Livres de la semaine – 5 mai

5 mai 2023

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Abonnement Conflits
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Livres de la semaine – 5 mai

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Télécommunication, publicité, climat, littérature et Iran. Florilège des livres de la semaine.

Bien câblé 

Camille Morel, Les câbles sous-marins, CNRS éditions, 2023, 10 euros.

Aujourd’hui, plus de 98% des flux d’information de la planète passent sous les fonds marins. Ils sont répartis sur l’ensemble du globe de manière hétérogène via 450 câbles sous-marins de fibres optiques qui permettent d’acheminer des données à la vitesse de la lumière et de former une immense toile. Enjeu géopolitique majeur, cette question revient de plus en plus sous les feux de la rampe avec notamment la cinquième génération des réseaux mobiles et les objets connectés, mais aussi au niveau industriel.

Dans cet ouvrage didactique et relevé, l’auteure décrit la réalité et la structuration de cette technologie maritime et en explique le fonctionnement. L’occasion de tordre le cou aux mythes concernant sa vulnérabilité. L’ouvrage s’intéresse aussi au marché des câbles sous-marins, car ce secteur économique est bouleversé depuis 2010 par l’arrivée des géants du Net américain et chinois. Il étudie notamment le positionnement de ces câbles dans le monde et mesure l’impact du relief et de la géographie physique sur les États concernés ainsi que de leur dépendance vis-à-vis de leurs voisins. Rattrapés par la géopolitique, les câbles sous-marins font l’objet de rivalités croissantes. Et d’interroger l’encadrement juridique international de ces câbles et leur mode de gouvernance, à la lumière des évolutions en cours et des risques environnementaux soulevés par cette infrastructure.

Italie 

Erri De Luca, Grandeur nature, Gallimard, 2023, 18€. 

« Dans les abîmes de l’inhumain, le simple être humain éblouit comme la rafale d’un éclair ». Erri De Luca a travaillé de ses mains, d’abord comme ouvrier puis comme écrivain. Il a soutenu la révolution politique dans l’Italie troublée des années 1970-1980 puis s’est retiré à quelques kilomètres de Rome pour poursuivre une autre révolution, qui passe par les mots. Né à Naples en 1950, il est désormais l’un de ceux qui portent haut les lettres italiennes. Gallimard, dans la belle et si précieuse collection Quarto, a publié ses meilleurs textes. Dans cette collection « Du monde entier », c’est cette œuvre lancinante et persistante du rapport entre le fils et le père qu’Erri De Luca chemine. Il a quitté son père jeune, claquant la porte de la maison, pour faire la révolution, celle des autres et la sienne : 18 ans en 1968. Il réunit des histoires de parents et d’enfants, faisait remarquer que « n’étant pas père, je suis resté nécessairement fils ». L’histoire de Marc Chagall qui peint le portrait de son père, vendeur de harengs à Hambourg. L’histoire d’Abraham, qui porte le sacrifice de son fils Isaac. L’histoire du père d’Erri, qui s’est vu rejeté par son fils. L’histoire de Dieu, qui a offert son Fils, le Christ, en sacrifice, sans possibilité d’écarter la coupe du calice. Erri De Luca raconte ses histoires de pères et de fils et, le livre refermé, on comprend qu’il s’égare lui-même. Il est bien père puisque créateur et auteur d’une œuvre non seulement abondante, mais surtout puissante et inspirante. Ses enfants, ce sont les lettres et les histoires et le monde qu’il crée. Avec les mouvements révolutionnaires italiens, il a voulu faire table-rase et ne rien laisser. Heureusement pour nous, pour la littérature, pour lui, il a engendré une œuvre magistrale. 

JBN

Iran 

Antoine Buzat, L’Iran et la guerre civile syrienne, entre alliance et intérêts nationaux, L’Harmattan, 26,50 euros, 2023. 

Jeune chercheur passionné de questions de défense et de sécurité, Antoine Buzat a récemment publié une étude passionnante sur les implications de la France pendant la guerre Iran-Irak. Il publie cette fois-ci une synthèse stimulante sur le rôle de l’Iran dans le conflit syrien. Par son intervention en faveur de la Syrie de Bachar el-Assad, l’Iran est redevenu un acteur majeur du Moyen-Orient. Le mérite de cette étude est de remettre en perspective la complexité des liens historiques qui lient l’Iran à la Syrie depuis la révolution islamique de 1979 et surtout le déclenchement de la guerre contre l’Irak en 1980 ainsi que le caractère asymétrique de cette relation. Si Hafez el Assad avait su conserver des leviers face à Téhéran, il n’en est pas de même de son fils Bachar qui a cédé des pans entiers de la souveraineté de son pays au profit d’un protecteur pour le moins intéressé. En effet, si au début de la crise syrienne l’intervention iranienne s’est faite plutôt discrètement et timidement, au fur et à mesure que la Syrie s’enfonçait dans la guerre civile, l’Iran a renforcé son dispositif de soutien à Bachar el-Assad en investissant plusieurs milliards de dollars. Ce soutien est politique, mais aussi économique et surtout militaire. La contrepartie pour le pouvoir syrien est de laisser sur son territoire s’installer les réseaux iraniens de manière durable.

Il identifie notamment les facteurs qui les poussent à intervenir, les objectifs stratégiques de l’interventionnisme iranien et la nature de ce soutien multiforme au régime de Damas. Ce qui compte surtout est la sécurisation de l’axe Téhéran Beyrouth ; intervenir massivement en Syrie pour contrer le risque d’encerclement sunnite.

Analysant les convergences et les divergences qui caractérisent cette complexe relation de plus en plus asymétrique, répertorie la galaxie des milices chiites présentes sur le terrain syrien. Outre le Hezbollah libanais, celles-ci sont afghanes, irakiennes, syriennes, pakistanaises et yéménites, toutes inféodées à Téhéran. Aux yeux de l’auteur, l’Iran a accru sa volonté impérialiste dans la région. Son intervention est une traduction nationaliste de la politique régionale de l’Iran. L’équilibre maintenu par Assad père, jaloux de la souveraineté nationale, s’est rompu. Et il y a fort à parier que l’avenir de son propre régime soit lié à l’Iran. Aussi, assiste-t-on au déplacement de populations sunnites de lieux stratégiques ou abritant des lieux saints chiites pour les remplacer par des personnes de cette confession.

Victorieux de la guerre, mais considérablement affaibli, Bachar el-Assad joue sur la rivalité russo- iranienne pour se maintenir et tente d’éviter que le sud de la Syrie et la zone limitrophe du plateau occupé du Golan se transforment en un nouveau Sud Liban, tant la présence iranienne y est dense et les représailles israéliennes de plus en plus fréquentes.

Tigrane Yégavian

Voir aussi :

Antoine Buzat, Les implications de la France pendant la guerre Iran-Irak, L’Harmattan, 24,50 euros.

Invention de la propagande 

Yann Caspar, Edward Bernays. L’homme qui murmurait à l’oreille des foules, Désintox, 7,50 €, 2023.

Lorsqu’il est question de propagande et de manipulation de l’opinion, Edward Bernays est celui dont on aime citer en premier le nom. 

Ce neveu de Freud a consacré sa vie à la pratique des acquis de la psychologie sociale dans le but d’influencer l’opinion publique. Il s’appuie sur les travaux de son oncle pour utiliser l’inconscient des individus afin de forger l’opinion des foules. Dans un ouvrage aussi complet que synthétique, Yann Caspar revient sur les méthodes utilisées par Bernays pour mettre en place une propagande dont le terrain de jeu n’est pas le totalitarisme, mais bien la démocratie libérale. Autant théoricien que praticien de la manipulation, Bernays est notamment celui qui a participé à convaincre l’opinion américaine des bienfaits de l’entrée en guerre des États-Unis en 1917. Le grand conseiller en relations publiques est aussi et surtout à l’origine de deux évolutions désormais bien actées dans les sociétés occidentales : le tabagisme féminin et le petit-déjeuner à l’américaine. Dans les deux cas, il s’agissait de satisfaire les intérêts économiques de ses clients. 

Un ouvrage concis qui amène une réflexion profonde sur nos démocraties et fait un parallèle vertigineux entre les méthodes de Bernays et les situations de contrôle de masse de notre temps. La compréhension des mécanismes de propagande contemporains ne peut se faire sans passer par la lecture de Bernays, dont la finesse d’esprit parcourt le temps. 

CO2, outrage ou bénéfice ? 

François Gervais, Merci au CO2, L’Artilleur, 12 €, 2020.

Dans un ouvrage autant surprenant que passionnant, le physicien François Gervais nage à contre-courant de l’imaginaire collectif concernant la question du réchauffement climatique. Il affirme notamment que le lien entre hausse du CO2 et de la température est bien moins évident qu’on ne le pense. 

François Gervais revient sur toutes les annonces apocalyptiques, notamment celles du GIEC, en expliquant qu’elles ont été démenties par les faits. Dans un livre synthétique, l’auteur narre les différentes vertus d’un gaz aujourd’hui présenté comme démoniaque en raison de son effet de serre. Au contraire, le gaz carbonique constitue la nourriture aussi indispensable qu’irremplaçable de la végétation. Ce dernier permet notamment d’augmenter la biomasse végétale et participe au verdissement de la Terre. En effet, la fraction des émissions de gaz carbonique qui part dans les océans favorise le développement du plancton, au bénéficie de toute la chaine marine. L’auteur rebat ainsi les cartes d’un gaz carbonique considéré comme polluant alors qu’il serait d’abord fertilisant. 

Un ouvrage qui prend de la hauteur sur plusieurs affirmations, mais dont la certitude n’est pas scientifiquement unanime. François Gervais présente des notions et chiffres simples afin que chacun puisse construire sa propre réflexion sur un sujet devenu majeur. De quoi apporter de la réflexion à un débat trop souvent passionnel.

    

À propos de l’auteur
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Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.
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