<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Quand Donald Trump fait gagner la gauche

17 septembre 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : (Justin Tang/The Canadian Press via AP)/JDT211/25119228621279/MANDATORY CREDIT/2504290938

Abonnement Conflits

Quand Donald Trump fait gagner la gauche

par

En s’en prenant au Canada et à l’Australie par des menaces de tarifs douaniers, Donald Trump a provoqué un sursaut parmi les électeurs de gauche dont les partis ont remporté l’élection alors qu’ils étaient donnés vaincus. Un contre-exemple politique qui démontre que le soft power américain est fragilisé.

Article paru dans le N59 Droite. La nouvelle internationale ?

Quelques semaines après sa réélection, Trump a annoncé que l’un de ses premiers décrets serait l’imposition de droits de douane de 25 % au Canada et au Mexique. La raison invoquée en était de pénaliser les efforts jugés insuffisants des deux pays voisins en matière de contrôle des frontières, notamment dans la lutte contre les drogues à base de fentanyl. Ces droits de douane ont été adoptés en dépit de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) que Trump avait lui-même renégocié et signé au cours de son premier mandat. Outre le Canada et le Mexique, presque tous les autres pays ont alors été visés par des droits de douane de base de 10 %. C’est le cas d’alliés comme l’Australie, bien que les États-Unis aient un excédent commercial avec elle.

Comment faire basculer deux élections en faveur de la gauche ?

Trump ne s’est pas arrêté à la politique commerciale dans le cas du Canada. Il a suggéré à plusieurs reprises que le pays pourrait être annexé par les États-Unis pour éviter les droits de douane et l’a qualifié de « 51e État ». Les Canadiens, qui n’accordent généralement pas beaucoup d’importance à la politique étrangère lorsqu’ils votent, ont réagi en renversant ce schéma lors des élections fédérales anticipées du 28 avril.

Avant la réélection de Trump en novembre 2024, les électeurs canadiens s’intéressaient principalement à l’augmentation du coût de la vie, à l’accessibilité du logement, au coût de la santé et à l’économie en général. Le mécontentement général à l’égard du Premier ministre Justin Trudeau, du Parti libéral de centre-gauche, avait forcé sa démission en janvier et propulsé le Parti conservateur à des niveaux de soutien parmi les plus élevés jamais enregistrés. Mais le « facteur Trump » a tout chamboulé. La menace des droits de douane et le ton de Trump ont suscité chez les Canadiens une réaction, allant de la rage à l’agacement, et les questions économiques ont perdu de leur importance aux yeux des électeurs. Un large éventail de tarifs douaniers contre le Canada est entré en vigueur au cours même de la campagne électorale tandis que les relations du pays avec les États-Unis et la question de l’identité nationale sont devenues des questions majeures pour les électeurs.

Le remplaçant de Trudeau, Mark Carney, a réagi en adoptant une série de tarifs douaniers de rétorsion et en axant sa campagne sur l’opposition à Trump. Pendant ce temps, les conservateurs dirigés par Pierre Poilievre ont principalement fait campagne contre le bilan de Trudeau, évitant d’attaquer Trump en raison d’une combinaison de prudence diplomatique et de prise en compte de l’affinité de leur propre base électorale pour l’homme. Mécaniquement, Carney et les libéraux ont été considérés comme mieux à même de gérer les relations du Canada avec les États-Unis que Poilievre et les conservateurs. Sous la direction de Carney, et grâce à Trump, les libéraux ont opéré un impressionnant retournement de situation et l’ont finalement emporté (avec un gouvernement minoritaire, il est vrai).

Sondages d’opinion pour les élections fédérales canadiennes de 2025 – Wikipédia.

En Australie, c’est presque le même scénario qui s’est accompli. Le gouvernement travailliste sortant était confronté à de faibles sondages face à la coalition libérale-nationale de centre-droit, avant les élections fédérales du 3 mai. Cependant, lorsque Trump est entré en fonction et que les droits de douane ont été promulgués le 5 avril 2025, la dynamique politique s’est brusquement modifiée. Le gouvernement travailliste n’a pas introduit de tarifs de rétorsion comme le Canada mais a dévoilé un plan d’action pour les contrer. De son côté, le chef de la coalition Andy Dutton s’est piégé lui-même en ayant fait dans les semaines précédentes l’éloge de Trump et en ayant déclaré qu’il avait plus « en commun » avec lui que le chef du Parti travailliste, Anthony Albanese… des propos que Dutton a tenté de minimiser en fin de campagne. En outre, le selfie de l’une des principales sénatrices de la coalition portant une casquette MAGA est devenu un thème de campagne en or pour les travaillistes. Non seulement la coalition a commencé à perdre du terrain au profit des travaillistes mais un sondage publié pendant la campagne a montré que la confiance des Australiens envers les États-Unis avait chuté de 20 points depuis l’investiture de Trump, pour atteindre son niveau le plus bas. Comme au Canada, les travaillistes ont renversé la vapeur et ont remporté une large majorité au Parlement.

Sondages d’opinion pour les élections fédérales de 2025 en Australie – Wikipédia.

Effet paradoxal

Au Canada comme en Australie, l’administration Trump aurait pu compter sur des interlocuteurs plus favorables avec les deux partis de centre-droit qu’elle a contribué à maintenir dans l’opposition. Trump aura plus de mal à traiter avec les libéraux et les travaillistes, et même dans l’opposition, les conservateurs canadiens et la coalition australienne mettront en sourdine leur soutien aux États-Unis, compte tenu de son coût électoral. Toutefois, les victoires des libéraux et des travaillistes n’auraient probablement pas changé les politiques tarifaires de Trump ex ante. Il est bien plus préoccupé par son propre programme commercial, qui est au cœur de son second mandat, que par les abstractions du soft power.

Mais ce que l’on voit se dessiner, à partir de ces deux exemples, c’est une politique étrangère américaine qui produit un effet paradoxal : le renforcement du hard power par une revendication territoriale dans le cas du Canada et une politique commerciale agressive dans le cas des deux pays affaiblissent le soft power par l’élection de gouvernements moins alignés (et un soutien plus faible des oppositions parlementaires pourtant plus alignées politiquement). L’« Amérique d’abord » contribue à l’élection de gouvernements plus scrupuleux sur la souveraineté de leur pays, du moins en termes de coopération avec cette administration américaine.

Il faut dire, pour tempérer cette analyse, que Trump n’est pas impopulaire partout à l’étranger. Dans d’autres pays alliés comme la Pologne, la Hongrie ou la Roumanie, il bénéficie d’un fort soutien. En revanche, le Japon, la Corée du Sud, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, comme le Canada et l’Australie, se trouvent de l’autre côté du tableau. Tous ces pays seront moins enclins à coopérer avec les États-Unis au cours des trois prochaines années en raison du sentiment de leurs électeurs. En outre, même si Trump adopte désormais un ton plus conciliant, il est peu probable que cela efface le mauvais souvenir qu’ils auront laissé à ses alliés occidentaux. À l’inverse, Trump est perçu favorablement dans les États clés qui ne font pas partie de l’alliance occidentale, à savoir l’Inde, la Russie et l’Arabie saoudite.

Quoi qu’il en soit, rappelons que Joe Nye, décédé le 6 mai dernier, expliquait qu’il fallait conjuguer le hard power et le soft power, qu’il s’agissait des deux faces d’une même pièce. La meilleure approche pour Trump consisterait donc à renforcer le soft power à l’échelle mondiale tout en augmentant le hard power, ce que les présidents Reagan et H.W. Bush avaient réussi à faire en leur temps. Dans une époque de concurrence entre grandes puissances, de conflits hégémoniques et d’ambiguïté stratégique, ce serait le moyen le plus sûr de maintenir l’« Amérique d’abord ».

À propos de l’auteur
John Hennenfent

John Hennenfent

Voir aussi

La Marine nationale aux avant-postes de la lutte contre le narcotrafic

La Marine nationale exerce un rôle essentiel dans la lutte contre les trafics de drogue et les réseaux. Opérant sur l’ensemble du territoire maritime national, elle est un levier de lutte contre les trafiquants pour assurer la protection du territoire. Jean Hausermann, vice-amiral...

L’Iran en guerre

Ayant donné des conférences académiques à Téhéran en juin 2025, puis étant parvenu à m’exfiltrer trois jours après le début de la guerre dans la nuit du 12 au 13 juin 2025, il me semble important de préciser quelques paramètres géopolitiques constatés sur place à la veille de la guerre pour réfléchir au futur.