Troupes de montagne, dystopie, Parlement, Constantinople : aperçu des livres de la semaine.
Grégoire Thonnat, Le petit quizz des Troupes de montagnes, Pierre de Taillac, 8€, 2025.
Dans la série des petits quizz, les éditions Pierre de Taillac reviennent avec un numéro consacré aux troupes de montagne. Des questions sur l’histoire, les traditions, les symboles pour mieux connaître cette arme particulière de l’armée française. Un format de poche, pour se lancer des défis entre amis ou pour améliorer ses connaissances des troupes de montagne.
Islander, Caryl Férey – Corentin Rouge – Céline Labriet, 2025, Collection : Glénat BD – 155 planches – 25 € – Série en 3 volumes.
Dans un futur proche, le premier volume de cette trilogie aborde le destin d’un continent européen frappé par de multiples catastrophes, explicitement liées au changement climatique. Pour des centaines de milliers de réfugiés, l’eldorado se situe quelque part entre l’Écosse et l’Islande, avec l’intolérable attente dans des centres de regroupement.
L’action commence au Havre, dans un espace désolé, entouré de barbelés et sécurisé par des CRS en armes. Des centaines de réfugiés cherchent à gagner l’Écosse, sans véritable perspective, tandis qu’un groupe avec un passeur à le projet de rejoindre l’Islande.
Des convulsions politiques ont d’ailleurs touché ce territoire plutôt paisible, que l’on trouve dans ce récit divisé en trois entités hostiles, loyalistes, sécessionnistes et même survivalistes.
Un scientifique dont on ne connaît pas vraiment le projet, un jeune homme au destin obscur, un passeur sans scrupule, des jeunes femmes surprenantes et volontaires, et voici tous les ingrédients d’un scénario haletant. Le premier tome met en place cette histoire qui voit s’affronter des peurs bien contemporaines, et qui, si elle se situent dans un futur proche, n’en sont pas moins très actuelles.
Ce récit du scénariste Caryl Férey est servi par le dessin remarquable de Corentin Rouge mis en couleur par Céline Labriet. Le travail documentaire est par ailleurs exceptionnel, avec un souci du détail, y compris dans l’armement, que l’on peut largement apprécier.
Les scènes de traversée à bord d’un chalutier en mer du Nord sont terribles, de même que l’atmosphère de violence dans les camps de réfugiés, que l’on appelle sans fard camps de concentration. Le contexte de cette migration favorise le pire de l’humanité, entre profiteurs et sadiques pervers.
Heureusement les planches qui évoquent les paysages islandais viennent apporter un peu d’apaisement, de salutaires étapes dans une saga dont émergent des personnalités rayonnantes et porteuses d’espoir. On se prend d’ailleurs à imaginer au bord de ses falaises ocres qui bordent l’Islande, plombées par un ciel gris, bordées d’écume d’une mer sombre, le désespoir qui peut étreindre ces groupes de réfugiés rejetés par les populations déjà installées.
Récit d’anticipation assurément, mais au-delà de la réflexion portée sur la fragilité de nos sociétés, et des différentes clés de lecture que l’on pourra trouver, notamment dans les prises de position politiques au sein de l’assemblée islandaise, le lecteur est littéralement happé par la force narrative de ce récit.
Bruno Modica
On attendra évidemment avec impatience les deux autres volumes (à paraître), de cette trilogie, mais cette attente décuplera le plaisir de la découverte.
Benjamin Morel, Le nouveau régime ou l’impossible parlementarisme, Passés composés, 2025.
L’actuelle période politique, marquée par l’incertitude, depuis les dernières élections législatives de juillet 2024, amène à s’interroger sur la capacité des institutions de la Ve République à « encaisser » une situation dans laquelle aucune majorité parlementaire, absolue ou relative, ne parvient à se dégager.
Cela suscite l’intérêt bien compris des commentateurs et chroniqueurs, des éditorialistes, et bien entendu ces derniers cherchent « le bon client », celui dont l’expertise reconnue donnera une caution intellectuelle à l’analyse de cette situation.
Cela n’est pas nouveau, la pandémie de la COVID 19 a mis en vedette un certain nombre de « blouses blanches », infectiologues et virologues, avec quelques urgentistes pour donner un aspect dramatique à ce contexte très particulier. De la même façon, depuis plus de trois ans, la guerre en Ukraine a mis en avant une multitude d’experts en géopolitique, sans parler de quelques officiers généraux de la deuxième section, le tout assorti de commentateurs/chroniqueurs/journalistes, issus d’Ukraine ou d’opposants russes à Vladimir Poutine.
La situation politique française et son analyse obéit à la même logique, et la plupart des chaînes d’information en continu, y compris celle du service public, font appel à Benjamin Morel, que l’on peut incontestablement qualifier de « bon client ».
Force est de constater, à la lecture de son deuxième ouvrage, publié en février dernier, que son expertise du fonctionnement des institutions, n’est absolument pas usurpée. Nous avions noté, en présentant son histoire du parlement, publiée en 2024, la précision et surtout la clarté des analyses qui étaient proposées dans cette rétrospective parlementaire commencée en 1789 et qui se terminait en 2023.
Des ouvrages qui se complètent
Ce dernier ouvrage vient très opportunément compléter le précédent mais cette fois-ci l’auteur s’engage véritablement, à la fois dans le titre, en parlant d’un « impossible parlementarisme », mais également dans l’analyse, en abordant l’impasse possible d’une dérive illibérale. Cela peut évidemment concerner des pays de vieille démocratie, la situation aux États-Unis ne rend pas cette hypothèse totalement farfelue.
Cela est d’autant plus vrai lorsque Benjamin Morel analyse les pouvoirs du président en période de cohabitation/coexistence, mais également ce que l’usage a permis progressivement, notamment en matière de politique étrangère avec le fameux « domaine réservé ».
De la même façon le suffrage universel et l’onction qu’il confère au président élu peut permettre certaines dérives, surtout lorsque l’absence de coopération des partis politiques au sein des assemblées aboutit à une situation de blocage.
Face au Parlement
L’hypothèse d’une reparlementarisation des institutions de la Ve République se heurtent à un certain nombre d’écueils. Le premier serait celui de la faible représentativité des assemblées élues en 2017 et en 2022 qui ne concernaient, par un vote d’adhésion, que moins de deux électeurs sur 10. Il est évident d’après l’auteur qu’il ne sera pas possible de faire l’économie d’une réforme du mode de scrutin, car le système uninominal majoritaire à deux tours semble avoir atteint ses limites, même si l’on peut s’appuyer sur l’expérience d’une proportionnelle départementale en 1986. Cela n’a pas été véritablement concluant, car le différentiel de population départementale nuirait sans doute à la représentation de tous les territoires.
Entre un présidentialisme qui ne veut pas mourir et la mise en échec par les électeurs eux-mêmes du fait majoritaire, le chemin semble particulièrement escarpé. Cela met le personnel politique dans une situation attentiste, avec l’espoir, sans doute vain pour l’auteur, qu’une nouvelle élection présidentielle rebattra toutes les cartes. Or celles-ci risquent d’être faussées, sans doute par un élément qui est lourd de menaces, celui de l’abstention après un premier tour complètement dispersés. Le déficit de légitimité que cela entraînerait pour le nouveau locataire de l’Élysée, une majorité parlementaire improbable, après les élections législatives, serait cette fois-ci beaucoup trop visible et entraînerait certainement des remises en cause beaucoup plus radicales. Le mouvement des gilets jaunes a constitué une forme d’expression d’un enkystement du désordre public qui pourrait conduire au chaos.
Bruno Modica
Constantinople occupée 1918-1923. Une histoire culturelle, Frédéric Hitzel & Timour Muhidine (dir.), CNRS Éditions, 2025, 28€.
Dirigé par deux historiens de la Turquie confirmés, cet ouvrage collectif nous plonge dans une période aussi fascinante que méconnue. Signe fort, c’est la richesse de l’approche : plutôt qu’un récit strictement politique ou militaire, les auteurs choisissent de restituer une ambiance, une effervescence culturelle et sociale unique.
Car on l’oublie souvent Constantinople fut européenne pendant cinq ans. L’ancienne capitale ottomane était occupée par les alliés dans un contexte de sortie douloureuse d’un conflit et d’une guerre épouvantable et d’un génocide. Comme toute grande ville occupée par des forces étrangères, Constantinople offre le spectacle d’une population partagée entre plusieurs attitudes oscillant de la résistance à la collaboration. Mais aussi marquée par une remarquable vitalité intellectuelle. Cosmopolite par son empreinte levantine, juive, hellénique et arménienne, la métropole attire espions, écrivains, diplomates, réfugiés russes, … autant de figures d’un monde interlope.
Outre l’iconographie abondante, le lecteur appréciera aussi son dictionnaire des figures marquantes, qui met en lumière des personnages souvent oubliés. On découvre des parcours surprenants : écrivains français fascinés par l’Orient, intellectuels turcs en exil intérieur, aventuriers opportunistes… Ces trajectoires révèlent une ville à la fois cosmopolite et fracturée, où l’avenir de la Turquie se joue dans les cercles littéraires autant que dans les bureaux des chancelleries.
À noter aussi la structure thématique du livre est qui plutôt que de suggérer un récit linéaire, chaque chapitre éclaire un aspect de la vie sous occupation : le rôle de la presse, les transformations urbaines, la censure, la sociabilité mondaine… Ce choix rend la lecture fluide et permet d’aborder la période sous différents angles.
Enfin, au-delà de l’histoire, ce livre interroge aussi notre rapport à la mémoire. La République turque naissante a vite voulu effacer ces années d’humiliation, et l’Occident lui-même a longtemps préféré voir dans Constantinople une simple escale avant le traité de Lausanne et la fin du conflit opposant les puissances européennes à l’homme malade de l’Europe. Ce livre permet de redonner à ces années toute leur épaisseur et leur complexité. Une lecture arrive à point nommé pour ceux qui souhaitent comprendre les conditions de l’agonie de l’Empire ottoman et les tensions qui traversent encore aujourd’hui la Turquie contemporaine.
Tigrane Yegavian