<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’européisme à la sauce tomate ou comment l’Italie espère rebattre les cartes au Parlement européen

11 septembre 2023

Temps de lecture : 6 minutes
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L’européisme à la sauce tomate ou comment l’Italie espère rebattre les cartes au Parlement européen

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Vis-à-vis de l’UE, l’Italie est passée par tous les stades : de pays fondateur de l’Union européenne à eurosceptique puis à nouveau moteur en Europe. Les partis eurosceptiques ont changé leur fusil d’épaule, ce qui fait penser au roman de Luigi Pirandello : Un, personne et cent mille. 

Peut-on être à la fois libéral, conservateur et pro-européen ? Peut-on être eurosceptiques, au point d’inclure dans le programme publié pour les élections européennes de 2014 l’hypothèse d’un « référendum pour le maintien dans l’euro », comme l’a fait le Mouvement 5 étoiles, puis ensuite devenir en quelques années le parti qui – embrassant la gauche et le Parti démocrate dans le gouvernement Conte II (2019-2021) – a exprimé l’une des positions les plus ouvertes vis-à-vis de l’UE ? En Italie, oui.

Meloni ajuste sa politique sur l’UE

Dès le lendemain des élections législatives de septembre 2022, Giorgia Meloni a dit vouloir garder le lien avec l’Union européenne, quoique avec de nombreuses distinctions par rapport à la majorité encore aujourd’hui à la tête de Bruxelles : celle qui voit Ursula Von der Leyen à la tête d’une commission qui privilégie parfois l’aspect bureaucratique des politiques décisionnelles au regard des besoins réels de chacun des États membres. Une attitude, celle de Meloni, qui a été immédiatement vécue par les partisans historiques de la cheffe des Frères d’Italie comme une volte-face par rapport aux promesses faites lorsqu’ils s’opposaient au gouvernement Draghi. En effet, à l’époque, Meloni a sévèrement critiqué Bruxelles et la commission, et elle avait en partie continué à le faire même pendant la campagne électorale.

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En revanche, ce qui a amené Ursula à Bruxelles, c’est surtout le soutien du Parti populaire européen (PPE) et du Parti socialiste européen (PSE) avec un accord. Et les votes des libéraux de l’Alde et des Verts ont également été décisifs, ainsi que le soutien du Mouvement 5 étoiles. Celui-ci a, au fil des ans, proposé une série de pirouettes concernant ses positions européennes, jusqu’à un changement d’approche lorsqu’il est entré au gouvernement italien, notamment dans Conte II, avec le Parti démocrate traditionnellement plus pro-européen que les autres, et plus encore lorsqu’il a participé au gouvernement Draghi, utile à la construction de la candidature de Luigi Di Maio même en tant qu’envoyé spécial UE dans les pays du golfe Persique. Les partis de la Botte qui sont restés à divers titres appartenant aux courants dits souverainistes – qui ont aujourd’hui atténué les nuances eurosceptiques, comme la Ligue de Salvini et les Frères d’Italie de Meloni – se sont plutôt opposés à la nomination d’Ursula.

Parmi les partis italiens qui ont soutenu la présidente Von der Leyen, on retrouve le Parti démocrate (PD), une grande partie du Mouvement 5 étoiles (M5S), Liberi e Uguali, +Europe, les Verts et bien sûr Forza Italia. À ce jour, cependant, de nouveaux partis libéraux progressistes et pro-européens ont émergé comme Italia Viva de Matteo Renzi (qui fait partie du même groupe que le président Macron, Renew Europe) et Action, de l’ancien ministre Carlo Calenda (qui vit dans une étrange symbiose, entre hauts et bas, l’alliance-concurrence avec Matteo Renzi). Dans cette mosaïque digne du roman de Pirandello Un, personne et cent mille, une série de partis différents coexistent à l’intérieur de la péninsule, dans une phase historique où pratiquement personne n’a l’audace de se dire eurosceptique. C’est plutôt européisme à la sauce tomate.

L’Europe par toutes les couleurs

En quelques décennies, l’Italie est passée de pays fondateur de l’Union européenne avec Altiero Spinelli et Alcide De Gasperi à eurosceptique, comme à l’époque du gouvernement Conte I (alliance Lega-M5S jaune-vert) ; encore assez pro-européen avec le gouvernement Conte II (PD-M5S), et, à nouveau, moteur du Vieux Continent avec Mario Draghi (dans une très grande alliance gouvernementale incluant tous les partis italiens sauf les Frères d’Italie et le petit parti Gauche italienne).

Quelques jours ont suffi après la prise de fonction au Palazzo Chigi pour le brusque changement de registre de Meloni. Elle est devenue Premier ministre à la tête d’une coalition qui comprend également la Ligue (qui appartient au groupe Identité et Démocratie) et Forza Italia (fortement ancrée au Parti populaire européen). Deux ans avant d’être désigné comme Premier ministre italien, la leader des Frères d’Italie a également été la première personnalité politique italienne à diriger un parti européen, celui des conservateurs et des réformistes. On retrouve en partie cette idée conservatrice dans le discours que Meloni a prononcé le 15 février 2023, précisément à Bruxelles, lorsqu’elle a esquissé une nouvelle ligne pro-européenne « à la Meloni », en tant que phare de son gouvernement : « Quiconque pense que l’Europe devrait être un club dans lequel il y a ceux qui comptent plus et ceux qui comptent moins, font des erreurs. Parce que cela affaiblit l’Europe. Quand on dit que l’Europe a une première classe et une troisième classe, il faut se souvenir du Titanic, car alors quand le navire coule, peu importe le prix que vous avez payé pour le billet. »

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Il n’aura fallu que quelques mois à l’Italie dirigée par une majorité de « droite-centre » pour faire un saut qualitatif même dans l’équilibre européen actuel, gouverné par des familles assez éloignées des deux principaux partis qui dirigent la coalition italienne au pouvoir. Et aujourd’hui, selon la tradition vert blanc rouge, les mouvements italiens sont prêts à cacher des surprises. Ni les maisons green que l’Europe voudrait rendre obligatoires d’ici 2030, obligeant les deux tiers du parc immobilier italien à subir d’importants travaux de rénovation pour économiser l’énergie, ni l’étiquette sur le vin « cancérigène », ne justifient plus les combats de gladiateurs romains contre l’Europe des bureaucrates. Mais l’étonnant européisme de Meloni cache aussi un projet de remporter la majorité à Bruxelles lors des prochaines élections européennes de juin 2024.

Rebattre les cartes au Parlement

L’axe européen qui semble se profiler à l’horizon, entre les populistes et les conservateurs, pourrait être la surprise des prochaines élections européennes : c’est-à-dire un bloc de forces de centre-droit qui surpasse celui des socialistes, changeant ainsi aussi la donne de l’équilibre historique auquel nous avons tous été témoins ces dernières années (et qui a produit les politiques de la commission Von der Leyen). Le ministre des Affaires européennes Raffaele Fitto (Frères d’Italie) y travaille. Et pas depuis hier : d’abord, en tant que député européen, il a conduit il y a quatre ans les Frères d’Italie chez les conservateurs, puis en tant que conseiller de Meloni, il a construit le chemin de sa présidence à la tête d’ECR (le groupe européen des conservateurs et réformistes). Enfin, en tant que ministre dans le gouvernement Meloni, il est responsable de deux dossiers décisifs : les affaires européennes et le PNRR.

D’après les sondages, l’ECR pourrait devenir la troisième force au Parlement européen, avec les Frères d’Italie comme première délégation. L’axe entre le Parti populaire européen (PPE) et les conservateurs et réformistes européens (ECR) pourrait être la grande nouveauté des élections européennes de 2024. Et l’Italie est une sorte de laboratoire dans lequel la possibilité de coexistence est testée. En effet, à Rome, le premier parti des conservateurs européens, Frères d’Italie, gouverne avec Forza Italia de Berlusconi et Tajani, pilier du PPE, et avec la Ligue de Salvini, qui est dans le groupe de la droite européenne Identité et Démocratie. Et même en Espagne, des efforts sont déployés pour que le Parti populaire remporte les élections en alliance avec Vox. Et si une situation similaire existe aussi en Suède (les démocrates suédois, membres du groupe ECR, sont décisifs dans la coalition de centre-droit menée par les modérés du PPE, et en République tchèque, Petr Fiala mène l’exécutif avec le Parti démocrate civique, membre de l’ECR, allié à l’Union démocrate-chrétienne, membre du PPE), l’Italie est parmi ceux-ci le seul pays fondateur de l’UE. C’est pourquoi, l’issue de cette alliance italienne serait historique.

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Le chef de groupe du PPE, Manfred Weber, a déjà rencontré Giorgia Meloni au Palazzo Chigi dans son double rôle, Premier ministre italien et leader de l’ECR. Certaines convergences entre PPE et conservateurs sont déjà apparues dans les discussions sur les sanctions contre la Russie et sur les politiques européennes de transition énergétique. Le vice-Premier ministre italien Antonio Tajani (Forza Italia), ancien président du Parlement européen, s’est dit ouvert à une alliance entre ces deux forces et, pourquoi pas, avec les libéraux de Renew Europe. « Bien qu’il s’agisse de forces différentes, les populistes et les conservateurs votent déjà souvent ensemble au Parlement européen », explique Tajani. Sur l’environnement, le PPE et l’ECR sont favorables à une transition pragmatique. Sur le front des droits civils, ils demandent une protection contre la discrimination, mais aussi une attention aux valeurs traditionnelles. Sur le front budgétaire, ils ne sont pas favorables au retour du Pacte de stabilité tel que nous le connaissons. Et ensemble, ils soutiennent l’augmentation des dépenses militaires européennes, se rangeant clairement du côté de la défense de l’Ukraine. « Le peuple ukrainien, a expliqué Meloni lors du IVe sommet des chefs d’État et de gouvernement au Conseil de l’Europe, avec sa réaction héroïque à l’invasion russe, non seulement défend sa patrie, mais défend les valeurs fondatrices de l’identité européenne : liberté, démocratie, justice, égalité entre les hommes. » Par ces mots, le Premier ministre a réaffirmé son idée de défendre une Europe forteresse de valeurs construite au fil des millénaires. […] En 1949, dix nations, dont l’Italie, ont donné naissance au Conseil de l’Europe, convaincues que la protection des valeurs fondamentales de liberté, de démocratie et de dignité humaine était la base d’une prospérité partagée et pacifique. Aujourd’hui, a ajouté le Premier ministre italien (elle aime décliner sa fonction publique au masculin), nous sommes 46 nations et nous sommes réunis ici à Reykjavik pour dire avec force que notre mission est plus actuelle que jamais. » Des mots de ceux qui savent qu’ils peuvent compter en Europe bien plus qu’aujourd’hui à partir de l’été 2024.

Toujours à Reykjavik, sous la pluie, le Premier ministre italien et le président français ont également apparemment rétabli un lien. « Nous allons travailler ensemble », a assuré le locataire de l’Élysée. Après les critiques acerbes adressées à l’Italie pour la gestion des migrants par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, un climat de cordialité est revenu entre Meloni et Macron. Et le calme pourrait revenir encore plus après les élections européennes.

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Francesco De Remigis

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