<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Pompéi révèle la vie quotidienne des Romains. Entretien avec Pascal Charvet.

29 octobre 2023

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Pompéi révèle la vie quotidienne des Romains. Entretien avec Pascal Charvet.

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Une ville envoûtante, un passé tragique, une fabuleuse renaissance. Pascal Charvet, latiniste et spécialiste de l’Antiquité, nous raconte les coulisses de l’histoire de Pompéi.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.

Entretien issu de l’émission réalisée avec Pascal Charvet.

Vous revenez avec un ouvrage magistral publié chez Bouquins et consacré à Pompéi, dont vous assurez la direction avec également Annie Collognat et Stéphane Gompertz. De nombreux auteurs interviennent dans cet ouvrage de plus de 1 000 pages. Avec l’iconographie et les nombreuses cartes, il constitue un guide tout à fait remarquable sur le site.

Pompéi n’est pas un site archéologique immuable : encore aujourd’hui, de nombreuses fouilles sont menées, et les découvertes continuent de passionner les chercheurs. Les fouilles avancent, et il reste un tiers de la ville à révéler.

En effet, depuis 2010, un grand plan a été mené par l’État italien et la Communauté européenne afin de financer les nouvelles fouilles de Pompéi. Par conséquent, cette dernière décennie a été extrêmement riche : la proportion de ce qui a été fouillé est la même que la proportion des fouilles menées depuis un siècle et demi. Ce plan a permis de réaliser que Pompéi possédait encore une foule de trésors. Des merveilles incroyables ont été dégagées.

Et de fait, Pompéi s’est extrêmement enrichie. Et il reste encore un tiers. L’Europe a joué le jeu avec l’État italien, Pompéi a été inspectée sous tous ses angles, toutes les formes d’archéologie s’y sont multipliées. Aujourd’hui, les observations les plus pointues ont permis ce qu’on appelle une « archéologie du geste », c’est-à-dire qu’il s’agit de retrouver les restes pour comprendre.

Prenons un exemple tout simple : à l’époque, lorsqu’un homme décède, on jette une tuile ou on casse une vaisselle pour marquer la séparation au moment du repas du mort. Il prend son repas avec les morts, et non plus avec les vivants, et nous retrouvons cela dans les tombeaux. Nous le savons grâce à des études extrêmement appropriées. Ainsi, aujourd’hui, nous avons une bien meilleure perception de ce que pouvait être une petite cité antique de Campanie.

Et cela rend le site archéologique de plus en plus beau à voir.

Rendons hommage à Massimo Osanna, nommé directeur national des musées italiens. Pendant dix ans, il a conduit les campagnes de fouilles, et a passé la main à Gabriel Zuchtriegel qui continue avec la même ferveur et le même talent.

Ainsi, des fresques étonnantes ont été découvertes. Elles représentent des gladiateurs au combat dans un hyperréalisme saisissant et même cru. En 2019, des fresques de Jupiter et de Léda ont également été mises au jour. Elles sont d’un érotisme absolument incroyable, et ce sont les plus belles et les émouvantes des œuvres de la mythologie politique. Et surtout, deux fameuses fresques ont été retrouvées : l’une, mystérieuse, située dans la maison dite d’Orion. L’interprétation donnée par Osanna ne me semble pas la bonne. Je suis personnellement un spécialiste des catastrophistes, c’est-à-dire des divinités des constellations. Il a voulu y voir Orion, mais je pense qu’il s’agit plutôt d’Isis, puisque c’est un scorpion pour moitié et une femme blanche pour l’autre. La couleur blanche ne trompe jamais. Elle est toujours la couleur de la femme sur les mosaïques. Psyché est aussi représentée dans une sorte d’ascension.

Mais ces mosaïques dites d’Orion ne sont pas toujours étonnantes. L’autre représente Héraclès. Elles sont d’un style incroyablement moderne et surprenant.

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Autre exemple, les fresques des thermes suburbains. Ils sont complètement dégagés aujourd’hui. Les thermes suburbains étaient des thermes de luxe. Les suburbains étaient juste à la limite de la ville, mais non loin du centre. Les casiers où on laissait les vêtements sont assez fabuleux, tout comme les fresques au-dessus. Et pour ne pas oublier l’endroit où l’on avait déposé son vêtement, il y avait au-dessus un moyen mnémotechnique, une posture érotique simple à plusieurs. Il en existait 16, mais seulement 8 ont été conservées.

C’est tout l’humour pompéien, c’était une manière de plaisanter entre eux. C’est un endroit où l’on joue, où l’on rit de la vie.

Vous évoquiez tout à l’heure le culte d’Isis. Il y a un chapitre très intéressant dans votre ouvrage, chez Pompéi l’Égyptienne.

Effectivement, nous sommes dans une ville de Campanie, en Occident romain. Mais l’Égypte est omniprésente.

Pompéi est une ville très émouvante, enterrée vivante et antivivante. C’est-à-dire que l’on ressent à la fois de la terreur lorsqu’on se rend au Jardin des fugitifs, et que l’on voit ces enfants qui ont tenté de s’enfuir, mais aussi du merveilleux, pour reprendre le terme de Goethe : « De cette terrible catastrophe est née la plus belle des merveilles ». Nous avons pu en conserver exactement l’état initial, et de manière très stratifiée, comme l’était la structure sociale, la manière dont les gens vivaient et mangeaient.

C’est probablement l’endroit au monde où l’on peut le mieux reconstituer ce qu’était une cité romaine du Premier siècle après Jésus-Christ. C’est vraiment passionnant.

On peut presque parler de géopolitique, mais l’Orient est à Pompéi. Même avant les accords de César avec Cléopâtre et du Sénat avec l’Égypte, le blé égyptien est essentiel à l’alimentation de Rome. Il arrive pour l’essentiel à Pouzzoles jusqu’aux environs de 30 après Jésus-Christ, donc tout près de Pompéi. Puis, une fois que sa route est déviée, d’autres denrées et marchandises passent par la route ou à partir de la Campanie, directement jusqu’à Rome. Aujourd’hui, si l’on se rend dans le port de Rome, on y retrouve toutes les attaches des bateaux qui venaient de tous les coins de la Méditerranée.

On a une vision de l’Antiquité souvent fausse, car on la perçoit à travers un Moyen-Âge très caricaturé. Dans l’Antiquité, on voyageait sans cesse, et de tous les côtés. On venait d’Alexandrie jusqu’à Pompéi. Cette dernière étant proche de ces marchands, certains y logent. Par conséquent, un monde de plus en plus isiaque s’installe à Pompéi. Le culte d’Isis y existe depuis longtemps, car il est également pratiqué par les Romains malgré les réticences vis-à-vis des cultes orientaux. Isis devient alors l’une des déesses les plus importantes de l’étranger, ayant perdu son caractère typiquement égyptien, menaçant et terrible. Elle prend la figure de mère protectrice des marins, au sein profond et généreux, qui accueille les malheureux. Isis est même devenue une figure politique, un parti isiaque a été fondé.

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Pourquoi Pompéi est-elle davantage restée dans la postérité qu’Herculanum, cité voisine ? Les deux ont pourtant connu le drame du Vésuve. Pompéi était une ville ouvrante, beaucoup plus grande et plus riche en objets d’art.

Pompéi est l’une des grandes villes de la région, un peu différente d’Herculanum, car elle est également un lieu de résidence, et non uniquement de loisir. Là est tout l’intérêt de Pompéi : c’est une ville où l’on travaille. Ce n’est pas du tout là que les Romains établissent leurs résidences secondaires, même s’il y a, bien sûr, des villas.

Mais vous avez raison, c’est l’importance de Pompéi qui a primé. Avec Pompéi, on peut se représenter ce qu’était une petite cité de l’époque. Il s’agissait d’une cité métissée. Ce qui est extrêmement intéressant, c’est que cela permet de comprendre ce qu’était réellement l’Empire romain, loin des caricatures. On a souvent tendance à plaquer sur Rome l’image mussolinienne, ce qui est absurde. En fondant Rome, Romulus a tout simplement fait venir tous ceux qui participaient à la construction d’un certain nombre de villages. Ils sont arrivés avec leurs objets, un bout de terre, et ont jeté dans le « mundus », ce sillon qui faisait un grand cercle, ce qui leur appartenait. C’est donc de là que vient ce brassage d’origines diverses.

Par conséquent, la population pompéienne est caractérisée par une ouverture sur l’autre. Une fois accueilli, le nouvel habitant doit évidemment pratiquer le jeu des élections locales dans cette petite république. Ce qui est aussi frappant, c’est que des idées reçues sur l’esclavage continuent de circuler. Au Ier siècle après Jésus-Christ, la population pompéienne compte au moins 40 % d’affranchis. Ils n’ont pas tous les droits certes, mais au moins ils sont libres. Ils ne peuvent pas se présenter aux élections, mais peuvent avoir des titres honorifiques. Ils peuvent conduire toutes les affaires qu’ils veulent, et leurs enfants sont des citoyens romains à part entière. C’est-à-dire que le phénomène d’intégration, aussi bien pour les hommes libres que pour les esclaves, fonctionne. Cela procure à Pompéi sa richesse et son dynamisme. Ce pourcentage donne à réfléchir sur cette capacité fantastique de l’Empire romain de jouer avec la diversité tout en faisant respecter les codes.

Pourquoi avoir consacré un chapitre de cet ouvrage sur Pompéi à Alexandre le Grand ?

Il existe la célèbre fresque contre Darius, mais en effet Alexandre est très éloigné de Pompéi, apparemment en tout cas. La représentation de Cléopâtre à Pompéi est d’ailleurs condamnée à l’époque, car Jules César l’avait fait revenir. Il avait fait faire une sculpture dans le temple de Vénus à Rome, qui représentait son amante. De nombreuses reprises ont été réalisées, également à Pompéi. Ainsi, la Grèce reste toujours un modèle indépassable pour les Latins. Ils sont même totalement grecs, ou plutôt gréco-latins, mais grecs d’abord, élevés dans l’idée de la Grèce de cette époque.

La mosaïque d’Alexandre. (c) wikipedia

On a donc besoin d’avoir la représentation d’Alexandre, il est celui qui retient les hordes. Subsiste aussi l’idée que la Grèce a été vaincue, mais qu’elle fait partie du patrimoine. La fascination des charges d’Alexandre le Grand est rendue par ce qu’Olivier Battistini a très bien traduit : l’œil d’Alexandre. Jamais celui-ci n’a été peint ainsi, avec à la fois sa mélancolie, sa profondeur, et son désir de conquête. C’est comme un théâtre de l’histoire.

Nous sommes dans une cité qui se regarde vivre. Dans toutes les maisons, même les plus pauvres, des masques de théâtre font office de décoration, des fonds de scène et des scènes historiques sont peints, avec un effet de mise en abyme. C’est ce que Sénèque appelle le « theatrum mundi ». Les Pompéiens en sont d’ailleurs parfaitement conscients.

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D’ailleurs, de nombreux théâtres ont été retrouvés à Pompéi.

En effet, Pompéi détient deux théâtres essentiels, un grand et un petit. Ce dernier est couvert, on l’utilise davantage pour des lectures publiques que pour des pièces de théâtre en soit. Ce n’est pas du tout le théâtre comme nous l’entendons aujourd’hui. C’est alors un spectacle bruyant, mais harmonieux, rythmé par des instruments de musique extrêmement puissants. De plus, l’essentiel du spectacle est chanté. Il est seulement coupé par quelques scènes de récitation. Une atmosphère de magie émane de ces représentations dont les habitants sont friands. Ces pièces ne sont jouées qu’une seule fois.

En plus des théâtres, il y a également les temples. Vous évoquez le cas d’Isis, mais a-t-on d’autres dieux particulièrement honorés à Pompéi ?

Il y a bien sûr une triade divine qui protège Pompéi : Hercule, Bacchus et Vénus. Comme vous l’avez sans doute compris, Vénus est la figure de proue. C’est la grande déesse, comme Lucrèce l’a dépeint, elle donne à la nature sa richesse. Les Pompéiens le clament d’ailleurs, dans des graffitis. Ils la nomment Physis, celle qui donne le bonheur.

Quel est le rapport entre Pompéi et son volcan le Vésuve ? La catastrophe, bien sûr, mais y avait-il auparavant un dieu du volcan, ou bien des cultures ?

C’est assez complexe. Il y a eu une éruption 1 000 ans avant. C’est d’ailleurs pour cela que la ville est en reconstruction. La nature s’étant tue durant des siècles, les Pompéiens finissent pas oublier. Théoriquement, la ville est préparée à la catastrophe. Mais le fléau est très rapide et très brutal, toute la ville est rasée en un clin d’œil. Les coulées sont effrayantes, avoisinant la température de 400 degrés, et la vitesse de plus de 100 kilomètres à l’heure.

Quand donc a été redécouverte Pompéi ?

Les premières fouilles ont lieu à la fin du XVIIIe siècle. Puis au XIXe siècle, on découvre de plus en plus de choses, mais de nombreuses notes de cette époque ont disparu. Nous avons gardé la trace de quelques dessins et peintures, mais pas aussi précis qu’on l’aurait voulu. Les foules de graffitis, les « ardoises de la ville », ont été perdues. Les tablettes de cire ne sont utilisées que pour les actes officiels et institutionnels les plus importants. Mais tout le reste se fait sur les murs de la ville. Par conséquent, beaucoup de choses ont disparu.

C’est Chateaubriand qui se préoccupe de cela, avec un directeur des fouilles de Pompéi aux alentours de 1800. C’est grâce à cela que nous avons une vision réelle de l’univers pompéien.

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Vous avez écrit un très beau chapitre sur les thermes. On se rend compte d’ailleurs de la complexité technique que la machinerie représente : apporter l’eau d’une part, puis la réchauffer, puis la refroidir. Cela suppose une maîtrise de l’adduction de l’eau tout à fait remarquable. Cette eau est salée, il faut donc la capter depuis les rivières ou les montagnes.

Absolument. L’eau est captée via les aqueducs romains. Mais Pompéi est une ville luxueuse. Même le chauffage central est une notion maîtrisée. On le voit bien d’ailleurs avec ces thermes. Les Pompéiens savent faire circuler l’eau dans les maisons. Les Romains y mettent beaucoup de moyens : les machines, le ciment, la construction sont novateurs.

Les thermes de Stabies. (c) wikipedia

Vous évoquiez la romanité et la place de Pompéi. A-t-on des traces de présence militaire, d’une garnison installée à Pompéi ? Cette ville a-t-elle une fonction militaire ?

Non pas du tout. Mais toute la Campanie est gardée en fin de compte. Les messagers avertissent les cités voisines au moment de l’éruption, via des signaux lumineux par exemple. Une série de phares jalonne la région, jusqu’au bout de la baie de Naples. L’escadre à laquelle appartient Pline l’Ancien s’y trouve. Et c’est d’ailleurs en tant que tel que celui-ci intervient pour tenter de sauver des habitants, avant de trouver la mort. C’est son neveu Pline le Jeune, lui-même témoin du drame, qui relate le courage de son oncle. Pline l’Ancien aurait d’ailleurs pu être sauvé, mais sa passion scientifique le poussa à observer jusqu’au bout cet évènement vraiment impressionnant.

Pompéi a-t-elle joué un rôle politique dans les guerres civiles ?

Sans aucun doute. Une population de Samnites, à laquelle se mêlent quelques Étrusques, refuse de se plier aux décisions de Sylla qui veut lui envoyer des colons. Les Samnites se rebellent donc, suivis d’autres régions d’Italie. Ils sont battus, et sont contraints de se soumettre.

Que faut-il aller voir lorsque l’on se rend à Pompéi pour la première fois ?

Pour ma part, ce que je trouve magnifique est la Palestre. On oublie trop souvent que ces villes tournaient autour non pas du culte du corps, mais de l’idée que le corps est corps et esprit, il a donc son importance. Il faut ensuite se rendre au forum, bien sûr, vers les lieux d’activité. Cela permet de mieux se rendre compte de ce qu’était l’organisation d’une ville, même sous l’empire républicain.

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