Lors de son traditionnel discours de la Fête du Trône, le 29 juillet dernier, le souverain marocain a adressé un message à l’endroit de l’Algérie en ces mots : « le peuple algérien est un peuple frère que des attaches humaines et historiques séculaires lient au peuple marocain, particulièrement par la langue, la religion, la géographie et le destin commun ». Une main tendue qu’Alger n’a pas encore saisie.
Le Roi Hassan II disait dans une interview accordée à Anne Sinclair en 1993, qu’entre le Maroc et l’Algérie, les querelles diplomatiques étaient similaires à des « scènes de ménage, bruyantes et passionnées ». 32 ans plus tard, les brouilles ont changé d’acabit, tant les relations entre Rabat et Alger se sont détériorées.
Le Sahara, point nodal des tensions
Si les relations diplomatiques entre Rabat et Alger ont officiellement été rompues en août 2021 à l’initiative de la République algérienne, elles ont sérieusement commencé à se consumer il y a 50 ans, au lendemain des Accords de Madrid, qui ont marqué la fin de la présence espagnole au Sahara. Ce texte a mené au partage effectif de l’administration du territoire entre le Maroc et la Mauritanie. Dans les faits, le contrôle qu’exerçait alors Madrid sur cette partie du désert en tant qu’État colonial a été transféré à la jeune Mauritanie et restitué au Royaume chérifien dans le cadre de cette résolution tripartite.
Premier point de tension, le Front Polisario, une organisation séparatiste armée fondée en 1973 en opposition à la présence espagnole dans la région et soutenue depuis sa création par l’Algérie, n’est pas mentionné dans ces accords. L’existence d’un État autonome sahraoui, comme l’appelle de ses vœux le Polisario, n’est, de facto, pas reconnue.
En réaction, le mouvement entre en guerre dans la foulée contre la Mauritanie et le Maroc pour le contrôle de la région et proclame en 1976 la création de la République arabe sahraouie démocratique, une entité non reconnue à ce jour par l’ONU et de nombreux pays.
Quant au conflit armé, il débute en 1975. Entre le Front Polisario et Nouakchott, la guerre n’aura pas duré longtemps, la Mauritanie ayant abandonné toute revendication territoriale sur cette partie du Sahara en 1979, les armes sont déposées 4 ans après le début de la guerre. Mais avec le Maroc, les affrontements se sont poursuivis pendant 26 ans. L’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu construit sous l’égide de l’ONU en 1991 marque la fin de cette guerre ouverte entre Rabat et les indépendantistes sahraouis sans qu’une solution territoriale durable ne soit trouvée.
16 ans plus tard, dans l’optique d’en finir avec ce différend, le Maroc a présenté (2007) un plan d’autonomie pour le Sahara, un projet qui a le vent en poupe depuis quelques années déjà. En 2020, les États-Unis du gouvernement Trump 1 ont reconnu la marocanité du Sahara dans le cadre des Accords d’Abraham et de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. En juillet 2024, c’est au tour de Paris d’officialiser son soutien sur le plan de 2007. À la suite de ces deux événements, de nouveaux appuis internationaux affluent vers le Royaume : Grande-Bretagne, Pays-Bas, Portugal… Au total, ce sont plus de 116 pays qui soutiennent à ce jour la marocanité du Sahara.
Mais pour Alger, la résolution de ce conflit territorial selon les termes de Rabat – autonomie des provinces du Sud sous la souveraineté du Maroc – n’est pas acceptable. Et c’est notamment au sein des organes onusiens que les diplomates algériens attaquent ce projet de résolution. « Nous Algériens, nous avons choisi le camp de la justice, de la décolonisation, de la liberté, de l’autodétermination et des droits de l’homme. Cet engagement s’applique en faveur de la cause du peuple sahraoui qui attend depuis près d’un demi-siècle que l’ONU lui rende justice », a déclaré l’ambassadeur algérien Amar Bendjama le 26 septembre 2023 lors d’une assemblée générale de l’organisation internationale.
Deux diplomaties distinctes
Le piège pour Alger est que sa position dans le dossier sahraoui devienne un poids pour elle-même. La séquence difficile avec la France en est la preuve. Depuis juillet 2024, l’Algérie critique vertement Paris à la suite de sa reconnaissance de la marocanité du Sahara et a, dans la foulée, rappelé son ambassadeur de la capitale française en guise de réprobation. La situation ne s’est pas améliorée depuis, la fracture s’est même aggravée entre les deux pays, principalement sur le volet de la coopération sécuritaire.
La France reproche au gouvernement de Abdelmadjid Tebboune de mettre à mal ce partenariat bilatéral en refusant de façon récurrente le retour sur son sol de ses ressortissants frappés d’une obligation de quitter le territoire français. L’affaire Boualem Sansal – condamné à 5 ans de prison en Algérie pour avoir notamment affirmé dans une interview que certains territoires marocains de l’est ont été attribués à Alger par la France au moment de l’indépendance algérienne – a intensifié les tensions déjà existantes entre ces deux pays. Tant d’événements qui ont débouché en août 2025 à l’annonce de la suspension de l’accord de 2013 sur l’exemption de visa pour les diplomates et fonctionnaires algériens accordé par la France. Une décision qui marque un virage à 180° de Paris dans sa politique de conciliation avec Alger. Dans le même temps, alors que rien ne va plus avec l’Algérie, les relations entre la France et le Maroc sont d’une tout autre nature.
Lorsque le Royaume a fait le choix de redonner vie aux relations avec la République française, ce sont 22 accords d’une valeur de 10 milliards d’euros qui ont été signés en octobre 2024 au moment de la visite d’État d’Emmanuel Macron. Dans la foulée, l’Agence française de développement a annoncé envisager de mobiliser 150 millions d’euros d’investissements au Sahara dans la région de Dakhla-Oued Eddahab.
Grand Maghreb
Dans ce contexte marqué par des trajectoires diplomatiques divergentes, le Maroc continue néanmoins d’appeler à renouer le dialogue avec son voisin algérien, notamment pour le bien de la région entière. « J’exhorte les Marocains à préserver l’esprit de fraternité, de solidarité et de bon voisinage qui les anime à l’égard de nos frères algériens. D’ailleurs, Nous assurons ces derniers qu’en toute circonstance, le Maroc et les Marocains se tiendront toujours à leurs côtés », avait déclaré le souverain Mohammed VI à l’occasion de la Fête du Trône de 2022. Et d’ajouter : « Notre souhait est que ces frontières se muent en passerelles permettant au Maroc et à l’Algérie d’accéder à un avenir meilleur et d’offrir un bel exemple de concorde aux autres peuples maghrébins. »
L’ancien chef du gouvernement marocain Abdallah Ibrahim, disparu en 2005, écrivait que le Grand Maghreb a toujours été « une contrée riche dont les gens sont pauvres ». Un constat qui fait référence à tout le potentiel économique de cette région s’étendant de la Mauritanie à la Libye : réserves halieutiques, gisements gaziers, terres rares, capacités agricoles… Mais aussi à tous les problèmes non résolus de la région : émigration massive, chômage important, raréfaction des ressources naturelles…
Et si le Grand Maghreb existe géographiquement comme l’évoquait Abdallah Ibrahim, il ne se constitue diplomatiquement et économiquement qu’au gré des accords sporadiques ratifiés entre pays partenaires. Pourtant, une initiative d’ampleur a été prise en 1989 avec la création de L’UMA, acronyme d’Union Maghreb Arabe, signée et rejointe par les 5 Chefs d’État de la région lors d’un sommet à Marrakech. Un des accomplissements majeurs de cette organisation reste la signature d’accords commerciaux et douaniers avec l’adoption de la Convention de libre-échange maghrébine en 1996, visant à faciliter les relations commerciales entre les États membres. Mais, à cause des tensions persistantes entre le Maroc et l’Algérie, sa mise en œuvre reste très limitée, voire inexistante. Face aux difficultés constantes, l’UMA, bien que toujours debout, ne s’est pas vu attribuer depuis d’autres missions significatives.
Une amélioration des relations entre le Maroc et l’Algérie ouvrirait pourtant la voie à de nouvelles coopérations économiques, agricoles ou encore sécuritaires dont le Maghreb a besoin pour voir en grand. Un objectif qui se traduit par la main (à nouveau) tendue de Rabat au pouvoir algérien. Une démarche également appuyée par le Forum maghrébin pour le dialogue, qui encourage l’Algérie à accueillir favorablement l’appel à la réconciliation du Royaume du Maroc.