Sans forestiers, les forêts sont en danger

30 juillet 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Lac du Grand ballon (c) Pixabay

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Sans forestiers, les forêts sont en danger

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La forêt est un espace vivant qui doit être entretenu, aménagé et protégé. Or, bien souvent, des associations militantes sabotent le travail des forestiers, notamment en suscitant des campagnes d’émotion sans lien avec la réalité de la gestion forestière. Entretien avec Stéphane Viéban, directeur général d’Alliance Forêts Bois et Michel Bazin, Vice-président FNEDT en charge de la forêt.

 Propos recueillis par Mathilde Legris

Quel est aujourd’hui le climat de travail pour les forestiers face à la montée des pressions ?

Michel Bazin : Nous sommes passés du statut de gardiens et de protecteurs de la forêt à celui de destructeurs. Les forestiers le vivent très mal. Sur la partie réglementaire, il y a également un vrai changement de paradigme. L’action du forestier, qui est déjà historiquement très encadrée, devient de plus en plus contrainte. Pourtant, nous avons une surface forestière en progression, une biodiversité remarquable, entretenue, avec des espèces bien présentes dans nos forêts. Et malgré cela, les forestiers sont ciblés comme des destructeurs potentiels, alors qu’ils sont les seuls à permettre à la forêt de s’adapter et d’évoluer.

(c) Stéphane Viéban

Stéphane Viéban : Ce que je ressens aujourd’hui, c’est d’abord de l’incompréhension. Cela va dans le sens de ce que dit Michel : on ne comprend pas ce qui nous arrive. Il y a un sentiment d’injustice, car on nous reproche des choses qui sont fausses. C’est aussi un ras-le-bol. Notre manière de travailler est fragilisée. On est aussi conscients que ce phénomène ne vient pas de l’opinion publique dans son ensemble. Quand on regarde les sondages, l’opinion publique n’est pas du tout contre les forestiers. Elle reconnaît notre travail et la qualité des forêts françaises. Ce qui se passe vient d’une toute petite minorité, mais très active, très agissante, qui a beaucoup de relais médiatiques. Et cette minorité mène une bataille idéologique. Ce sont des gens qui n’ont aucune légitimité technique, mais qui imposent un débat biaisé, souvent très éloigné de la réalité du terrain. Cela fait des années que nous avons des discussions avec les ONG, et tout se passe plutôt bien. En réalité, c’est surtout la pratique d’une ONG qui nous fait dire stop.

« Ce que ces militants ne montrent jamais, ce sont les forêts qui poussent, les peuplements que l’on accompagne, les essences qu’on introduit pour faire face au changement climatique », Stéphane Viéban, directeur général d’Alliance Forêts Bois et Michel Bazin, Vice-président FNEDT en charge de la forêt

Un chantier a été interrompu dans la Creuse à la suite de l’intervention d’une association. Que s’est-il réellement passé ?

Stéphane Viéban : Cette action montre à quel point cette association est constituée de manipulateurs. Leur objectif ne tenait pas ce jour-là à sauver une chauve-souris ou une espèce protégée, mais uniquement à nuire à une entreprise, nous sommes tombés dans une embuscade.

Michel Bazin : S’ils avaient voulu sauver les chauves-souris, ils auraient pu. Ils étaient au courant depuis plusieurs jours que ce chantier allait démarrer, ils ont même dormi sur place. Ils ont convoqué préalablement un expert qui a fait des études sur le déplacement des chauves-souris. Donc, ils auraient très bien pu choisir d’intervenir avant le début du chantier pour nous avertir. À la place, ils ont attendu que le chantier démarre pour pouvoir le dire. Ce qui interpelle, c’est cette préméditation.

Stéphane Viéban : Le fait qu’on arrête une machine, le fait qu’on arrête une entreprise, alors qu’on est dans un cadre 100% légal, est révoltant.

Je me suis rendu sur place pour rencontrer les équipes. Et je peux vous dire que notre technicien, qui est responsable de la coupe, a souffert psychologiquement, il est affecté. Depuis l’évènement, il m’a appelé plusieurs fois, c’est dire que quelque chose le perturbe. Ce type d’action a un effet sur les forestiers, et dans le même temps, une action sur la population. Mettre les gens les uns contre les autres, la société n’en a pas besoin aujourd’hui. Nous ne sommes pas là pour cliver encore plus la société, contrairement à d’autres. Nous sommes ouverts au dialogue avec les citoyens, nous défendons les valeurs de fraternité.

(c) Conflits

Derrière ces actions, assiste-t-on à une stratégie de communication militante ?

Stéphane Viéban : Au-delà du militantisme, ce sont de véritables opérations de communication. Ils construisent leurs vidéos à la méthode des influenceurs en mettant en avant le sensationnel, très souvent même en le fabriquant. Et pour un certain public, qui ignore la réalité de nos forêts, ces méthodes-là fonctionnent. Ce sont eux qui font plus de bruit que nous. Ce sont eux qui choisissent de raconter l’histoire qu’ils veulent bien raconter à la population. De notre côté, nous n’avons rien à taire.

Michel Bazin : Il faut bien comprendre que, dans cette stratégie de communication, la forêt devient un prétexte. C’est un support émotionnel, facile à instrumentaliser. Les images de coupes d’arbres choquent, parce qu’elles sont sorties de tout contexte. Mais ce que ces militants ne montrent jamais, ce sont les forêts qui poussent, les peuplements que l’on accompagne, les essences qu’on introduit pour faire face au changement climatique. Ils se servent du silence naturel de la forêt pour imposer leur propre récit. Nous, forestiers, nous n’avons pas toujours les codes de la communication virale, mais nous avons la connaissance du terrain et l’éthique du long terme. C’est à ça qu’il faut redonner de la place dans le débat public.

Quelles accusations trouvez-vous aujourd’hui les plus injustes ?

Michel Bazin : Il est souvent dit qu’on coupe sans réfléchir, qu’on coupe sans valorisation, avec un but unique de s’enrichir ou sous pression des industriels pour arriver à gagner de l’argent. Tout cela est faux. Notre métier est très méconnu. J’entends parfois parler de déforestation dans nos forêts françaises, ça aussi c’est erroné. Il n’y a pas de déforestation en France.  La forêt a progressé de 5 millions d’hectares en 50 ans et elle croît tous les ans.  Notre action va en faveur de la diversité et de la biodiversité, et non pas le contraire. Et c’est ce qui est, pour moi aujourd’hui, le plus injuste à vivre.

(c) Michel Bazin

Stéphane Viéban : Ce qui me semble profondément injuste, c’est qu’on ne reconnaît pas à la filière son rôle dans la transition écologique. On parle d’économie décarbonée, de matériaux durables, de circuits courts… mais le bois, géré durablement, répond à tous ces critères. Et pourtant, nous devons nous justifier en permanence. On oublie que nos métiers sont encadrés par une réglementation stricte, validés par des plans de gestion, et que, derrière chaque arbre coupé, il y a un projet forestier réfléchi, souvent sur plusieurs décennies. Le vrai scandale, ce ne sont pas nos coupes, c’est de laisser croire que l’inaction serait une solution. Si on laisse la forêt sans gestion, on ne la protège pas, on la met en péril.

Quel message adressez-vous aux pouvoirs publics et à l’opinion ?

Stéphane Viéban : Qu’il faut faire confiance aux véritables experts. Dans la forêt, les ONG extrémistes ne sont pas des experts. Les forestiers qui sont soucieux de cet équilibre environnemental et économique le sont, et le soutien de nos responsables politiques et de l’opinion publique est absolument essentiel.

Michel Bazin : Sans ce soutien, ça sera difficile de trouver des gens qui feront perdurer nos actions et qui vont continuer à travailler en forêt. Si nous n’avons pas ça, c’est la pérennité de nos forêts qui est en danger. Sans forestiers, les forêts sont en danger.

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À propos de l’auteur
Mathilde Legris

Mathilde Legris

Journaliste. Terroirs, histoires, voyages.

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