États-Unis et talibans renouent le contact quatre ans après leur dernier affrontement. Signe que les recompositions sont en cours en Asie et que les États-Unis ne veulent pas laisser l’Afghanistan seul sous l’influence de ses rivaux.
Le 30 août 2021, peu avant minuit, le dernier soldat américain quittait Kaboul à l’issue d’un retrait mal négocié par l’administration Biden. Marqué par le retour au pouvoir des talibans dès le 15 août et par un attentat qui coûta la vie à 85 personnes, dont 13 militaires américains, ce départ précipité mettait fin à la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis. Depuis ces évènements et à l’exception d’une discrète rencontre au Qatar en juillet 2023[1], les Américains n’avaient plus entretenu le moindre contact officiel avec des talibans dont ils ont toujours refusé de reconnaître formellement le gouvernement.
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Alors que les États-Unis s’en remettaient jusqu’ici au Qatar pour gérer leurs intérêts en Afghanistan[2], Donald Trump a récemment opéré un rapprochement avec les talibans dans le but premier d’obtenir la libération de citoyens américains retenus en otage sur place. Ce qui, pour l’instant, constitue seulement une simple illustration de l’approche transactionnelle qu’affectionne le président américain pourrait en réalité être motivé par des enjeux sous-jacents plus vastes.
Une approche en apparence purement transactionnelle
Le 20 mars dernier, le secrétaire d’État des Etats-Unis Marco Rubio saluait la libération de George Glezmann, détenu par les talibans durant 836 jours, en ces termes : « La libération de George est une étape positive et constructive ». Obtenu grâce à l’entremise du Qatar, le retour au pays de ce ressortissant américain constituait alors une victoire diplomatique pour Donald Trump en même temps que l’ouverture de pourparlers diplomatiques préliminaires dont entendaient profiter les talibans dans l’optique de renforcer leur légitimité aux yeux de la communauté internationale.
Quelques jours plus tard, la Maison-Blanche retirait trois hauts responsables talibans de la liste des personnes figurant sur le programme « Rewards for Justice » qui offre d’importantes sommes d’argent en échange d’informations permettant la capture d’individus recherchés[3]. Ces hommes, Sirajuddin Haqqani, Yahya Haqqani et Aziz Aqqani, sont tous trois membres du réseau Haqqani qui, depuis le retour des talibans au pouvoir, a délaissé le statut de simple réseau djihadiste tribal pour devenir l’un des réseaux terroristes les plus puissants de la région en raison notamment de son influence politique. Au vu de l’implication de ce réseau, toujours considéré comme une organisation terroriste par Washington, dans de nombreux attentats ayant visé les forces américaines pendant la guerre, cette décision a été considérée comme une victoire par les talibans tout en suscitant des interrogations quant à ses conséquences d’un point de vue sécuritaire alors qu’un rapport des Nations Unies[4] démontrait l’implication du réseau Haqqani dans de nombreux attentats depuis 2020, dont certains avaient ciblé les forces de l’OTAN.
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Cette concession s’inscrit dans une logique purement transactionnelle en vertu de laquelle Trump entendrait obtenir la libération des sept otages[5] , dont un décédé, restant ainsi que le retour des armes abandonnées par l’armée américaine lors du retrait et saisies par les talibans. Constitué de drones, de véhicules blindés ou encore d’armes de différents calibres[6], l’arsenal en question représenterait la somme de 7 milliards de dollars et est réclamé avec insistance par Donald Trump depuis plusieurs mois. Alors que le président menaçait alors de couper les aides financières destinées à l’Afghanistan, il semble qu’une approche transactionnelle soit désormais privilégiée.
Ces négociations pourraient cependant être motivées par des enjeux sécuritaires et géopolitiques qui verraient les deux parties se rapprocher davantage sans que cela n’inclue toutefois une reconnaissance officielle du gouvernement taliban par Washington.
Les dessous de ce rapprochement
Américains et talibans voient en effet dans l’État islamique, et notamment dans sa branche afghane connue sous l’acronyme ISKP (Islamic State of Khorasan Province) une menace commune contre laquelle ils envisageraient de lutter de concert. Alors que l’ISKP frappe fréquemment les Hazaras et les membres d’autres minorités religieuses sur le sol afghan[7], l’organisation cause également des dégâts en Occident du fait des attaques perpétrées par ceux que l’on appelle des « loups solitaires ». Ce fut le cas lors de l’attentat du jour de l’an à la Nouvelle-Orléans quand le terroriste Shamsud-Din Jabbar fonça dans la foule avec son pick-up, faisant 14 victimes.
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Les talibans sont également menacés par l’État islamique. Appartenant à une école sunnite distincte de celle dont se réclament les membres de l’ISKP, les talibans sont considérés par ces derniers comme des apostats, ce qui justifierait leur meurtre selon leur interprétation de la loi islamique. C’est en partie pour cela que les talibans avaient refusé de rendre aux États-Unis l’équipement militaire abandonné par l’armée américaine en 2021. Bien qu’aucune confirmation officielle n’ait été formulée d’un côté comme de l’autre, Américains et talibans auraient échangé des renseignements ayant notamment permis de prévenir un attentat lors des Jeux olympiques de Paris[8].
L’influence russe
Outre ces enjeux sécuritaires, les États-Unis ne souhaitent pas se voir dépassés par leurs rivaux dans leur entreprise de rapprochement avec les talibans. Si aucun pays n’a encore formellement reconnu leur gouvernement, plusieurs d’entre eux ont déjà entamé des manœuvres de différentes natures visant à entrer en contact avec celui-ci. C’est le cas de la Chine qui envisagerait la construction de trois entrepôts dans autant de régions différentes d’Afghanistan, selon le porte-parole du ministère de l’Agriculture, Misbahuddin Mustaeen[9]. Les talibans pourraient ainsi contourner l’isolement géopolitique et économique dont ils font l’objet en conséquence, notamment des sanctions prises par les États-Unis à leur encontre.
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D’autres acteurs, tels que la Russie ou encore l’Iran, ont manifesté un désir de se rapprocher des talibans. En contact avec les talibans depuis 2015[10], la Russie a déjà reçu leur délégation à l’occasion du Forum économique international de Saint-Pétersbourg en 2022 et 2024. La Russie, qui a notamment exporté 275 000 tonnes de gaz de pétrole liquéfiés en Afghanistan en 2024 pour un montant total de 132 millions de dollars, envisage aussi une coopération sur le plan sécuritaire dans le but d’éradiquer l’ISKP. La branche afghane de l’État islamique avait en effet revendiqué les attentats de mars 2024 ayant fait 133 victimes à Moscou. Dans une décision rendue ce jeudi, la Cour Suprême Russe a retiré les talibans de la liste des organisations terroristes sur laquelle ils figuraient depuis 2003. Cette victoire diplomatique incontestable pour les maîtres de Kaboul s’inscrit dans l’optique du rapprochement souhaité par Moscou.
[1] https://www.aljazeera.com/news/2023/8/1/taliban-us-hold-first-official-talks-since-afghanistan-takeover
[2] https://www.nytimes.com/2021/11/12/us/politics/us-qatar-afghanistan.html
[3] https://thediplomat.com/2025/04/the-message-and-consequences-of-removing-haqqani-network-leaders-from-the-us-rewards-for-justice-list/
[4] https://docs.un.org/fr/S/2020/415
[5] https://www.wsj.com/politics/national-security/trump-secures-release-of-american-detained-in-afghanistan-e79bb094?mod=Searchresults_pos1&page=1
[6] https://www.lefigaro.fr/international/les-talibans-font-main-basse-sur-l-arsenal-laisse-par-les-americains-20210831
[7] https://www.hrw.org/fr/news/2022/09/06/afghanistan-un-groupe-affilie-lei-cible-les-minorites-religieuses
[8] https://www.spectator.co.uk/article/americas-new-ally-in-the-battle-against-isis-the-taliban/
[9] https://tolonews.com/business-192372
[10] https://www.ipis.ir/en/newsview/626367/russia’s-multipronged-policy-in-afghanistan