<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Un pays, deux monnaies

19 août 2025

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Un pays, deux monnaies

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La Chine est un pays très atypique. Contrairement à d’autres pays, elle dispose de deux banques centrales, la Banque populaire de Chine et l’Autorité monétaire de Hongkong, et de deux monnaies, le renminbi et le dollar hongkongais.

Article paru dans le no58 – Drogues La France submergée

Dans cette note, je souhaite exposer ma vision de la manière dont les autorités chinoises gèrent leur(s) système(s) financier(s).

Commençons par le renminbi. Comme Gavekal l’a souligné à plusieurs reprises au cours des cinq dernières années, la Chine a réorienté la quasi-totalité de ses nouveaux prêts bancaires vers les entreprises industrielles, au détriment de l’immobilier. Cela a permis de créer une puissance industrielle redoutable.

Depuis 2021, la plupart des pays industrialisés ont connu une hausse significative de leurs taux d’inflation. Mais ce n’est pas le cas de la Chine, où les prix industriels ont même baissé.

Selon mes estimations, cela a entraîné une appréciation du taux de parité de pouvoir d’achat du renminbi.

Cette sous-évaluation grotesque de la monnaie chinoise a entraîné une explosion des exportations de produits chinois, l’excédent commercial annuel de la Chine atteignant 1 000 milliards de dollars en 2024 (et 1 100 milliards de dollars sur les douze mois précédant mars). Cela équivaut à environ 3 % du commerce mondial total, ce qui est tout simplement fou.

Logiquement, le produit de toutes ces exportations aurait dû entraîner un afflux massif de liquidités en Chine, créant une augmentation significative de la masse monétaire chinoise, accompagnée d’une augmentation parallèle des réserves de change de la Banque centrale et d’une appréciation de la monnaie chinoise.

Le rôle de Hongkong

Mais rien de tout cela ne s’est produit. C’est là que Hongkong entre en scène. Au cours des cinq dernières années, les dépôts dans le système bancaire hongkongais ont augmenté de plus de 500 milliards de dollars pour atteindre l’équivalent de 2 300 milliards de dollars, dont environ 1 000 milliards en dollars hongkongais et 1 000 milliards en dollars américains.

Ma première conclusion est donc simple : ces dernières années, grâce à leur excédent commercial, les Chinois ont « extrait » au moins 500 milliards de dollars de liquidités du reste du monde. Et ces liquidités ne sont pas retournées en Chine, mais ont été placées dans des dépôts bancaires à Hongkong, où elles sont probablement utilisées pour acheter des bons du Trésor américain.

Selon ce raisonnement, les réserves de change libellées en dollars américains détenues par la Chine sont nettement plus importantes que ne l’indiquent les chiffres officiels. Elles ne s’élèvent pas à 800 milliards de dollars américains, comme l’a révélé le Trésor américain, ni même à 1 700 milliards de dollars américains, comme le laisse entendre la PBoC.

Au contraire, si l’on inclut l’accumulation des dépôts à Hongkong, ainsi que les dépôts en dollars américains dans les banques continentales, le chiffre dépasse largement les 3 000 milliards de dollars américains.

Cette situation est totalement insoutenable. Elle me rappelle la dévaluation du dollar américain par rapport à l’or en 1934, lorsque les États-Unis affichaient un excédent courant. Et comme nous le savons, lorsqu’une situation est insoutenable, elle finit tôt ou tard par prendre fin. Cela nous laisse face à un choix simple.

1/ Soit la Chine poursuit sur la même voie et le monde entre dans une dépression déflationniste comme dans les années 1930.

2/ Soit les autorités chinoises commencent à recycler ces excédents d’épargne dans le reste de l’Asie de l’Est et en Inde, et la région connaîtra alors le plus grand boom des dépenses d’investissement jamais vu.

Pour simplifier, afin de contenir l’inflation intérieure, les autorités chinoises ont construit un barrage pour retenir tous les excédents de liquidités qu’elles ont reçus du reste du monde grâce au commerce. Aujourd’hui, environ 3 000 milliards de dollars se trouvent du mauvais côté du barrage.

Entre ces deux possibilités, je pense que les autorités chinoises ouvriront les vannes afin d’éviter une dépression mondiale. Je pense cela parce que je crois que les banquiers centraux de Pékin et de Hongkong sont compétents, ce que je ne dirais pas de leurs homologues américains ou européens.

Les gestionnaires de fonds doivent donc se poser la question suivante : lorsque les vannes s’ouvriront, où les dollars américains ne se dirigeront-ils pas ?

Pour des raisons politiques, ils ne se dirigeront pas vers les États-Unis.

Pour des raisons économiques, ils ne se dirigeront pas vers l’Europe. Les communistes chinois ne voient aucune raison de subventionner le système communiste européen, certes moins performant, mais concurrent.

Pour des raisons culturelles et historiques, ils ne se dirigeront probablement pas vers le Japon.

À lire aussi : NW42 – Dollar / Chine : Guerre des monnaies, Guerre des empires

Alors, où vont aller ces dollars américains ?

1/ Le marché boursier chinois. Et la hausse des cours des actions chinoises s’accompagnera d’une forte appréciation de la monnaie chinoise, le taux de change du renminbi convergeant vers son taux de parité avec le dollar américain, soit environ 6 CNY pour 1 USD.

2/ Les marchés obligataires à haut rendement en Asie, tels que l’Indonésie et les Philippines. Cela entraînera une hausse significative des prix des actifs locaux à long terme.

3/ Les marchés obligataires et boursiers indiens.

Au vu des récentes fluctuations des taux de change des devises asiatiques par rapport au dollar américain, il semble que certains en Asie aient pris conscience que les eaux commencent à monter.

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À propos de l’auteur
Charles Gave

Charles Gave

Économiste et financier, Charles Gave s’est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).

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