<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’Inde face aux Britanniques : une brève histoire de la colonisation anglaise en Inde #2

15 juillet 2023

Temps de lecture : 8 minutes
Photo : Rencontre entre Lord Clive et Mir Jafar après la bataille de Plassey, par Francis Hayman (vers 1762). WikiCommons
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L’Inde face aux Britanniques : une brève histoire de la colonisation anglaise en Inde #2

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Le 25 octobre 2022, alors que les Indiens célèbrent la fête de Diwali, victoire de la lumière sur les ténèbres, Rishi Sunak, fils d’immigré d’origine indienne, est nommé Premier ministre du Royaume-Uni. Cet heureux hasard du calendrier provoque une vague d’enthousiasme et de fierté en Inde. Comprendre le lien étroit qui unie l’Inde et le Royaume-Uni nécessite de revenir sur l’histoire de la colonisation anglaise en Inde, dont les deux siècles d’occupation forment une partie intégrante de l’histoire du pays des mille dieux. 

Alors que les réseaux sociaux inondent Rishi Sunak de messages de félicitations, la télévision de New Delhi titre fièrement sur les écrans « un fils indien s’élève au-dessus de l’Empire ». Cette fierté s’accompagne d’un esprit de revanche sur l’histoire, où certaines presses indiennes se plaisent à rappeler que Rishi Sunak va symboliquement occuper le siège de Winston Churchill, qui était farouchement opposé à l’indépendance indienne. Un regard historique de la colonisation britannique en Inde permet d’éclairer les liens qui unissent aujourd’hui les deux pays. C’est aussi au moment de l’indépendance de l’Inde, au milieu du siècle dernier, que sont nés différents pays comme le Pakistan, le Bangladesh et le Sri Lanka (Ceylan), véritables créations étatiques de la décolonisation anglaise en Asie. 

Un appât commercial pour les Européens 

Entre le XVIe et le XVIIe siècle, les Européens s’insérèrent dans le monde indien pour se procurer ce dont les consommateurs du Vieux continent étaient friands et que l’Inde produisait en abondance : des épices et de beaux tissus. 

Dans l’imaginaire collectif, la colonisation de l’Inde est souvent considérée comme étant l’affaire des Britanniques, or elle est plus largement une affaire européenne. En effet, les Portugais, les Hollandais et les Français se sont aussi intéressés à l’Inde. Les premiers colonisateurs européens furent les Portugais qui débarquèrent pour la première fois en Inde, avec Vasco de Gama, en 1498. L’idée était de nouer des alliances avec des chrétiens d’Orient, dont on imaginait la présence en Inde, afin de prendre à revers le monde musulman. Au début du XVIe siècle, les Portugais s’emparèrent ainsi de plusieurs régions sur la côte ouest de l’Inde et étendirent leurs comptoirs commerciaux sur l’ensemble du pays. L’expansion portugaise s’arrêta au début du siècle suivant sous la pression de la concurrence anglaise et pour des raisons de politique intérieure. 

Les marines hollandaises puis anglaises prirent alors le relais du commerce en Inde. Fondée en 1600 par la reine Elisabeth Ier, la Compagnie anglaise des Indes orientales a pour objectif de conquérir « les Indes » et de dominer les flux commerciaux avec l’Asie. Deux ans plus tard, en 1602, la fameuse VOC, Compagnie hollandaise des Indes orientales est fondée par la Hollande. Malgré une rude concurrence commerciale, les deux Compagnies s’accordent pour se partager le commerce en Inde. Ainsi, au début du XVIIe siècle, le marché des épices est monopolisé par les Hollandais et les Anglais se réservent le commerce du textile. La Compagnie anglaise s’installe à Madras en 1640, à Bombay en 1674 puis à Calcutta en 1690, formant les trois points d’appui de la future puissance britannique en Inde. La France fut le quatrième et dernier acteur européen à entrer en scène sur le sous-continent. La Compagnie française des Indes orientales fondée en 1664 par Colbert permet à la France de se lancer dans la conquête commerciale de l’Asie. En 1672, les Français s’établissent à Pondichéry et développent cinq comptoirs commerciaux en Inde. 

Durant deux siècles, les marchands européens utilisèrent l’Inde comme une simple plateforme commerciale, sans aucune tentative de conquête. Surtout, la balance commerciale des échanges fut largement bénéfique à l’Inde qui n’avait besoin d’aucuns produits européens et qui vendait ses précieuses épices et textiles de coton contre d’importantes quantités de métal et d’argent. 

De la mainmise britannique…

À cette période, l’Inde n’est pour l’Europe qu’une zone stratégique d’échange commercial. Pourtant, la Compagnie anglaise des Indes orientales allait bientôt conquérir un territoire qui, en l’espace de cinquante ans, deviendrait le joyau de l’Empire britannique.

Au XVIIIe siècle, l’économie indienne était florissante. À l’époque, le pays produisait 25% des richesses du monde, soit dix fois plus que la France de Louis XIV. C’est cette prospérité qui alimenta les fonds des compagnies britanniques. L’essor de ces dernières, cantonnées aux comptoirs commerciaux, créa une forme de dépendance pour les sultans et les petits rois locaux qui devinrent rapidement dépendants de la demande européenne. En outre, les instabilités politiques locales conduisirent les Britanniques à sécuriser leurs comptoirs commerciaux, devenant alors de véritables forteresses. Ainsi, les provinces indiennes tombèrent peu à peu sous l’influence britannique ; le début de la conquête anglaise débutait. 

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La grande stratégie de l’Angleterre

La conquête se fit en trois étapes. C’est au Bengale, à l’est du pays, dans la région actuelle du Bangladesh, que les Anglais réussirent leur première percée en 1757 lors de la bataille de Plassey. Cette victoire contre les armées du Bengale soutenues par les forces françaises marque le début de la domination britannique en Inde. La deuxième étape fut la conquête du sud. Entre 1765 et 1801, la Compagnie anglaise des Indes orientales étendit son contrôle dans le sud du pays, avec de nombreuses résistances de la part de la Compagnie française et des sultans locaux. La troisième et dernière étape de la conquête s’acheva par une victoire contre les Marathes en 1818, donnant accès aux Anglais à l’ouest du pays. À partir de cette date, les Anglais dominèrent définitivement le pays des mille dieux. La principale marque de la domination britannique se manifesta par le choix de l’anglais à la place du persan comme langue officielle de l’administration et des tribunaux en 1835.

… à l’Empire britannique

En 1857, la Compagnie anglaise des Indes orientales doit faire face à une grande rébellion, en raison du mécontentement de soldats musulmans et hindous contraints d’utiliser des cartouches contenant des substances impures, notamment de la graisse de porc pour les musulmans et de vache pour les hindous. Cette révolte vint sceller le destin de la Compagnie anglaise qui est dissoute en 1874. L’Inde passe alors directement sous le régime de la Couronne britannique et la reine Victoria est proclamée impératrice des Indes en 1876 , avec un vice-roi nommé pour trois ans, chargé de la représenter à Calcutta. Le régime colonial mis en place est nommé le « Raj britannique ».

Dès 1858, les Britanniques administrent un territoire immense, qui s’étend de l’actuel Pakistan jusqu’à la Birmanie en incluant l’Inde, le Sri Lanka et le Bangladesh. Le territoire regroupe des « provinces » sous administration directe et des États princiers sous suzeraineté britannique. Trois « présidences » furent créées pour administrer ce grand territoire : la présidence du Bengale à l’est, la présidence de Madras au sud et la présidence de Bombay à l’ouest. Cette triple présidence sur plusieurs pays justifie l’emploi de l’expression « empire des Indes ». Le maintien de l’ordre colonial reposait sur les forces armées britanniques, la British Army in India. 

L’état colonial avait d’abord pour objectif de servir les intérêts économiques de la métropole. Les Britanniques considéraient l’Inde comme une véritable zone de prospérité économique. Dès la fin du XIXe siècle, ils développèrent des productions de thé, de café, de coton et construisirent un vaste réseau de chemins de fer reliant les principales villes indiennes. Sur le plan social, des universités furent créées à Calcutta, Bombay et Madras. Le barreau et la magistrature offrirent des débouchés à la société indienne, mais aussi aux professions médicales. En 1911, le gouvernement britannique déplaça la capitale de Calcutta dans une nouvelle ville située au sud de la vielle ville de Delhi, nommée « New Delhi » par les Anglais.

Les débuts du nationalisme indien 

Au début du XXe siècle, les premières revendications politiques apparaissent contre la domination britannique. Dans les années 1920, alors que les premières tensions éclatent, un personnage prend rapidement la tête du mouvement nationaliste indien : Gandhi. Surnommé le « Mahatma », qui signifie « grande âme », il rentre en Inde après avoir exercé en tant qu’avocat en Afrique du Sud. Gandhi devient la figure de la résistance et appelle les Indiens à la non-violence et à la désobéissance civile. Le futur Premier ministre de l’Inde, Nehru, devient l’un de ses fervents disciples. Le parti du Congrès indien prend la tête de la révolte et plaide pour la création d’une Inde indépendante et laïque. Mais les musulmans minoritaires ne veulent pas d’un pays dominé par les hindous et fondent alors leur propre parti politique, la Ligue musulmane, qui réclame la création d’un État musulman indépendant.

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Dans son combat pour l’indépendance de l’Inde, Gandhi prône en 1919 un premier mouvement populaire de « non-coopération » avec les Anglais qui consiste à boycotter les produits britanniques. Dans un second temps, il lance une vaste campagne de désobéissance civile fin 1929 pour réclamer clairement l’indépendance de l’Inde. Elle débute par la célèbre « marche du sel » organisée par Gandhi. Avec quelques compagnons, il marche pour récolter le sel marin, en violation ouverte avec la loi de l’État colonial qui possède à l’époque le monopole de la collecte et de la vente de cette denrée. En 1942, le Mahatma lance son dernier mouvement massif Quit India (« Quittez l’Inde ») exigeant le départ immédiat des Britanniques. Il est aussitôt arrêté, au côté des principaux leaders du Congrès. 

Lors de la Seconde Guerre mondiale, le Japon, ennemi de la Grande-Bretagne, s’empare de la Birmanie et bloque les approvisionnements en riz du Bengale, provoquant une famine à l’origine de plus de deux millions de morts. Face aux tensions croissantes, la question de l’indépendance devient inévitable. Dès 1945, l’ordre est donné par Londres de négocier l’indépendance ; la rupture entre l’Angleterre et l’Inde est consommée. 

Vers l’indépendance et la partition des Indes 

Clément Atlee, qui succède à Winston Churchill au poste de Premier ministre en 1945, est convaincu que l’indépendance de l’Inde est inévitable. Seulement, les tractations sont rendues difficiles à cause des différents leaders politiques indiens. Mosaïque d’États princiers et de religions multiples, l’Inde est marquée par une forte opposition entre hindouistes et musulmans. Le parti du Congrès, dominé par les hindouistes, veut la création d’un seul État laïque rassemblant tous les Indiens. De son côté, la Ligue musulmane réclame son propre État musulman indépendant.

En 1947, les Britanniques réunissent le Parti du Congrès et la ligue musulmane pour négocier l’indépendance du pays. Craignant une guerre civile entre hindous et musulmans, les Britanniques soutiennent l’idée de créer deux États. C’est ainsi que naissent respectivement le 14 et le 15 août, le Pakistan et l’Union indienne. Le Pakistan est un pays musulman divisé en une partie occidentale, située sur l’actuel État du Pakistan, et orientale, située sur l’actuel État du Bangladesh. De son côté, l’Union indienne est un pays laïc à forte majorité hindoue. Dans les régions où les populations hindouistes et musulmanes sont très imbriquées, principalement autour du Pendjab à l’ouest et du Bengale à l’est, la partition de l’Inde provoque des exodes massifs selon les confessions religieuses. Les musulmans fuient l’Inde pour rejoindre le Pakistan et vice-versa pour les hindous. Évalués autour de 14 millions de personnes, ces déplacements forment le plus grand exode de l’histoire. Les tensions entre l’Inde et le Pakistan se canalisent autour de la région du Cachemire, au nord-ouest du pays et la première guerre indo-pakistanaise éclate en 1948 dans la région. L’ONU obtient un cessez-le-feu l’année suivante et dessine une frontière provisoire. Ceylan, l’actuel Sri Lanka, obtient son indépendance le 4 février 1948. L’Inde devient rapidement une République parlementaire fédérale et les premières élections du pays au suffrage universel ont lieu en 1952. Le Pakistan oriental se révolte en 1971 contre le pouvoir d’Islamabad et devient l’État indépendant du Bangladesh.

Un héritage empoisonné ? 

Plusieurs réalisations britanniques auront été bénéfiques pour l’Inde, notamment concernant le réseau de chemin de fer, les hôpitaux et les universités. D’un point de vue culturel, le cricket est devenu le sport national dans l’ensemble du sous-continent et la place conquise par la langue anglaise est un véritable héritage que beaucoup d’Indiens ont fait leur. Cependant, l’Inde sort de la période coloniale largement sous-industrialisée et la pauvreté dans les campagnes reste forte. Surtout, les identités recomposées ont fragmenté la société au sein de configurations nouvelles. 

Ainsi, l’héritage de la période britannique est l’objet de multiples controverses. Au sein de la nouvelle Union indienne, les clivages sont nombreux et sources de conflits à venir. Sauvegarder l’unité et assurer la stabilité des institutions après les déchirements de l’époque coloniale allait être l’obsession des gouvernements indiens après 1947. Les efforts pour devenir « la plus grande démocratie du monde » étaient lancés.

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Côme de Bisschop

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