Rugby : coupe du monde et influence

29 octobre 2023

Temps de lecture : 4 minutes
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Rugby : coupe du monde et influence

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La coupe du monde de rugby a laissé un goût amer aux supporters. En cause, les suspicions d’arbitrage partisan. Ce sport, comme d’autres, n’échappent pas aux jeux de pouvoir et aux intérêts financiers.

D’habitude très mesuré dans ses propos, Antoine Dupont a surpris lors de la conférence de presse d’après match. Lancé par une question sur la prestation arbitrale, le capitaine du XV de France a répliqué : « L’arbitrage ? Vous, vous en avez pensé quoi ? Pour avoir un regard extérieur. Il y a quand même des actions… bon c’est dur d’avoir ce discours là mais il me tarde de revoir des images qui vont, je pense, me donner encore plus de frustration. Je pense qu’il y a des choses claires, évidentes, qui sont faciles à siffler et ne l’ont pas été.

Je ne sais pas si le match se perd à ce moment mais dans les moments cruciaux, on aurait pu avoir cette pénalité. Quand il y a une avancée de 60m, qu’on ralentit en ruck… c’est quand même facile à siffler. Je n’ai pas envie de faire l’aigri qui râle sur l’arbitrage parce qu’il a perdu le match mais je ne suis pas sûr que l’arbitrage ait été au niveau de l’enjeu. »

Des propos qui confirment l’analyse des supporters et des commentateurs qui ont relevé plusieurs décisions de l’arbitre Ben O’Keeffe qui relèvent davantage du choix délibéré de soutien à une équipe qu’à des erreurs qui peuvent se produire durant un match. C’est que le précédent de 1995 reste dans toutes les mémoires.

1995 : une coupe du monde truquée

Ce qui se disait sous le manteau, à savoir que la coupe du monde 1995 avait été truquée pour permettre la victoire de l’Afrique du Sud et ainsi corroborer le mythe de la nation arc-en-ciel post apartheid, a été confirmée par l’ancien capitaine et sélectionneur du XV de France Philippe Saint-André peu avant le quart de final. Un match volé en demi-finale contre les Français (4 essais non accordés), des Néo-Zélandais empoisonnés par intoxication alimentaire peu avant la finale et des Springboks dopés permirent à l’intouchable Nelson Mandela de soulever le trophée Webb Ellis. Du XV Sud-Af victorieux en 1995 il ne reste plus grand monde, une bonne partie des joueurs étant soit décédée prématurément soit victimes de maladies bizarres, liées aux substances absorbées. Le dopage est un sujet récurrent de l’Afrique du Sud puisque le pays n’a toujours pas ratifié le code mondial contre le dopage et qu’à ce titre il aurait dû ne pas jouer sous ses couleurs. Ce n’est que grâce à un appel suspensif de dernière minute qu’il a pu s’affranchir de la règle commune.

Si le rugby mondial veut retrouver un peu de crédibilité, il devrait avoir le courage de retirer le titre 1995 à l’Afrique du Sud, comme le Tour de France retira ses titres à Lance Armstrong. De la coupe du monde truquée de 1995 à la finale volée de 2011, les valeurs auto-proclamées du rugby suivent trop souvent les voies de la tricherie et de la corruption. Loin d’être un jeu mondial, le rugby demeure un sport d’Anglo-saxons où la France est l’exception.

L’Afrique du Sud n’a toujours pas ratifié le code mondial contre le dopage

Seuls une dizaine de pays pratiquent le rugby à haut niveau : Royaume-Uni, Irlande, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Australie, France, Italie, Argentine, Japon. On peut y ajouter les Fidji et les Tonga mais cela ne va guère plus loin. Depuis 1987 et sa première coupe du monde, le rugby n’a pas réussi à sortir de son cadre géographique limité. Cet entre soi se retrouve dans les instances internationales, davantage intéressées par les retours financiers que par l’avenir du sport. Le président de la FFR, Florian Grill, le reconnaissait après le quart de final : les matchs se gagnent tout autant dans les commissions que sur les terrains :

« Il y a un vrai sujet, c’est un point important, il faut que l’on soit beaucoup plus influents à l’échelle internationale. Aujourd’hui, la Fédération française de rugby n’a pas l’influence qu’elle doit avoir au niveau international. On n’a plus de membre au board de World Rugby, on a eu qu’un seul arbitre de champ pour représenter la France pendant le Mondial, on a très peu de membres dans les commissions et dans les groupes de travail. »

Des financeurs au lieu des supporters

Vaincue à la Commission européenne comme dans les instances sportives mondiales, la France est en train de prendre conscience de l’importance du travail souterrain et des instances mondiales qui favorisent tel ou tel pays. C’est là un champ de la géopolitique qui n’est pas assez exploré et qui devrait être davantage étudié par ceux qui s’intéressent à la géopolitique du sport. On l’a vue lors de la coupe du monde au Qatar, dont l’attribution demeure entachée de fort soupçons de favoritisme. Ou bien pour la coupe du monde 2030 de football, qui se jouera, de façon totalement improbable, dans la péninsule ibérique, au Maroc et en Amérique du Sud (Paraguay, Uruguay, Argentine). Sans oublier la coupe du monde 2026, qui oscillera entre le Mexique, le Canada et les Etats-Unis, multipliant les fuseaux horaires et les vols d’avion. Ces compétitions ne visent plus à satisfaire les supporters mais à tenter de conquérir des parts de marché, découplant ceux qui pratiquent le sport et ceux qui le financent. Un phénomène qui concerne aussi la Formule 1, où les circuits historiques sont abandonnés au profit des pays sans tradition automobile mais qui payent : Azerbaïdjan, Singapour et quatre pays du Golfe pour 24 manches de course (Arabie Saoudite, Bahreïn, Qatar, Abu Dhabi). FIFA et FIA sont en train d’inventer un sport sans supporters mais avec influences.

L’arrivée de franchises sud-africaines en coupe d’Europe de rugby avait déjà fait grincer quelques dents. Cette coupe du monde n’a pas éteint le sujet. Débutée il y a un siècle, les grandes compétitions mondiales trouvent désormais leurs limites. De plus en plus couteuses à organiser, sans réel intérêt pour les pays, tournant le dos aux valeurs supposées du sport, elles deviennent de plus en plus des castes fermées sur elle-même. Le summum étant atteint par les Jeux olympiques, que plus aucune ville ne veut organiser compte tenu de leurs coûts faramineux et de leurs retombées quasi nulles, pour des sports qui, tels le curling, le lancer de poids, le skateboard ou le trampoline ne passionnent pas les foules. Entre jeux de pouvoirs et jeux d’argent, rugby et sports mondiaux sont en train d’opérer une sécession entre les élites qui les dirigent et les supporters qui les pratiquent.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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