<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « Tout est perdu, fors l’honneur ! » (1525)

17 avril 2024

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : La défaite de Pavie et la capture de Francois Ier, tapisserie de Bernard van Orley, XVIe siècle. (c) Wikipédia.
Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

« Tout est perdu, fors l’honneur ! » (1525)

par

Cette formule bien connue ne pose aucun problème d’attribution, puisqu’elle est liée au désastre de Pavie, qui valut à François Ier (1494 – 1547) de tomber aux mains de l’empereur Charles Quint. Pourtant, le roi de France ne l’a jamais prononcée ni écrite. 

Article paru dans le numéro 50 de mars 2024 – Sahel. Le temps des transitions.

C’est l’histoire d’un résumé provenant d’une phrase plus complexe, figurant dans une lettre envoyée par François Ier à sa mère, Louise de Savoie [1], pour lui annoncer la défaite : « Pour vous faire savoir comment se porte le reste de mon infortune, de toutes choses ne m’est resté que l’honneur et la vie sauve. » Les historiens postérieurs préférèrent en donner une version plus synthétique : « Tout est perdu, sinon l’honneur » dans une biographie de Charles Quint écrite au XVIIe siècle ; la formule qui nous intéresse apparaît en 1779 dans une œuvre de Legrand d’Aussy. Cet historien, peu sourcilleux sur ses sources et l’exactitude de ses affirmations – il colporta aussi la fable de l’adoubement de François Ier par Bayard –, aurait ainsi donné, selon Didier Le Fur, un petit accent médiéval à la phrase du roi, par l’usage de « fors », qui est déjà un archaïsme au siècle des Lumières, pour mieux associer François au monde et aux usages de la chevalerie et de la culture courtoise. Et sa transmission jusqu’à nous serait aussi liée à son parfum d’anachronisme, comme le sabir moyenâgeux utilisé dans les films Les Visiteurs, voire à une certaine préciosité, sinon pédanterie – et puis, c’est le meilleur, voire le seul exemple disponible du sens et de l’orthographe de la préposition « fors », totalement désuète. 

Tout avait pourtant bien commencé dans cette sixième guerre d’Italie (1521-1525), la deuxième menée par François après sa victoire de Marignan (1515) : Charles Quint ayant été refoulé en Provence, les Français envahissent la Lombardie, prennent Milan puis assiègent Pavie, l’autre capitale du duché. C’est là qu’ils se retrouvent à leur tour assiégés par une armée de secours, qui finit par percer leurs défenses par surprise, dans la nuit du 23 au 24 février 1525. Sur les conseils malavisés de l’amiral de Bonnivet, François Ier refuse de fuir : l’armée subit de lourdes pertes, dont celles de Bonnivet, du maréchal de La Palice ou du grand écuyer Sanseverino, et le roi est capturé. Il restera prisonnier à Madrid pendant près d’un an, le temps de signer un traité (janvier 1526) très défavorable à la France, qui était censée céder ou restituer de nombreux territoires à l’empereur ou à Charles de Bourbon ; ce cousin de la reine mère, ancien connétable de France, fut le véritable vainqueur de Marignan et était tombé injustement en disgrâce et passé au service de Charles Quint – il était d’ailleurs présent à Pavie dans les rangs impériaux. 

Ce serait toutefois réduire le personnage de François Ier de ne voir en lui que l’héritier de la chevalerie, égaré dans une époque désormais « moderne ». À peine libéré, il fit reconnaître le duché de Bourgogne comme inaliénable et renonça à appliquer le traité, même si cela devait prolonger la captivité de ses fils, François et Henri, laissés en otage à Madrid, et entraîner une nouvelle guerre. Car la situation géopolitique avait changé : la France n’était plus isolée, Louise de Savoie ayant rallié à sa cause le pape, l’Angleterre, Florence et Venise qui craignaient la puissance impériale, et la septième guerre d’Italie, commencée en 1527, connut une issue bien meilleure (« paix des Dames », 1529), malgré un nouvel échec en Italie. Le connétable de Bourbon fut tué au cours de cette guerre, le 6 mai 1527, lors d’un assaut contre Rome qui finira par être prise et mise à sac en 1528. Il ne recouvrit donc jamais ses vastes domaines : non seulement le Bourbonnais, mais aussi toute l’Auvergne, le Forez, la Marche, la seigneurie de Beaujeu et la Dombes, terre d’empire. Si l’on ajoute la réunion de la Bretagne (1532), préparée par ses prédécesseurs, qui avaient épousé la duchesse Anne l’un après l’autre, François Ier est ainsi, avec Philippe Auguste et Louis XIV, un des rois qui ont le plus accru le territoire national. Et il n’hésita pas à scandaliser l’Église et l’Europe catholique en s’alliant avec Soliman le Magnifique. Un roi finalement plus machiavélien que chevaleresque… 

[1] Les lecteurs assidus se souviennent que nous avions déjà noté cette propension de François à tout raconter à sa mère – cf. Conflits no 7, p. 37-39 : « Marignan, beaucoup de bruit pour rien ? » (4e trim. 2015).

A lire aussi:

Louise de Savoie, à la tête du royaume. Entretien avec Aubrée David-Chapy

À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.
La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest