30 ans après l’indépendance, où en est le Kazakhstan ? Entretien avec l’ambassadeur Jean Galiev

5 octobre 2021

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Jean Galiev, ambassadeur du Kazakhstan en France. © Ambassade
Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

30 ans après l’indépendance, où en est le Kazakhstan ? Entretien avec l’ambassadeur Jean Galiev

par

Le Kazakhstan commémore les 30 ans de son indépendance. Vaste pays, riche en hydrocarbures et jouissant d’une position stratégique de premier plan en Asie centrale, il demeure mal connu par le public français. Entretien avec SEM Jean Galiev, Ambassadeur du Kazakhstan en France.

Entretien réalisé par Jean-Baptiste Noé et Louis-Marie de Pontbriand

Au début des années 1990, le Kazakhstan a retrouvé son indépendance. Depuis plus de trente ans maintenant, votre pays a pu tisser des liens solides avec la France. Quel bilan en faites-vous ? Quels sont les défis que nos deux pays devront relever afin de faire prospérer cette union ?

La France a été un des premiers pays à reconnaître l’indépendance et la souveraineté du Kazakhstan. La constitution de la Cinquième République a d’ailleurs servi de modèle pour la rédaction de la première Constitution kazakhstanaise. La France a également été le premier pays de l’Union européenne à établir avec le Kazakhstan un partenariat stratégique.

En octobre 2018, les présidents Noursoultan Nazarbaïev et Emmanuel Macron, lors de leur rencontre en marge du Sommet ASEM à Bruxelles, ont identifié trois nouveaux domaines prioritaires pour les années à venir : l’agriculture, les énergies renouvelables et le développement du numérique. Ces orientations ont servi de base à la Feuille de route pour la coopération économique kazakhstano-française jusqu’en 2030, signée à Nur-Sultan en mai dernier, qui envisage un certain nombre de projets concrets que nous souhaitons réaliser dans les années à venir.

À ce jour, les investissements des entreprises françaises dans l’économie de notre pays ont dépassé 17 milliards de dollars. Notre coopération ne se limite pas à l’exploitation des sous-sols, elle couvre également la production de barres de titane, d’hélicoptères, de satellites, de locomotives et de produits laitiers par exemple.

À cet égard, je voudrais souligner que les principaux vecteurs du développement économique identifiés par le Président Kassym-Jomart Tokayev dans son Discours sur l’état de la Nation prononcé le 1er septembre dernier, c’est-à-dire les grands chantiers économiques kazakhstanais des prochaines années, pourraient très bien être réalisés avec la participation des entreprises françaises. La France, pourvue de technologies avancées, pourrait notamment être un partenaire de premier plan dans les projets de construction d’une centrale nucléaire, de modernisation de la gestion de l’eau, de modernisation des technologies agricoles et des équipements de l’industrie agroalimentaire, ou enfin dans les projets de développement des énergies alternatives. Tout cela, bien sûr, doit être étudié et négocié avant toute prise de décision.

À lire également

Asie centrale : l’appétit des puissances. Entretien avec Catherine Poujol

Depuis l’indépendance, le Kazakhstan s’est imposé en tant que pays-médiateur à la recherche du compromis dans de nombreux conflits politiques, tels que le programme nucléaire iranien, l’Afghanistan, le dialogue intra-syrien. Le Kazakhstan est également auteur de plusieurs initiatives internationales. Quelles sont les priorités de la diplomatie multilatérale du Kazakhstan ?

 

La construction d’un monde exempt d’armes nucléaires reste la priorité absolue du Kazakhstan, incontestablement reconnu en tant que leader mondial en matière de désarmement et de non-prolifération nucléaires. La renonciation volontaire et complète au quatrième arsenal mondial de missiles nucléaires en 1991 nous a donné le droit moral d’être à l’avant-garde du mouvement global pour l’élimination d’armes nucléaires.

Le Kazakhstan a longtemps été au centre du polygone nucléaire, entre l’URSS, la Chine et les pays occidentaux, ce qui a beaucoup inquiété les populations. D’où cette volonté aujourd’hui de mettre un terme au nucléaire militaire, tout en développant le nucléaire civil.

Le Kazakhstan, dont la diplomatie multi-vectorielle a plusieurs fois prouvé son efficacité, est souvent appelé à jouer le rôle de médiateur dans de nombreux conflits. Nous nous efforçons d’aider les parties à trouver des points d’accord communs, notamment, en proposant notre capitale Nur-Sultan (anciennement Astana) comme une plate-forme de dialogue et de paix.

Nur-sultan, capitale du Kazakhstan. CC BY-SA 2.0

La Russie et le Kazakhstan ayant tissé de nombreux accords (celui de l’Organisation de coopération de Shanghai de l’Organisation du traité de sécurité collective et du Conseil de partenariat euro-atlantique), comment voyez-vous l’avenir de vos relations avec ce pays ? Ces accords sont-ils des reliquats de l’empire soviétique ou bien s’inscrivent-ils dans une réelle volonté d’union avec Moscou ?

Les relations entre le Kazakhstan et la Russie se développent progressivement dans le cadre d’un partenariat stratégique et d’un dialogue politique de confiance. Dans un monde dynamique marqué par une multiplicité de défis et de menaces globales, la Russie est pour le Kazakhstan un partenaire stable et prévisible.

La Russie est le premier partenaire commercial et économique du Kazakhstan. Les deux pays sont reliés par la plus longue frontière terrestre au monde, 7 500 kilomètres, et la coopération économique dans les régions frontalières se développe activement dans les domaines énergétique, scientifique et écologique. C’est très clairement le cas dans les secteurs de l’espace, du transport, de la logistique, de l’information et de la communication, ainsi que dans l’industrie de manière générale.

La dynamique de notre coopération dans le cadre de l’Union économique eurasienne reste élevée. Quant à nos interactions sur la scène internationale, elles constituent une composante importante de notre relation bilatérale puisque nous coopérons au sein de l’ONU, de l’OTSC, de l’OCS, de l’OSCE et d’autres organisations internationales et régionales.

Région d’Almaty, Kazakhstan. Crédit photo : Unsplash

De la même manière, comment voyez-vous les relations sino-kazakhstanaises? Dans quelle mesure les relations tissées depuis l’indépendance et plus encore depuis la mise en place de la nouvelle route de la soie constituent-elles une opportunité pour le Kazakhstan de s’imposer comme un partenaire nécessaire pour la Chine ?

Les relations entre le Kazakhstan et la Chine ont des racines historiques très anciennes. Depuis l’Antiquité, les deux pays, situés sur les itinéraires de la Grande Route de la soie, ont activement développé des liens commerciaux et culturels. Cet esprit historique de relations amicales et de confiance a été préservé et se traduit aujourd’hui dans un partenariat stratégique global éternel. En tant que voisin de la deuxième plus grande économie du monde, le Kazakhstan exploite avec succès le potentiel commercial et celui d’investissement chinois que ce soient dans les secteurs industriels ou agricoles.

Notre coopération s’exprime puissamment dans le cadre de la conjonction entre le nouveau programme économique du Kazakhstan Nourly Jol (voué au développement des infrastructures routières et de transport) et l’initiative chinoise de la Nouvelle Route de la soie One Belt, One Road. Le Kazakhstan tire largement parti de sa situation géographique favorable en tant que plate-forme de transport et de logistique, permettant d’accroître le volume du trafic de marchandises de la Chine vers la Russie, les pays d’Asie centrale et de la région caspienne, et l’Europe. Environ 80% de l’ensemble du trafic commercial de la Nouvelle Route de la soie passe aujourd’hui par le Kazakhstan.

Dans le cadre de cette initiative, la coopération entre le Kazakhstan et la Chine ne se limite pas au secteur des transports, mais comprend également des projets conjoints dans les domaines de l’industrie automobile, de l’agriculture, de la chimie, des mines, du pétrole et du gaz, de la construction, de la métallurgie, de l’industrie légère, des technologies numériques et de la production d’engrais par exemple.

Pensez-vous aussi pouvoir développer les liens culturels et touristiques avec la France et les pays d’Europe ?

Le Kazakhstan mérite d’être mieux connu en France et en Europe. Nous sommes encore trop souvent considérés comme une simple « ex-république d’URSS » alors que le pays fête cette année le 30e anniversaire de son indépendance. D’ailleurs, je crois qu’il est temps de laisser aux oubliettes cette connotation obsolète qui révèle des associations incongrues voire péjoratives et répulsives. Les nouvelles générations, nées après 1991, n’ont pas connu l’URSS. Le développement économique et humain des trente dernières années fait aujourd’hui du Kazakhstan un pays singulier d’Asie centrale où le niveau de vie est élevé et les perspectives de développement pleines de promesses. Connaissant la passion française pour le voyage, j’espère vivement que de plus en plus de Français viendront visiter le Kazakhstan pour découvrir sa culture ancienne, ses paysages sublimes et l’hospitalité touchante des populations des steppes. Ils seront agréablement étonnés par sa modernité et, dans leurs esprits, il n’y aura pas de place pour des idées préconçues ou imposées. Construisons ensemble ces ponts culturels entre nos deux pays et peuples !

Photo de la steppe. Crédit photo : Unsplash

À lire également

Entretien – Le Kazakhstan : faire face à l’apétit des grandes puissances

Mots-clefs :

À propos de l’auteur
Revue Conflits

Revue Conflits

Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.
La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest