Mahmoud Darwich a habité la poésie arabe, donnant une voix aux Palestiniens. Le relire aujourd’hui c’est lutter contre les fondamentalismes qui enserrent la Palestine. Actes Sud réédite deux recueils essentiels.
Mahmoud Darwich, État de siège, Actes Sud
Mahmoud Darwich, Le lanceur de dés et autres poèmes, Actes Sud
Alors que le rêve d’un État palestinien s’évanouit chaque jour dans les limbes, conséquence de la politique du fait accompli entreprise par le pouvoir israélien dans les territoires occupés, voici que la poésie nous rappelle qu’à travers sa puissance des peuples peuvent réaffirmer leur personnalité nationale et une forme de transcendance. Longtemps, le grand poète Mahmoud Darwich, disparu en 2008, considéré unanimement comme une des voix majeures de la poésie arabe du XXe siècle aux côtés des Syriens Nazar Qabbani et Adonis, a incarné le combat palestinien.
Traduction et découverte
Les éditions Actes Sud republient deux ses recueils de poèmes, rédigés à l’automne de sa vie, tous deux traduits par son ami, l’intellectuel palestinien Elias Sanbar, qui représente la Palestine à l’UNESCO et a cofondé la revue d’études palestiniennes.
Dans la poésie arabe classique, بَيْت (bayt) désigne un vers. Littéralement, bayt signifie « maison», mais dans la rhétorique poétique, le vers est conçu comme une « maison de sens », une unité close. Un bayt est généralement composé de deux hémistiches (ṣadr صدر et ʿajuz عجز), séparés par une césure.
En l’absence de patrie souveraine et en paix, les Palestiniens ont littéralement habité la maison de Darwich. Une patrie de papier et de poésie qui leur a permis de tenir, de survivre pendant des générations. Souvent, il s’était plaint que sa poésie soit réduite à un porte-parole officieux de l’OLP. Darwich s’est souvent révolté contre cette identification à la cause palestinienne, il préférait chanter le rouge non pas comme couleur de sang, mais de rose. Son œuvre poétique est jonchée d’aller-retours entre la terre de ses ancêtres parfumée de thym, d’olivier, de languissement du café de sa mère et l’aspiration d’intégrer la poésie arabe dans l’espace universel.
Chanter le particulier et l’universel
Ainsi, on lira avec émotion « Le lanceur de dés », ce long poème où Mahmoud Darwich revisite avec une douce mélancolie son itinérance sur terre, résume sa vie en insistant sur les hasards de l’histoire qui ont permis, lui enfant humble de la Galilée des nations à embrasser un destin qui l’a propulsé au panthéon de la poésie arabe contemporaine.
« Qui suis-je pour vous dire/ce que je vous dis/à la porte de l’église,/ moi qui ne suis qu’un lancer de dés/ entre prédateur et proie./j’ai gagné en lucidité,/non pour jouir de ma nuit étoilée/ mais pour être témoin du massacre. »
Le recueil État de siège, quant à lui a été rédigé à Ramallah où le poète reclus a composé une centaine de fragments en réaction à l’offensive de l’armée israélienne en pleine intifada. L’immédiateté, l’urgence, chaque petit rayon de lumière capte une vie en sursis, le moindre moment fugitif sont d’une brûlante actualité.
« Ici, sur les pentes des collines,/face au couchant/et à la béance du temps,/Près des vergers à l’ombre coupée,/tels les prisonniers,/tels les chômeurs,/nous cultivons l’espoir. »
Ou encore « que la paix soit sur celui qui partage ma coupe/dans la nuit dense qui déborde des deux sièges:/que la paix soit sur mon fantôme ».
Aujourd’hui la lecture de Darwich est d’autant plus nécessaire qu’elle résiste à la noirceur d’une époque où le keffieh palestinien se confond de plus en plus à l’obscurantisme fondamentaliste dans sa version nihiliste. Son œuvre demeure une invitation à l’espérance, comme désespoir surmonté.