandes régions géographiques : la côte, la montagne et la jungle. De grandes différences culturelles existent entre ces régions. La population est aussi très hétérogène, divisée entre blancs, qui composent la classe supérieure du pays, noirs et métis espagnols. De quoi faire de l’Équateur un pays très fragmenté, entre différentes manières de vivre, différentes cultures et populations. Cependant, comme nous le précise Michel Rowland, les différences sont bien culturelles et non directement raciales, une personne noire et métisse pouvant partager la même culture et conscience d’appartenance à la terre.

Le pays échappe donc à une division raciale, bien que certains comportements racistes soient bien présents, mais en recul depuis quelques dizaines d’années, point sur lequel insiste Michel Rowland. Cependant, le cas indigène complexifie encore la lecture des rapports au sein de la population. En effet, ceci se fonde moins dans la société, vivant souvent en marge à cause de la pauvreté. Cela est causé notamment par leur grande présence dans les métiers agricoles. Ils sont d’ailleurs parfois animés par une forme de conscience politique propre. En témoignent les très violentes manifestations causées notamment par l’incarcération du leader politique indigène Leonidas Iza. Par dizaine de milliers, ils étaient venus revendiquer une synthèse des intérêts indigènes : la hausse des prix des produits agricoles pour ceux des montagnes et la protestation contre l’exploitation minière et pétrolière pour ceux de la jungle. Cette partie de la population peut se montrer imprévisible.

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Clivages politiques

En plus de cette séparation géographique et culturelle, la population est fortement clivée d’un point de vue politique.

En effet, droite et gauche s’opposent frontalement, avec un certain héritage socialiste incarné il y a quelques années par le président Raphaël Correa, qui fut l’un des seuls présidents équatoriens à réussir à achever deux mandats, soit huit années au pouvoir. J’ai d’ailleurs moi-même pu constater en discutant avec différentes personnes les différences radicales de point de vue vis-à-vis de différents personnages politiques, tantôt taxés de communistes, de corrompus ou de fantoches des États-Unis. Ce clivage politique semble découler directement de la fracture culturelle que connaît l’Équateur. Michel Rowland explique ce manque de cohésion sociale par un manque de conscience nationale. Pour lui, le pays n’a pas connu de traumatisme ou du moins d’épreuve suffisamment forte pour créer cette conscience de communauté nationale.

En effet, contrairement à de nombreux pays du continent sud-américain, l’Équateur n’a pas connu de guerre civile ou d’épisode totalitaire ou de grande violence. Malgré quelques années de dictature militaire dans les années 1970, il semble que les difficultés n’aient pas été suffisamment fortes pour pousser les citoyens équatoriens à s’unir. De même, l’existence de l’Équateur, enclavé entre les géants péruvien et colombien, relève du miracle, et du désaccord des voisins en question.

Disparités économiques

Il faut ajouter à cela un contexte économique très difficile, un marché de l’emploi en difficulté qui ne permet pas aux jeunes diplômés de trouver du travail, et des différences économiques au sein de la population parfois très importante.

De ce fait, Michel Rowland pense que la culture équatorienne n’est pas propice au consensus, ou à des accords. À titre de comparaison, le voisin colombien, malgré les désaccords au sein de la société civile, a su faire preuve d’unité pour relever certains défis, relève encore Michel Rowland.

Cette division au sein du pays se retrouve aussi au niveau institutionnel, où les organes parlementaires retirent régulièrement leurs confiances au président, qui faute du soutien du parlement qui approuve comme en France toutes les décisions du gouvernement, est contraint de démissionner. Le pays connaît donc en plus une instabilité politique très forte, qui pourrait nous rappeler le cas européen de l’Italie. Très récemment, le président Lasso a été contraint de démissionner, des élections anticipées en septembre ont permis l’élection du jeune président libéral Noboa. Cette élection peut paraître comme un choix audacieux de la part de l’Équateur qui a élu le président le plus jeune de son histoire. Néanmoins, l’Équateur connaît une forme d’alternance depuis longtemps. De ce fait, il semble que ni la gauche ni la droite n’ont su relever les défis du pays. Tous ces éléments rendent difficile toute réforme ou même avancée en termes politiques.

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Le second élément majeur à comprendre est la médiocrité des services publics équatoriens. La première raison que cite Michel Rowland est le manque de professionnalisme des fonctionnaires. En effet, ceux-ci sont souvent sous-formés, ce qui rend le fonctionnement de l’État difficile. Pour Michel Rowland, le pays manque cruellement d’une école de formation pour les fonctionnaires, sur le modèle de l’ENA en France. La Colombie par exemple s’est déjà dotée de ce centre de formation. De plus, il existe un manque d’unité dans la gestion des services publics. Par exemple, la troisième ville du pays, Cuenca, grâce à une taille modeste a pu mettre en place d’excellents services publics, Guayaquil, ville portuaire, s’est tourné vers la privatisation, ce qui a rendu très chers ces services. Quant à la capitale, Quito, la municipalité arrive tant bien que mal à assurer les services basiques à la population. Néanmoins, la situation globale du pays est loin d’être satisfaisante. Malgré le besoin d’une école supérieure et publique d’administration, Michel Rowland estime que le défi doit être relevé par les localités. Ces mêmes localités manquent cruellement de moyens et demandent le soutien de l’État. Et c’est aussi un aspect qui fait défaut, les politiciens manquent trop souvent de vision sur la gestion du service public, ou en font un sujet de second plan. De ce fait, la situation stagne fatalement.

Ce problème, lié à la classe politique, est en réalité plus grave et étendu. La corruption est un fléau largement répandu en Équateur selon les enquêtes du Latinobarómetro. Les politiciens ont tendance à agir pour leur propre intérêt, détournant l’argent public et pratiquant le népotisme. Le manque d’argent est un premier problème, si on s’intéresse au détournement d’argent, auquel s’ajoute une situation économique plus que fragile. Les nouvelles infrastructures, bâclées, construites avec des matériaux médiocres, fonctionnent mal, quand elles ne s’arrêtent tout simplement pas de fonctionner. En général, les ressources disparaissent, les constructions sont obsolètes et les problèmes de santé sont mal gérés faute de moyen pour prendre soin des patients. Il faut ajouter que les politiciens corrompus trouvent dans le fonctionnariat des complices.

Perte de confiance dans l’État

Découle de cette situation une perte de confiance en l’État et en la classe politique en général. L’insécurité est un autre problème majeur, et dans des régions comme celle de la côte, tout bonnement catastrophique. La rencontre entre narcotrafic et pauvreté rend certaine partie du pays et des villes entières, très dangereuses. De cette situation, les Équatoriens conçoivent une très grande lassitude, d’autant que la situation sécuritaire s’est dégradée en moins de vingt ans. Le rôle de transit pour la drogue que joue la côte équatorienne a provoqué une augmentation terrible de la violence dans cette région et en particulier dans la ville de Guyaquil qui est par ailleurs fortement déconseillée par le ministère des Affaires étrangères français.

Tout ceci est d’autant plus fâcheux pour la population que cette dernière est plus ou moins contrainte de s’appuyer sur l’État et le système dans la vie quotidienne.

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Pour conclure sur ce pays complexe à cause d’un manque d’unité générale, d’une situation économique, politique et sécuritaire précaire, et d’une classe politique décevante ou malhonnête, l’Équateur a bien du mal à avancer et à relever des défis qui s’accumulent. On peut néanmoins affirmer que c’est le manque de capacité et de moyen de l’État, incapable d’assumer ses devoirs régaliens, qui empêche le pays de sortir de la pauvreté.

Et ce sont les mesures que Michel Rowland préconise. C’est une professionnalisation des fonctionnaires et une meilleure surveillance de la classe politique, qui, selon lui, permettraient à l’État d’agir avec efficacité pour le bien commun.

À propos de l’auteur
Pierre Cazals de Fabel

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