Rapport Schuman 2019 : Où va l’UE ?

2 août 2019

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Rapport Schuman 2019 : Où va l’UE ?

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L’année 2019 est une année charnière pour l’Europe. Pas seulement en raison du scrutin européen des 23-26 mai et du changement de titulaires intervenu à la tête des principales institutions de l’Union (Président de la Commission européenne, président du Conseil européen, président du Parlement européen, ainsi que du Haut Représentant pour la politique extérieure, puis plus tard dans l’année du président de la Banque centrale européenne). Le Rapport Schuman paru avant la tenue du scrutin en éclaire bien des enjeux.

Si tout le monde s’attendait à une forte poussée des populistes et des nationalistes, ainsi qu’à une perte de vitesse du duopole PPE- sociaux-démocrates, la première ne s’est pas vraiment matérialisée, alors que l’on a assisté à une hausse des votes en faveur des Verts et des centristes. Au-delà de ce scrutin, reste à voir si l’Europe sera en mesure de redistribuer ses compétences, en mettant par exemple fin à une Commission pléthorique et se doter de moyens budgétaires adéquats. En effet, comme le souligne Alain Lamassoure, ancien ministre des Affaires européennes et du Budget, l’incohérence budgétaire européenne est devenue patente. Plutôt que de consolider les crédits et les dépenses en un budget unique, transparent et facilement contrôlable, les responsables successifs n’ont fait qu’empiler les budgets satellites. À côté de la vieille lune du Fonds européen de développement, on a vu ainsi apparaître le Fonds de stabilité financière, le Mécanisme européen de stabilité, deux fonds spécifiques pour la Grèce, le Fonds pour les investissements stratégiques dit plan Juncker, les fonds fiduciaires pour les réfugiés de Syrie, du Liban, de Jordanie, de Turquie, un autre fonds fiduciaire pour la prévention des migrations décidées à La Valette, le fonds climat, la facilité de prêts aux pays non euro, le fonds pour la recherche et le fonds pour l’industrie de la défense. Est-ce contribuer à la clarté des actions de l’Union européenne ?

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Comment faire aimer l’UE ?

Les questions de l’information, de la communication et de l’audiovisuel, essentiels pour qu’une authentique opinion européenne puisse émerger, sont abordées à plusieurs reprises. L’offre multilingue d’Arte constitue la première base d’une future et plus ambitieuse plateforme européenne qui pourrait réunir l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel de notre continent. Puis différents auteurs abordent de front la question des relations franco-allemandes qui ont toujours fait l’objet d’une grande attention, mais aussi d’appréciations différentes. Avant même que celles-ci ne se soient dégradées à l’issue du scrutin européen, un constat semblait émerger chez certains représentants français. L’Allemagne semble s’obstiner à faire la sourde oreille. Que ce soit en matière de politique économique, fiscale, sociale, environnementale, d’immigration ou de défense, l’immobilisme allemand est devenu patent et fait courir un risque sérieux à l’Union européenne. Alors que l’Europe a besoin d’audace et d’ambition pour répondre à la défiance de ses citoyens, qui lui reprochent d’être incapable d’agir face aux nouveaux défis du monde, la frilosité allemande est un carburant pour l’euroscepticisme. Ceci n’est pas un réquisitoire contre l’Allemagne précise Françoise Grossetête, députée européenne depuis 1994, mais bien l’expression d’un regret, celui que la chancelière n’ait pas davantage du, ou voulu mettre l’énorme popularité et l’influence dont elle a bénéficié au service du projet européen. Les prochains mois verront si son diagnostic pessimiste sera confirmé ou infirmé.

Faire peser l’UE dans le concert mondial

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En tout cas, pour tous les auteurs de ce solide rapport, la priorité de l’Union européenne est maintenant d’assurer sa présence au plus haut niveau de responsabilité mondiale, parmi les deux ou trois principales puissances de la planète. Pour cela, elle doit valoriser ses performances économiques, sociales et juridiques en les dotant d’une diplomatie mondiale, appuyée sur un outil de défense crédible. Pour protéger son modèle et promouvoir ses valeurs, elle doit concentrer tous ses efforts sur cet objectif. Il est impératif aussi qu’elle s’équipe des instruments juridiques lui permettant de répliquer à l’extraterritorialité du droit américain, qui organise un véritable « racket » de ses grandes entreprises et limite l’indépendance de sa diplomatie et de sa politique commerciale. Des efforts ont été entrepris il faut aller plus loin dans l’autonomie et l’indépendance.

En abordant les questions de défense européenne, Florence Parly met l’accent à nouveau sur les disparités, voire les incapacités européennes dans ce domaine devenu pourtant vital. Face à des dangers ou des ennemis communs, cette situation est aggravée par la disparité et le manque de cohérence de nos forces est loin d’être négligeable. Les États membres peuvent aligner 2,5 millions de soldats, près de 10 000 chars, 2 500 avions de combat. Mais 70% de ces forces sont incapables d’opérer hors des frontières nationales et 3% à peine sont déployées hors de l’Union européenne. L’Europe dispose ainsi de capacités en nombre souvent trop réduit, limitées à un trop petit nombre d’États européens et manquant d’homogénéité, voire même concurrentes. 17 types différents de chars de combat lourds, 29 types différents de destroyers et de frégates, 20 types différents d’avions de combat, une vingtaine de versions des mêmes hélicoptères de transport – pour ne citer que ces quelques exemples.

En diplomate chevronné, Pierre Vimont s’interroge : l’Europe est-elle en mesure de devenir un acteur global ? Entre les deux puissances mondiales États-Unis et Chine, désireuses chacune à sa manière et selon ses intérêts propres de façonner le nouvel ordre mondial, l’Europe paraît a priori bien mal lotie pour se joindre à ce concert des Grands.

Elle reste divisée et doute d’elle-même face à un monde fracturé qui n’est pas son terrain d’action naturel. Pourtant l’Europe porte un message politique d’équilibre et de tolérance qui reste sans doute la meilleure réponse possible aux défis de tous ordres qui menacent la communauté des nations. Son problème est de se convaincre qu’elle doit assumer cette responsabilité et, pour ce faire, qu’elle se mette en ordre de marche pour surmonter ses divisions et les frondes qui l’assaillent. À l’évidence, le défi est immense, mais la poursuite du projet européen est à ce prix. Entre les deux puissances globales, États-Unis et Chine, désireuses chacune à sa manière et selon ses intérêts propres de façonner le nouvel ordre mondial, l’Europe paraît a priori bien mal lotie pour se joindre à ce « concert des Grands. De son côté, François Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, plaide pour une présence au plus haut niveau de responsabilité mondiale, parmi les deux ou trois principales puissances de la planète. Pour cela, elle devra valoriser ses performances économiques, sociales et juridiques en le dotant d’une diplomatie mondiale appuyée sur un outil de défense crédible. Reste à voir si cette UE plus forte qu’il appelle de ses vœux sera en mesure de contrecarrer la politique de sanctions américaines vis-à-vis de l’Iran et s’opposer à la politique d’extraterritorialité menée, sans restriction, par les autorités judiciaires américaines.

La deuxième partie du Rapport, forte de 160 pages, est consacrée aux statistiques qui fournissent une source unique de données, sur les États membres, leurs performances, les institutions, les politiques communes, les relations extérieures de l’Union, comme de la situation sociale économique , du développement durable. On trouvera en particulier une carte portant sur les différentes interventions de l’Union à l’extérieur comme un tableau de la répartition des crédits du Fonds européen de défense et de l’initiative européenne d’intervention.

Rapport Schuman sur l’Europe, L’état de l’Union, 2019, Fondation Robert Schuman, Éditions Marie B, 2019, 342 pages.

À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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