<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’industrie pharmaceutique russe innove

6 juin 2021

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Photo illustration du Vaccin Russe Sputnik V //07ALLILIMAGES_ALLILI1324/2102061113/Credit:ALLILI MOURAD/SIPA/2102061119
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L’industrie pharmaceutique russe innove

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Le monde semble avoir découvert les capacités de l’industrie pharmaceutique russe, laquelle vient de mettre au point quatre vaccins contre la Covid-19, dont le plus connu est le Spoutnik V. On pensait qu’après l’effondrement de l’URSS, toute la filière, de la recherche à la production de masse, s’était effondrée et dépendait largement des grandes firmes multinationales, ce qui a été globalement vrai jusqu’aux années 2003-2006. Depuis, la situation s’est améliorée, bien que les capacités de production à grande échelle fassent actuellement défaut. Il n’en est pas de même pour la recherche et l’innovation en matière virale où la Russie s’appuie sur une riche et ancienne tradition.

 

Après l’effondrement de l’URSS, on a assisté à un délabrement du système de santé et à une chute du marché des médicaments, du fait de la baisse des revenus de la population. Pendant une quinzaine d’années, l’importance des besoins en médicaments fut telle que ceux-ci ne purent être satisfaits que par une offre de grande ampleur. Or, la production pharmaceutique russe se caractérisait par son insuffisance sur le plan à la fois quantitatif et qualitatif, ce qui a représenté autant d’opportunités pour les producteurs étrangers. Les médicaments russes, souvent peu efficaces et qui parfois n’étaient que de pâles copies de produits vendus dans les pays occidentaux dans les années 1960, n’étaient que 3 000 à figurer dans la nomenclature des produits pharmaceutiques en 1990, dont seulement un peu plus de 1 000 étaient produits en quantité suffisante par rapport aux besoins. La demande en substituts sanguins n’était satisfaite qu’à hauteur de 20 % et celle en traitements pour les maladies cardiovasculaires à 25 %. La production de médicaments utilisés dans les cas du cancer et du diabète ne correspondait respectivement qu’au tiers et à 10 % des besoins, sans compter la rareté des anti-inflammatoires et des produits destinés aux irradiés de Tchernobyl. Les entreprises pharmaceutiques ont été conduites à conclure dès 1989, des accords de partenariat avec des firmes étrangères afin d’acquérir un savoir-faire. Depuis, la situation s’est notablement améliorée et l’industrie pharmaceutique russe, si elle est encore loin d’être en mesure de couvrir tous les besoins d’une population vieillissante, a montré qu’elle possédait des capacités de rebond. En effet, une prise de conscience est intervenue depuis la crise financière des années 2008-2009, l’annexion de la Crimée et les sanctions économiques qui en ont découlé, ainsi que la chute des matières premières, dont les hydrocarbures, ont conduit à une crise économique forte dans le pays et notamment une importante baisse du taux de change du rouble de 65 % en huit ans. Cela a conduit certains laboratoires étrangers à réduire la production de leurs médicaments destinés à la Russie, du fait que leurs marges ont été annulées par les effets de change. Pour combler cette baisse des importations de médicaments étrangers, le gouvernement russe a lancé en 2009 l’initiative Pharma 2020, visant à développer une industrie pharmaceutique nationale robuste qui permettrait de remplir certains des objectifs de santé. L’ambition affichée fut de lancer un programme de substitution des importations de médicaments innovants qui devraient être produits en Russie. L’un des principaux objectifs de Pharma 2020 fut de faire passer la part de marché des médicaments produits dans le pays de 22 % en 2010 à 50 % d’ici à 2020. En outre ont été adoptées des mesures protectionnistes. Pharma 2020 a été divisée en trois phases : 

La première, de 2009 à 2012, était axée sur la construction de nouveaux sites industriels de production et sur les investissements en R&D. La deuxième, de 2012 à 2017, se concentrait sur la production nationale de génériques, la mise en œuvre d’une politique de remplacement des importations et les progrès vers l’autosuffisance pharmaceutique. La dernière phase, de 2018 à 2020, et qui a été prolongée, se concentre sur la croissance des exportations, dont les vaccins anti-Covid-19 ont représenté le fer de lance.

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Qui produit les vaccins russes contre le Covid-Sars 2 ?

Le premier centre, basé à Moscou, dépendant du ministère de la Santé de la Fédération de Russie, le plus connu est l’Institut de recherche Gamaleïa d’épidémiologie et de microbiologie, anciennement connu sous le nom de Centre fédéral de recherche NF Gamaleïa. Fondé en 1891, il rend hommage à l’éminent scientifique russe et soviétique Nikolaï Gamaleïa, pionnier de la microbiologie et de la recherche sur les vaccins. L’Institut a développé le premier vaccin contre le SARS-CoV-2 en collaboration avec l’Institut central de recherche du ministère de la Défense de la Fédération de Russie et du Centre national de recherche en virologie et biotechnologie Vector du Rospotrebnadzor. Gamaleïa a déjà travaillé sur un coronavirus, le MERS-Cov, apparu au Moyen-Orient en 2012. En mai 2017, il avait annoncé qu’il livrerait 1 000 doses de son vaccin candidat, GamEvac-Combi à la Guinée pour tenter de lutter contre la maladie à virus Ebola, ce qui constituait déjà une performance. Ainsi à la différence de la plupart des autres vaccins contre le Covid-19, Spoutnik V n’est pas parti de zéro. Il s’agit en fait d’une déclinaison d’un autre vaccin, destiné à lutter contre le virus Ebola. Dans un long article, le correspondant à Moscou du New Yorker a relaté comment le vaccin Spoutnik V a été développé et la façon dont il opère. Une enquête qui l’ a convaincu de se faire vacciner avant même que les données ne soient publiées dans The Lancet, début février.

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En mai 2020, le centre a annoncé qu’il avait développé un vaccin potentiel contre la Covid-19. Les essais de phase I se sont achevés le 18 juin 2020 et la phase II a été déclarée comme achevée en juillet 2020. Le 11 août 2020, le président russe Vladimir Poutine a déclaré que l’Institut avait enregistré un vaccin Covid-19 appelé Gam-Covid-Vac. Des doutes se sont alors développés dans la communauté scientifique internationale à la suite de cette annonce, principalement parce qu’il n’y a pas eu de publication des résultats des essais cliniques. Au moment de l’enregistrement, il n’y avait aucune preuve de l’innocuité de la dose efficace, des biomarqueurs d’une réponse immunitaire ou de l’efficacité de son action. Le 4 septembre, des données sur 76 participants à l’essai de phase I-II ont été publiées, indiquant des preuves préliminaires de sécurité et une réponse immunitaire. Mais le 2 février, la revue The Lancet a certifié que l’efficacité du Spounik s’élevait à 91,6 %. Spoutnik V s’appuie sur la technique du vecteur viral qui, comme l’ARN messager, consiste à injecter une instruction génétique dans les cellules et à les laisser produire l’antigène qui va lancer la défense immunitaire. Cependant, il ne s’agit pas d’ARN, mais d’ADN inséré dans le génome d’un adénovirus. Mais là où les chercheurs d’Oxford utilisent deux fois le même cargo pour transférer leur marchandise génétique, ceux de Gamaleïva changent de vecteur. La première injection s’appuie sur l’adénovirus Ad26, la seconde sur Ad5. L’Institut Gamaleïa a d’ailleurs pris contact avec le laboratoire allemand IDT. Aussi, selon les mots du patron du fonds de recherche russe, Kirill Dmitriev, qui dirige le puissant fonds souverain russe, le RDIF (Russian Direct Investment Fund), doté de 8,4 milliards d’euros, qui a financé les travaux de recherche, la « Russie avait raison dès le début » et est revenue dans la cour des grands. Peu coûteux (moins de 0,83 euro la dose et facile à stocker [2 à 8 °C]). En outre, l’Institut Gamaleïa a mis au point un vaccin light, ne requérant qu’une seule piqûre, qui sera efficace de manière plus brève, aura un niveau de protection inférieur, mais que l’on peut produire immédiatement par dizaine de millions. Le directeur du centre Alexandre Ginzburg l’estime, pour le moment, à 85 % contre 91,6 % après injection de deux doses de Spoutnik.

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Le second est le centre national de recherche en virologie et biotechnologie Vektor, de très haut rang, situé à Koltsovo dans la région de Novossibirsk (Sibérie occidentale), placé au même niveau que les CDC et le US Army Chemical and Biological Defense Command. Les recherches s’organisent autour de tous les niveaux de danger biologique classés de faible à très élevé (1 à 4). Ce lieu est l’un des deux seuls endroits au monde à posséder le virus de la variole. Il est aussi désigné comme pièce importante du réseau de recherche en armes biologiques Biopreparat. C’est cet institut qui a émis le vaccin EpiVacCorona, conçu à base d’antigènes peptidiques, une nouvelle technologie encore jamais utilisée sur l’homme, enregistré en octobre 2020 et dont les essais cliniques allaient montrer son efficacité à 100 % pendant six mois. Un vaccin low cost destiné à venir en aide aux pays faisant face à une vague épidémique d’ampleur. 

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Pour le moment, la Russie ne dispose que de six producteurs agréés dans le pays, ce qui ne peut suffire à la demande nationale. De fait, le handicap tient à sa production. En 2013, le gouvernement s’était opposé à la vente de la firme Petrovax, créée en 1996 par des scientifiques, à la société américaine Abbot Laboratories. Peut-être que modernisée, elle aurait pu produire en masse du Spoutnik V. En effet, l’Institut Gamaleïa fait de la recherche, pas de la production à grande échelle. D’où les nombreux accords qu’il a passés avec des fabricants locaux et des producteurs internationaux de médicaments génériques. Ce qui risque de poser des problèmes pour garantir l’homogénéité du produit. Or, c’est cet aspect qu’examinent également les agences d’homologation. Devant les difficultés occasionnées par AstraZeneca ou Johnson & Johnson, sans compter les graves déboires suscités par les vaccins chinois, les pays européens se résoudront à la fois, via l’Agence européenne des médicaments (AEM), à donner leur agrément à l’homologation des divers vaccins russes, et leur mise en production massive, afin de pourvoir aux besoins intérieurs, comme de fournir les doses si attendues en Afrique, et dans le reste du monde. D’ores et déjà un premier accord a été signé entre le gouvernement russe et la société italo-suisse Adienne Pharma et Biotech pour produire le vaccin sur le site de Caponago (Lombardie), province de Monza Brianza. Sans nul doute cet exemple ne devrait pas rester isolé. « On n’aura pas besoin de Spoutnik » avait déclaré le 21 mars, Thierry Breton, le commissaire chargé du volet industriel de la stratégie vaccinale européenne. Pourtant, le Kazakhstan, l’Inde, la Corée du Sud et le Brésil produisent également le Spoutnik V. 

À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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