<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> New York, la ville-monde

9 mars 2020

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : New York, ville-monde sans égal ? (c) Unsplash.
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New York, la ville-monde

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New York est depuis ses origines au xviie siècle la porte d’entrée du continent. C’est la plus grande ville des États-Unis, le centre de la finance mondiale, la ville la plus diverse de la planète sur le plan ethnique, linguistique et religieux, un symbole de l’Amérique très différent du reste du pays, une incarnation de la modernité au siècle dernier, un pôle de dynamisme incontesté jusqu’à nos jours, et même un foyer intellectuel.

Le site prédestinait New York à son rôle. Deux baies successives, protégées par deux îles, Long Island et Staten Island, menant à l’estuaire d’un fleuve relié aux Grands Lacs par un canal depuis 1825, l’ont avantagée par rapport aux autres ports de la côte atlantique. À part le Bronx, les boroughs qui forment New York City depuis 1898 sont  des îles (Manhattan, Staten Island) ou des fragments d’îles (Brooklyn et Queens sur Long Island). L’agglomération s’est étendue sur le continent dans les États de New York, Connecticut et New Jersey.

 

Capitale de rien

Pourtant elle n’est la capitale de rien, sinon le siège principal de l’ONU depuis 1946. Elle dépend politiquement de Washington, la capitale fédérale, et d’Albany, la capitale de l’État de New York.

New York est la plus ancienne fondation européenne permanente des États-Unis. Ses noms successifs (Nouvelle Angoulême, Nieuw Amsterdam, New York) rappellent que son site a été découvert par les Français en 1524 (Verrazzano), que la ville a été fondée par les Hollandais en 1624 et qu’elle fut prise par les Anglais en 1664. Du passé indien, il reste le nom de Manhattan, l’île-noyau de la ville ; de la colonisation hollandaise, ceux de Brooklyn, Staten Island et de quelques quartiers (Harlem, Flushing).

L’extension de la ville s’est faite depuis la pointe sud de Manhattan, dépassant le mur de défense hollandais (Wall Street), selon un plan orthogonal établi en 1811 qui a donné naissance à 2 028 blocs d’immeubles presque tous rectangulaires, sauf au sud et à Broadway. Ce plan très simple est la marque distinctive de la ville. Au-delà de l’East River (un bras de mer), de la rivière de Harlem, du fleuve Hudson et de la baie, franchis par une trentaine de ponts et une vingtaine de tunnels, New York City a absorbé en 1898 Brooklyn, Queens (plus peuplés que Manhattan), The Bronx et Staten Island. Mais par sa position, la concentration de la richesse et des élites, Manhattan, avec 1,6 million d’habitants (au lieu de 2,3 millions en 1910), reste le centre incontesté de la ville (8,4 millions d’habitants) et de l’agglomération (20 millions), toujours la première des États-Unis.

Ville de tout le monde

New York est une ville cosmopolite. À part un nombre infime d’Indiens-Américains, toute la population descend d’immigrés (en 1970, 18,2 % étaient nés à l’étranger, 37,2 % aujourd’hui, comme en 1900 au maximum de l’immigration européenne). Dès sa création au xviie siècle,  la ville a été multiethnique, avec des esclaves noirs depuis 1626 et le transfert de Juifs du Brésil par la Compagnie des Indes néerlandaises en 1654.

Depuis, New York a été presque constamment la principale porte d’entrée d’une terre de colonisation de peuplement, avec des phases d’immigration massive de 1880 à 1910 et depuis 1965, lorsque la suppression des quotas amène des populations plus diversifiées que jamais. Du xviie siècle au début du xxe, l’immigration est européenne et africaine (les esclaves représentent 28 % de la population en 1664) : Hollandais, Français (huguenots), Anglais, Allemands, Irlandais (un tiers des habitants en 1860), puis Italiens et Juifs d’Autriche, de Pologne et de Russie. De 1924 à 1965, les lois des quotas restreignent et sélectionnent l’immigration au profit des Européens du Nord et de l’Ouest, mais, depuis, le flux est devenu mondial, venant majoritairement de l’Amérique latine et des Caraïbes (Hispaniques et Noirs) et de l’Asie du Sud et de l’Est. L’immigration européenne est maintenant principalement composée de Juifs de Russie et d’Ukraine.

On parle aujourd’hui 800 langues à New York. Une partie des immigrés a été assimilée par la langue anglaise, la religion protestante, les mœurs américaines. Malgré tout, une particularité de New York  est  le maintien des différences ethniques. Seulement 2,7 % des New-Yorkais sont d’origine mixte au plan racial, et 0,4 % d’un mélange de Blancs et de Noirs. La population mélangée racialement l’était avant de s’installer à New York (immigrants Latinos et des Caraïbes).

Les Blancs d’origine européenne ne sont plus majoritaires comme avant la guerre. Actuellement, la population de New York est composée à 33 % de Blancs non-Hispaniques (2,7 millions, au lieu de 6,9 millions en 1940), dont les Juifs (1,1 million, 13 %)  qui représentent un tiers à plus de la moitié des habitants de Manhattan, du Bronx et de Brooklyn. Il y a 25 % de Noirs, 13 % d’Asiatiques et 29 % d’Hispaniques. Parmi les croyants, les catholiques sont 53 %, les protestants 9 %, les juifs 29 %, les musulmans 2 %.

Territorialement, New York est une peau de léopard. Tous les boroughs de New York sont multiethniques au sens d’une juxtaposition d’enclaves ethniques, Queens étant la zone urbaine la plus diversifiée du monde (la moitié des habitants est née à l’étranger). Plus qu’un melting pot, New York est une mosaïque, ou une macédoine. La vie politique  (mairie, conseil municipal, représentants et sénateurs) est depuis toujours conditionnée par un partage ethnique du pouvoir, entre Irlandais, Juifs, Noirs, Latinos.

 

Le changement perpétuel

La seconde particularité est le changement social et ethnique perpétuel des quartiers. Des quartiers résidentiels se sont prolétarisés au xixe siècle, les riches se déplaçant vers le nord par étapes. Plus récemment, des quartiers pauvres, industriels ou portuaires ont été rénovés et sont devenus résidentiels. L’immigration d’une part, les intellectuels et les artistes de l’autre, avec la drogue et les galeries d’art, ont joué un rôle important dans ces mouvements (réhabilitation de Greenwich Village et de Soho).

Des quartiers ethniques se créent continuellement. Il y a six Chinatown (celui de Manhattan a absorbé Little Italy). Harlem, créé pour les classes moyennes blanches, a changé de population après 1880, les Blancs (Juifs en particulier) fuyant en raison du délabrement et de l’immigration des Noirs organisée par les spéculateurs. En raison de gros efforts de réhabilitation, il est en voie de gentryfication depuis la fin du siècle dernier. Lower East Side a accueilli successivement les immigrés les plus récents et les plus pauvres, esclaves affranchis, Allemands (Kleindeutschland), Irlandais, Italiens, Juifs dans le passé, Asiatiques, Porto-Ricains et Dominicains aujourd’hui. Les Juifs aisés assimilés (réformés) sont dans Upper East Side et à Riverside, les immigrés récents orthodoxes (hassidiques) défendent leurs quartiers face aux autres ethnies, surtout à Brooklyn, appelée « la Jérusalem des États-Unis » (Borough Park, ou Brighton Beach, surnommée «Little Odessa »). En plus des quartiers ethniques, il y a des quartiers mixtes (Lower East Side, Astoria, Flatbush, Williamsburg).

La ville est en recomposition permanente. Avec Chicago, New York a été la première ville à gratte-ciel. À cause du coût du terrain à Manhattan, on a détruit constamment pour reconstruire en hauteur, si bien que le profil de la ville changeait à chaque génération. Édifiées sur l’emplacement de « Little Syria », quartier arabe chrétien de la fin du xixe, les tours jumelles du World Trade Center, achevées en 1973, étaient destinées à devenir le symbole visible de la ville avant d’être détruites par les attaques du 11 septembre 2001. Aujourd’hui, ce rôle est tenu à nouveau par le Chrysler Building et l’Empire State Building qui datent de 1930 et 1931. Mais les villes à gratte-ciel ne sont plus une rareté dans le monde et plusieurs dépassent le nouveau One World Trade Center construit sur l’emplacement des anciennes Twin Towers et achevé en 2014. La gare de Pennsylvanie a été démolie en 1965 en dépit des protestations. Le quartier du port de South Street a été transformé en attraction touristique sans mémoire des lieux.

Plus que dans l’architecture, à part les édifices religieux qui ont subsisté (dans les années 1980, il y avait une boîte de nuit dans une ancienne église, aujourd’hui occupée par des commerces de vêtements et d’alimentation), c’est dans les lieux de mémoire (monuments, musées) que l’on retrouve des traces du passé new-yorkais. Ils commémorent l’indépendance américaine (Federal Hall où Washington a été élu président en 1789), la guerre civile du point de vue nordiste (le monument de Grant à Manhattan, Grand Army Plaza à Brooklyn), les ethnies immigrées (tout quartier ethnique a ses fêtes, ses lieux de culte, son centre culturel, son mémorial, son musée, son jour de l’indépendance ou de la constitution). Il y a des statues de Jeanne d’Arc (1915) et de Golda Meir (1984), de Garibaldi (1888), de Gandhi (1986) et de Martin Luther King (1970), de Moïse, Socrate, Aristote et Confucius, et cinq de Christophe Colomb (la première en 1892, la dernière en 1941). Plus récemment, ils commémorent aussi différentes catégories de victimes, en particulier de la colonisation, de l’esclavage et de l’Holocauste. Le site du World Trade Center est devenu en 2014 un parc commémoratif, assorti d’un musée, au-dessus du charnier des 1 115 victimes non identifiées.

Le salut par la finance ?

New York a connu son grand siècle au xxe siècle. Elle n’est plus aujourd’hui « la plus grande ville et le centre de l’univers ». Sa métropole est au 8e rang mondial. Elle est tournée vers l’Europe et les Amériques à l’heure de l’orientation vers l’Asie-Pacifique. Les villes d’Asie et du Proche-Orient la concurrencent par leur nombre d’habitants, par la verticalité vertigineuse, ou par l’attraction touristique, et la Californie par le pouvoir culturel et l’innovation technologique. Elle n’est plus une métropole industrielle, ni le premier port de la planète (elle reste le premier port américain de la côte est), ni le premier aéroport, ni l’arsenal du monde qu’elle fut pendant la Seconde Guerre mondiale pour les navires de guerre (la base militaire de Governors Island a été transformée en Parc national en 2003).

Il  reste à New York la richesse de ses élites (70 des 400 plus grandes fortunes du pays, dont l’ancien maire Bloomberg), une fonction  commerciale, une influence culturelle et médiatique, le tourisme, le divertissement, la mode et l’art moderne. Il lui reste surtout le pouvoir financier (la bourse de Wall Street depuis 1817, la branche principale de la Banque fédérale depuis 1914). Et un dynamisme fondé sur l’espoir de la promotion et de l’enrichissement individuels de tout être humain quelle que soit son origine.

Elle n’a pas d’équivalent au plan mondial, parce qu’elle est à la fois une ville d’immigration  multiethnique (aujourd’hui planétaire) continue depuis ses origines, une ville à population sans cesse renouvelée sans ethnie majoritaire, une très grande ville dénuée de fonction politique nationale, et qu’elle  continue de fasciner le monde. De ce fait, elle est, non pas un modèle de ville-monde, mais simplement la ville-monde.

À propos de l’auteur
Thierry Buron

Thierry Buron

Ancien élève à l’ENS-Ulm (1968-1972), agrégé d’histoire (1971), il a enseigné à l’Université de Nantes (1976-2013) et à IPesup-Prepasup. Pensionnaire à l’Institut für Europaeische Geschichte (Mayence) en 1972-1973. Il a effectué des recherches d’archives en RFA et RDA sur la république de Weimar. Il est spécialisé dans l’histoire et la géopolitique de l’Allemagne et de l’Europe centre-orientale au XXe siècle.
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