Ukraine, Grèce antique, avions de combat Rafale, Atlas de la Méditerranée. Aperçu des livres de la semaine.
Phillipe Boulanger, Ukraine : géostratégie d’une guerre moderne, Armand Colin, 2025, 23,90€.
Le 24 février 2022, la Russie fait pénétrer ses armées sur le territoire ukrainien. Un objectif : renverser le régime de Kiev. L’ordre mondial en est profondément bouleversé en ce que cela marque le retour des guerres de haute intensité avec l’engagement de forces conventionnelles. Trois ans plus tard, deux éléments sont mis en lumière : l’échec de la stratégie russe, et l’étonnante résilience de la nation ukrainienne. Le conflit a fait l’objet de nombreuses études et ouvrages, traitant de tous les aspects militaires : emploi de l’armement, analyses historique et stratégique, l’impact des affrontements sur les relations internationales. Tous ont, indéniablement, apporté leur pierre à l’édifice pour faire comprendre les enjeux qui se jouent sur cette terre ukrainienne, pour Kiev, comme pour l’Europe.
Mais Philippe Boulanger, professeur des universités en géographie à Sorbonne-Université, propose une étude inédite sous un angle innovant. Il livre en effet, à travers son ouvrage, un récit traitant de la territorialisation de la guerre, en revenant sur les grands principes géostratégiques. Le spécialiste en géographie militaire et en géostratégie remet en lumière la notion d’espace stratégique, établissant le rapport entre les milieux géographiques et le déroulement de la guerre. Il argumente que les paysages façonnent autant l’histoire d’un pays qu’ils influencent les stratégies. Et l’Ukraine en est l’illustration frappante. Pendant que les forces ukrainiennes défendent leur territoire, l’armée russe cherche à contrôler des régions stratégiques, indispensables pour atteindre Kiev. Car ce sont ces éléments géographiques et immatériels qui façonnent les stratégies militaires et orientent l’évolution du conflit. Lire cet ouvrage, c’est plonger au cœur de la géostratégie, pour comprendre les forces qui gouvernent cette guerre, et peut-être celles des conflits de demain.
Benoit Rondeau, Otto Skorzeny, Des commandos SS au Mossad, Perrin, 2025, 23€.
Skorzeny. C’est « l’homme le plus dangereux d’Europe », pour reprendre des termes popularisés par un procureur américain. C’est l’ingénieur qui est devenu le chef des forces spéciales d’Hitler lui-même. C’est le simple officier qui a fini par côtoyer les portes du pouvoir nazi. C’est celui qui, défiant l’audace même, s’est rendu célèbre par l’accomplissement de missions impossibles. Il est le libérateur de Mussolini en 1943, alors séquestré dans les Alpes italiennes. En écrivant cet ouvrage, Benoit Rondeau offre la première biographie de référence en français sur ce personnage aussi mystérieux qu’audacieux et aussi sombre que passionnant. Après la guerre, il rejoint l’Espagne franquiste avant d’intégrer une organisation secrète d’anciens nazis. Arrivant en Égypte, il se hisse au conseil militaire du général Mohammed Naguib, premier président de la République égyptienne avant d’être recruté par…le Mossad. Skorzeny est devenu une légende au fil du temps, un mythe alimenté par la propagande de Goebbels et par les allégations de ses anciens adversaires, qui sont allés jusqu’à louer son courage et ses talents. Se plonger dans cette biographie, c’est s’immerger dans une époque et embrasser la vie d’un serviteur zélé du IIIe Reich, dont il niera jusqu’au bout le caractère criminel. L’auteur, biographe de Rommel, retrace avec précision et objectivité le parcours d’un simple autrichien, devenu, jusqu’à sa mort, le serviteur le plus dévoué d’Adolf Hitler.
Entré en service en 2004 dans la Marine nationale, et développé par l’industriel français, Dassault Aviation, le rafale marine est rapidement devenu l’un des chasseurs les plus aguerris au monde. Bien que connu pour ses performances hors norme, peu le connaissent en profondeur. C’est ainsi que le photographe Cyrille Cosmao remédie à cet inconnu, en livrant un formidable travail sur le Rafale Marine, bijou des armées françaises. Après un rapide retour sur l’histoire de l’aéronautique navale, l’ouvrage se consacre à la génération actuelle du Rafale, celle en service, celle connue. L’étude est vaste : elle porte tant sur les évolutions technologiques de la machine, que sur l’armement et l’avionique, la maintenance et les missions. Car ces dernières peuvent toutes être remplies par le Rafale, qui est souvent déployé à plusieurs milliers de kilomètres de la métropole, à bord du porte-avions, le Charles-de-Gaulle. Et c’est à son bord que Cyrille Cosmao nous embarque dans son œuvre, alimentée par des centaines de photographies couvrant autant des phases opérationnelles que des instants d’entretien. Découvrir le Rafale marine, c’est découvrir un prodige français, de l’ordre du miracle. L’auteur permet de plonger dans cet univers peu connu finalement, à travers une aventure humaine et militaire qu’il immortalise par des clichés inédits, permettant d’entrer dans l’intimité de ce joyau. Au fil du temps, il s’est forgé une réputation : celle d’être un « game changer » dans les combats. C’est dire sa force, et c’est dire l’importance de le faire rayonner. Enfin, le photographe aéronautique traite de l’engagement des 2000 marins permettant la mise en œuvre de l’aventure Rafale M du Charles de Gaulle. Une manière, imagée, d’honorer ceux qui participent au rayonnement et au succès des armes de la France.
La Méditerranée est au cœur des plus grandes civilisations ayant vu le jour. Et pour cela, trois spécialistes se sont réunis pour œuvrer à sa mise en valeur. Dans un ouvrage retraçant des millénaires d’une histoire riche et passionnante, les auteurs ont réuni 300 cartes de la collection « Mondes anciens », par l’expertise de la cartographe Aurélie Boissière. Construites autour de six thématiques variées, les cartes présentent différents niveaux d’informations, tant relatives au cadre régional et aux plans des cités qu’à l’histoire politique, militaire, économique, sociale et culturelle de la région. Catherine Grandjean et Catherine Virlouvet, professeurs émérites respectivement à l’Université de Tours et à celle d’Aix-Marseille, commentent la richesse cartographique de l’œuvre en prenant le soin de couvrir un champ large afin de véritablement faire découvrir en profondeur une histoire centrée sur les peuples du bassin méditerranéen, qui ont participé à forger le monde. Une ambition affichée : offrir une géographie historique des civilisations pour lesquelles la Méditerranée a joué un rôle de premier plan. Et elle y parvient. En somme, cet atlas historique est une clé pour comprendre l’histoire de la Méditerranée ancienne, bâtisseuse de civilisations.
Coup de cœur pour cet ouvrage paru aux Belles Lettres, signé Caroline Fourgeaud-Laville, docteur ès lettres, fondatrice de l’association Eurèka qui initie les enfants au grec ancien, et François Lefèvre, épigraphe, professeur d’histoire grecque à Sorbonne Université. Ce guide pratique est une invitation au voyage dans l’histoire de la Grèce antique, de Solon à la romanité, à travers les objets gravés. Vases et statuettes qui parlent, stèles religieuses ou politiques, murs, autels, tablettes de malédiction, sont décrits comme des témoins vivants de la vie des Grecs.
L’archéologie estime que les lettres sont arrivées en Grèce par les Phéniciens, au VIIIe siècle av. J.-C. Comme la langue phénicienne avait des sonorités différentes de ce que les Grecs connaissaient, il fallut qu’ils transformassent certaines consonnes en voyelles, et créer de nouvelles lettres. Cette écriture est venue remplacer une plus ancienne, qu’on appelle linéaire B, dont les caractères étaient formés de traits « tueurs de souffle », tels décrits par Homère. Le linéaire B n’a été déchiffré qu’en 1952 ! Le nouvel alphabet de vingt caractères importés de Phénicie fut rapidement approprié par les Grecs et permit aux Athéniens, à la suite des réformes de Clisthène (VIe siècle av. J.-C.), d’exercer la démocratie.
Ce livre est très bien fait, la mise en page est agréablement aérée, chaque pièce discutée a sa photo, le style est beau, homérique parfois, mais sans détours. L’originalité de cet ouvrage saisira aussi bien le jeune épigraphiste que le béotien curieux. La rédaction recommande chaudement.