Négociations d’un accord de libre-échange entre l’UE et l’Inde

8 février 2023

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Négociations d’un accord de libre-échange entre l’UE et l’Inde

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L’Inde et l’Union européenne négocient un accord de libre-échange. Initié en 2007, cet accord promet d’intensifier les échanges commerciaux et d’assurer une percée en Asie des entreprises européennes.  

Mohit Anand est professeur de commerce international et de stratégie à EMLYON Business School. Vaibhav Jain est étudiant en économie et finance. 

L’Inde et l’Union européenne (UE) négocient actuellement l’ambitieux accord de libre-échange (ALE) Inde-UE. L’UE et l’Inde ont entamé des consultations en vue d’un ALE en 2007, avant que les discussions ne soient suspendues en 2013 en raison d’une différence dans la portée et les attentes de l’accord. La relance des négociations bilatérales Inde-UE a été décidée par la réunion des dirigeants en mai 2021. Le 17 juin 2022, l’UE et l’Inde ont relancé les négociations de l’ALE et ont lancé des négociations séparées pour un accord de protection des investissements et sur les indications géographiques (IG). 

État des lieux

L’UE est le troisième partenaire commercial de l’Inde, représentant 10,8% du total des échanges indiens correspondant à 124,5 milliards d’euros d’échanges de biens et de services et une destination pour 14,9% du total des exportations indiennes en 2021. En outre, l’UE est également le premier investisseur étranger en Inde avec un stock d’investissements étrangers d’environ 87,3 milliards d’euros. D’autre part, l’Inde est le dixième partenaire commercial de l’UE, représentant 2,1 % du commerce total de biens de l’UE. 

Ces dernières années, l’Inde a signé de manière proactive des accords de libre-échange avec différents pays, les Émirats arabes unis et l’Australie étant les plus récents, et des négociations simultanées sont en cours avec le Royaume-Uni, le Canada, le CCG (Conseil de coopération du Golfe), Israël, entre autres, pour un meilleur accès au marché de ses biens et services. L’UE souhaite également profiter de l’occasion pour accéder au vaste marché indien en pleine croissance. Jusqu’à présent, trois cycles de négociations ont eu lieu et le quatrième est prévu en mars de cette année. Les deux parties espèrent que l’ALE entrera en vigueur au cours de l’année fiscale 2023-2024. Les parties prenantes savent que les élections générales en Inde auront lieu en 2024, l’année même où les élections du Parlement européen doivent avoir lieu.

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Avec l’évolution des conditions géopolitiques et géoéconomiques, de nombreuses multinationales adoptent « la stratégie Chine plus un », qui consiste à diversifier leurs investissements non seulement en Chine, mais aussi dans d’autres pays. C’est là que l’Inde est bien placée pour profiter de cette opportunité et faire avancer son ambitieux projet d’émerger en tant que centre manufacturier mondial ; il est donc vital pour l’Inde de conclure davantage d’ALE. Inversement, il est également dans l’intérêt de l’UE d’approfondir son commerce et ses investissements avec l’Inde. Les tensions géopolitiques accrues entre l’UE et la Chine ces dernières années peuvent avoir un impact direct sur les relations commerciales entre les deux parties. C’est l’occasion pour l’UE de réduire sa forte dépendance à l’égard de la Chine, son principal partenaire commercial (16,2 % du total des échanges de biens de l’UE en 2021), et de diversifier son panier commercial. 

Concurrencer la Chine

Un large éventail d’éléments liés au commerce a été discuté lors des trois cycles de négociations et les responsables des deux parties sont confiants quant à la poursuite des négociations. Au cours du premier cycle, qui s’est déroulé du 27 juin au 1er juillet 2022, l’UE a soumis 18 propositions de texte à l’examen de la contrepartie et le contingent indien a présenté sa proposition de texte concernant les mesures correctives commerciales et a gardé les autres propositions pour les cycles à venir. 

Trois mois plus tard, lors du deuxième cycle de discussion, l’Inde a fait part de son point de vue sur les 18 propositions de l’UE et a échangé quelques contre-propositions textuelles contre certaines soumises par l’UE. Certaines de ces propositions portent sur le commerce numérique, le règlement des différends, les entreprises d’État, les comportements anticoncurrentiels, le contrôle des fusions et les subventions, l’énergie, les matières premières et les bonnes pratiques réglementaires. 

Lors du troisième cycle de négociations, qui s’est déroulé du 28 novembre au 9 décembre 2022, les discussions ont porté sur des questions relatives à l’accès au marché agricole, à la propriété intellectuelle, à l’environnement et au développement durable, aux mouvements de capitaux et aux paiements et transferts, entre autres. 

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Après deux cycles préliminaires de soumission de propositions et d’étude de chacune d’entre elles, le troisième cycle était destiné à entrer dans le vif du sujet avec pour objectif de consolider le texte et de clarifier les convergences et les différences entre les positions des deux parties.

Bien que de nombreux domaines aient fait l’objet d’un accord, il existe des domaines difficiles sur lesquels les deux parties n’ont pas encore trouvé de terrain d’entente. Après le troisième cycle de négociations, l’Inde a résisté à la demande de l’UE d’engagements contraignants en matière de marchés publics sur les principes de non-discrimination et de règlement des différends. L’UE souhaite également la libre circulation transfrontalière des données et l’ouverture totale des données gouvernementales, mais l’Inde s’est montrée réticente, car cela remettrait en cause les droits souverains de l’Inde sur ses données et l’espace politique permettant d’utiliser ces données au profit des communautés, des travailleurs, des petites entreprises et des start-ups indiennes. Faire de telles concessions à l’UE entraînera également des répercussions sur la sécurité de l’Inde. Prendre des engagements sur le commerce numérique marquera également un changement permanent dans la position de la politique commerciale de l’Inde sur le commerce électronique à l’OMC et dans d’autres ALE. En outre, l’UE a également proposé de réduire les droits d’importation sur les vins et les spiritueux. De son côté, l’Inde a demandé une réduction des droits de douane, car l’UE a placé des barrières sanitaires et phytosanitaires et d’autres barrières techniques sur les produits indiens. 

Egalité commerciale 

Il y aura d’autres discussions sur les domaines susmentionnés pour lesquels aucun consensus n’a été atteint et, si l’on en croit la tendance, on peut prédire que l’UE pourrait également mettre davantage l’accent sur des questions telles que les pratiques commerciales durables et les conditions de travail dans les négociations d’ALE, car l’UE accorde l’importance nécessaire à ces questions. L’Inde, quant à elle, en tant que pays en développement, où la plupart des micros, petites et moyennes entreprises (MPME) appartiennent au secteur informel, pourrait avoir du mal à se conformer à ces pratiques et réglementations. L’Inde pourrait également vouloir négocier une libéralisation du régime des visas pour ses professionnels afin de faciliter la mobilité entre les deux pays. Ces domaines pourraient constituer une pierre d’achoppement majeure dans l’avancée des négociations. 

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La Suède assumant la présidence de l’UE (avec effet au 1er janvier 2023), son ministre du commerce extérieur a déclaré en décembre 2022 que l’accélération de l’ALE Inde-UE serait l’une des priorités de la présidence suédoise. Une issue favorable avec l’acteur économique le plus stratégique (l’UE) est essentielle pour que l’Inde devienne une économie de 10 000 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie. Simultanément, en ces temps de post-Brexit, de pandémie économique et de crise ukrainienne, l’UE a également besoin de cet accord. 

Alors que l’année dernière, l’Inde et l’UE célèbrent le 60e anniversaire de leurs relations diplomatiques, le moment est venu d’élargir et d’approfondir ces relations. Il existe de multiples domaines de convergence et de coopération, tels que la défense, les affaires maritimes, le changement climatique, le programme spatial, le nucléaire et les énergies renouvelables, pour n’en citer que quelques-uns. Un pilier important de ce partenariat stratégique pourrait être la promotion du commerce et des investissements bilatéraux. Pour ce faire, les deux parties doivent trouver un terrain d’entente dans leurs négociations afin de proposer un ALE équilibré, progressif et axé sur les personnes, qui profitera en fin de compte aux deux économies. 

À propos de l’auteur
Mohit Anand

Mohit Anand

Mohit Anand est professeur de commerce international et de stratégie à l'EM LYON, en France.
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