L’explosion du Soft power de la Chine ?

6 juin 2025

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L’explosion du Soft power de la Chine ?

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Lorsqu’on parle de la Chine et de soft power, rares sont ceux qui associent spontanément ces deux notions — si ce n’est pour souligner le manque d’efficacité du second. Pourtant, plusieurs études récentes indiquent que la Chine progresse dans ce domaine à un rythme inédit.

Il est désormais largement confirmé et accepté que la Chine, après quarante années d’efforts soutenus, est devenue la première puissance industrielle mondiale. Elle s’impose également comme l’un des plus grands laboratoires de recherche du globe : premier déposant de brevets au monde, elle figure parmi les leaders en matière d’innovations disruptives dans des secteurs clés, tels que l’intelligence artificielle, les technologies spatiales ou encore les véhicules électriques.

En revanche, son soft power reste globalement en retrait par rapport aux grandes puissances culturelles mondiales. C’est dans ce contexte que les révélations récentes de FMI, Brand Finance et The Economist suscitent un étonnement bien au-delà des attentes.

Étude de FMI

Dans un document publié le 4 octobre 2024, deux économistes du FMI proposent un nouvel indice de soft power, concept clé en géopolitique depuis 30 ans. Le soft power, défini par Joseph Nye en 1990, désigne la capacité d’un pays à influencer sans contrainte, grâce à son image, sa culture, ses valeurs ou sa diplomatie, par opposition au hard power (force militaire ou économique). Exemples emblématiques : le cinéma américain, les mangas japonais, ou la diplomatie française.

Les auteurs présentent un nouvel indice global de soft power (GSPI), construit à partir de 29 indicateurs répartis sur six dimensions, couvrant plus de 30 ans (1990–2021). L’indice est élaboré selon une méthode en trois étapes : normalisation des données, agrégation par dimension, puis agrégation finale en un seul score.

Ce cadre méthodologique permet une analyse systématique du soft power, facilitant les comparaisons entre pays et dans le temps. Chaque sous-indice reflète une fonction spécifique du soft power, offrant une lecture fine des différences entre nations.

Figure 1. Soft Power Across the World, 2021

L’indice global de soft power (GSPI) montre une forte variation entre les pays[1]. En 2021, les scores allaient de -0,59 à 1,68, avec une médiane de 0 et un écart type de 0,49. La Corée du Sud arrive en tête avec 1,68, suivie du Japon (1,25), de l’Allemagne (1,18) et de la Chine (1,17), tous au-dessus du seuil de 1,00. En général, les économies avancées affichent un soft power plus élevé que les pays en développement, bien que des exceptions existent.

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L’évolution dans le temps révèle que la Chine a considérablement renforcé son soft power, passant de 0,70 en 2004 à 1,17 en 2021, tandis que celui du Royaume-Uni a diminué, de 1,32 à 0,85. Ainsi, en 2021, la Chine dépasse le Royaume-Uni en termes de soft power selon le GSPI.

Étude de Brand Finance

Brand Finance est le leader mondial du conseil en évaluation et en stratégie de marque. Il évalue le soft power des nations selon trois éléments principaux :

  1. Indicateurs clés de performance (KPI) : Familiarité : niveau de notoriété d’un pays ; Réputation : perception positive du pays ; Influence : capacité perçue d’un pays à influencer d’autres nations.
  2. Huit piliers du soft power et 35 attributs de marque nationale :
    Ces piliers couvrent des domaines tels que la culture, les relations internationales, la gouvernance, le commerce, l’éducation, les valeurs, la durabilité et les médias. Une analyse statistique permet d’identifier les attributs ayant le plus d’impact sur la réputation et l’influence d’un pays.
  3. Indicateur de recommandation :
    Mesure dans quelle mesure un pays est recommandé pour y investir, commercer, travailler, étudier ou voyager, reliant directement le soft power à la performance nationale dans ces secteurs.

Le classement, lancé il y a six ans, repose sur une analyse rigoureuse mêlant expertise académique (notamment celle du Dr Paul Temporal de l’Université d’Oxford) et consultations avec des spécialistes du soft power à travers le monde. Depuis 2022, les enquêtes se concentrent exclusivement sur l’opinion du grand public pour renforcer la comparabilité internationale.

L’année 2025 est une année majeure pour la marque nationale de la Chine. Le pays est désormais la deuxième puissance mondiale en matière de soft power, dépassant le Royaume-Uni et n’étant devancé que par les États-Unis[2]. Cette deuxième place dans le classement représente la meilleure performance jamais enregistrée par la Chine depuis que Brand Finance a commencé à analyser la perception des marques nationales.

Cette ascension n’est pas le fruit du hasard : la Chine a entrepris des efforts délibérés et multidimensionnels pour corriger les faiblesses de son image à l’international. Les données montrent que cette stratégie porte ses fruits, puisque la réputation de la Chine s’est hissée à la 27e place, contre la 56e en 2021.

Au cours de l’année écoulée, la marque nationale chinoise a connu une progression notable dans six des huit piliers du soft power, ainsi que dans deux tiers des attributs évalués. Cette croissance met en lumière l’amélioration de la perception de la Chine sur un large éventail d’indicateurs économiques, culturels et sociaux, qui contribuent à renforcer son soft power.

Article de The Economist

The Economist a publié un article surprenant qui rapporte le progrès du soft power chinois : How China became cool (Comment la Chine est devenue cool) [3].

Un influenceur américain de 20 ans, IShowSpeed (Darren Watkins junior) a amélioré l’image de la Chine à l’étranger plus efficacement que des années de communication officielle. Lors d’un voyage en Chine, il a partagé à ses 38 millions d’abonnés une image moderne, technologique et accueillante du pays, suscitant l’enthousiasme en ligne.

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Depuis la fin de la pandémie, les jeunes étrangers sont de plus en plus ouverts à la Chine, attirés par ses innovations (voitures électriques, robots, IA), ses produits culturels (jeux vidéo, micro-dramas, etc.) et la baisse de popularité des États-Unis. Quatre des dix jeux mobiles les plus lucratifs de 2024 ont été développés en Chine. Parmi eux figure Genshin Impact, un jeu de rôle d’aventure qui génère plus d’un milliard de dollars par an. L’an dernier, une entreprise chinoise a lancé Black Myth: Wukong, le premier jeu vidéo à grand succès du pays. Mettant en scène le malicieux Roi Singe, il s’inspire profondément du folklore chinois[4]. Environ 30 % de ses 25 millions de joueurs seraient situés hors de Chine.

Exemption de visa

En 2023, la Chine a décidé d’ouvrir grand sa porte en mettant en place l’Exemption unilatérale de visa jusqu’au 31 décembre 2025 : les citoyens de 39 pays (dont la France, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, etc.) titulaires de passeports ordinaires peuvent entrer en Chine sans visa pour 30 jours pour affaires, tourisme, visite ou transit. La liste des nouveaux pays éligibles est rendue public au fur et à mesure.

Transit de 24 heures, Transit de 72h ou 144h sans visa sont accessible à 54 pays d’Europe, des Amériques, d’Asie et d’Océanie (dont la France, le Canada, les États-Unis, le Japon, etc.), pour un court séjour dans certaines villes chinoises.

Ces mesures ont offert aux touristes l’opportunité de découvrir par eux-mêmes la Chine moderne et d’échanger directement avec la population, contribuant ainsi de manière significative à l’amélioration de la perception du pays à l’étranger.

Conclusion

Il est clair que le soft power chinois progresse significativement, porté par des initiatives publics et privées, l’influence croissante de créateurs de contenu étrangers, l’attrait de ses technologies de pointe et ses performances économiques et, dans une certaine mesure, par des mesures facilitant les échanges comme l’exemption de visa.

Le niveau de soft power d’un pays n’est ni figé ni linéaire : il évolue au gré des dynamiques internes, des contextes géopolitiques et des perceptions fluctuantes à l’international. La Chine en est pleinement consciente : elle sait que les remous sont inévitables et que le chemin vers une meilleure compréhension reste long. Grandis restat via.

[1] Serhan Cevik and Tales Padilha, Measuring Soft Power: A New Global Index, WP/24/212, IMF, Oct 2024.

[2] Cf. Brand Finance, Global Soft Power Index 2025 (https://static.brandirectory.com/reports/brand-finance-soft-power-index-2025-digital.pdf).

[3] How China became cool, Western livestreamers and Chinese video games have burnished the country’s image, The economist, May 20th 2025|BEIJING.

[4] Cf. Alex Wang, Le phénomène « Black Myth : Wukong », Revue Conflits, le 28 août 2024.

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À propos de l’auteur
Alex Wang

Alex Wang

Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

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