En l’espace de trente-cinq ans, Marseille a profondément changé de visage. Longtemps perçue comme une ville ouverte elle est aujourd’hui l’une des métropoles françaises où les quartiers résidentiels fermés, ces ensembles dont les rues et espaces extérieurs sont interdits aux non-résidents, se sont le plus diffusés. Fin 2023, 34 % des logements marseillais se trouvaient dans ce type d’ensemble résidentiel, révélant une transformation urbaine majeure.
Le phénomène, encore limité au début des années 1990, a d’abord progressé lentement avant de s’accélérer fortement au début du XXIᵉ siècle. En 1990, on ne comptait que 103 ensembles résidentiels fermés sur l’ensemble de la ville. La carte montre alors quelques points dispersés, principalement dans les quartiers sud et l’est périurbain, où se développaient lotissements et copropriétés neuves.
Dix ans plus tard, en 2000, leur nombre quadruple pour atteindre 423. Les fermetures s’étendent, gagnant les quartiers est, la périphérie nord et certaines zones du littoral. Cette extension marque l’entrée de Marseille dans une logique de fragmentation urbaine comparable à celle observée dans de nombreuses métropoles de pays défaillants.
Le tournant décisif s’opère toutefois dans les années 2010. À partir de 2013, la carte devient constellée de points rouges, signalant 1 531 ensembles fermés. Le phénomène n’est plus marginal : il structure désormais le paysage urbain. Les mécanismes d’auto-enfermement résidentiel s’imposent, portés par une demande sécuritaire accrue, la recherche de tranquillité ou encore l’évitement de certains espaces publics jugés dégradés.
En 2023, Marseille compte 1 884 quartiers ou ensembles résidentiels fermés. La quasi-totalité de la zone urbanisée est concernée, du nord au sud, du centre aux collines périphériques. La multiplication de ces zones privées traduit un changement profond dans la manière d’habiter la ville : les rues autrefois ouvertes se transforment en espaces contrôlés, les accès sont filtrés, les circulations se compartimentent. Le tissu urbain perd en continuité ce qu’il gagne en enclaves.
Comment maintenir une cohésion urbaine lorsque près d’un logement sur trois se situe désormais dans un espace clos ?
À Marseille, cette prolifération apparaît comme le symptôme d’un malaise plus large, mêlant préoccupations sécuritaires, inégalités sociales, défiance envers les institutions et fragilités de l’espace public. Mais elle témoigne aussi d’un choix résidentiel assumé par de nombreux habitants, en quête d’un cadre maîtrisé.
La carte de l’évolution de ces trente-cinq dernières années offre ainsi un constat net : Marseille, ville portuaire historiquement ouverte sur le monde, est devenue progressivement une ville fragmentée, où les frontières ne passent plus seulement par les arrondissements ou les collines, mais par des portails et des murs qui reconfigurent en profondeur son identité et son avenir.











