Ayant donné des conférences académiques à Téhéran en juin 2025, puis étant parvenu à m’exfiltrer trois jours après le début de la guerre dans la nuit du 12 au 13 juin 2025, il me semble important de préciser quelques paramètres géopolitiques constatés sur place à la veille de la guerre pour réfléchir au futur.
Article paru dans le N59 Droite. La nouvelle internationale ?
Le premier, le paramètre économique, livre une information essentielle. Les lourdes sanctions infligées à l’Iran par les États-Unis et l’Occident depuis le milieu des années 1990 sont invisibles en Iran. Certes, elles peuvent avoir eu de l’importance pour des intrants très spécifiques. Mais le grand bazar comme les étals des commerces offrent des produits variés et en grande quantité, qu’ils concernent l’alimentation, l’habillement, l’équipement des logements, la parfumerie ou les smartphones. Même les produits de luxe ne manquent pas et un important secteur bancaire rivalise de buildings. Le principal centre commercial, l’Iran Mall, le plus grand centre commercial au monde, n’est comparable qu’avec le fameux mall de Dubaï au pied de la Burj Khalifa. Le pays regorge de voitures et de motos dont la circulation crée dans les villes un grand bouillonnement.
Faute de pouvoir échanger avec l’Occident, l’Iran, d’une part, commerce avec le reste du monde et, d’autre part, les Iraniens se sont montrés entreprenants en développant un secteur productif qui n’est pas honteux comme souvent en France. Les zones d’activités industrielles sont indiquées par une claire signalétique sur le réseau routier qui présentent aussi de vastes panneaux publicitaires pour des produits industriels comme des chariots élévateurs.
Un deuxième paramètre est de nature éducative. La visite de plusieurs campus à Téhéran ferait pâlir d’envie tout universitaire ou étudiant français. Bien que situés en ville, ces campus sont vastes, aérés, très verdoyants, offrant des cursus couvrant toutes les disciplines et des équipements sportifs. Les colloques universitaires et les discussions scientifiques témoignent aussi d’un niveau éducatif extrêmement élevé. Et il apparaît ainsi que même si des Iraniens, depuis 1979, ont émigré, l’Iran continue à bénéficier de ressources humaines de qualité très attachées à leur pays, au contraire par exemple de ce qui s’est passé pour le Venezuela ces dernières décennies.
Considérons enfin le paramètre géopolitique interne. Quels éléments permettent de mesurer la faveur ou la défaveur de la population vis-à-vis du régime des mollahs ? Le premier consiste à regarder les femmes. Incontestablement, le mouvement Femme, Vie, Liberté né en septembre 2022, en dépit des dures répressions qu’il a subies, a emporté une victoire. Au moins dans les villes traversées, seules 10 à 15 % des femmes portent un tchador et ce sont le plus souvent des personnes âgées. Le reste de la population féminine peut être distingué en deux parts. La première concerne des femmes qui portent certes un voile, mais ce dernier ne couvre guère que la partie arrière des cheveux, ce qui met bien en évidence tant la couleur de la chevelure que la coiffure choisie. La seconde ne porte plus le voile. Certes, on distingue souvent un petit fichu qui entoure le cou et peut être posé à l’arrière des cheveux en cas de nécessité, par exemple pour une démarche administrative.
Concernant les hommes, la première impression qui prédomine est qu’ils n’affichent en rien leur éventuelle défaveur du régime des mollahs. Bien au contraire, ils se plient au refus de porter une cravate, car le régime considère qu’un bon musulman ne doit pas en avoir, ce que pourtant, bien évidemment, aucune sourate ni aucun hadith n’atteste. Toutefois, il résulte de moult conversations que la défaveur de nombreux hommes envers le régime est attestée par le fait qu’ils soutiennent leurs femmes et leurs filles qui ont écarté le voile.
Ainsi, après la guerre d’Iran, l’hypothèse la plus probable est que ce pays, fort d’une identité historique, du sens du travail et de l’implication de la société civile, saura se reconstruire. Et la déclinaison de son potentiel de puissance géopolitique dépendra de la façon dont ses dirigeants jugeront ses intérêts.