Tandis que les nations européennes peinent à faire entendre leur voix au chapitre des puissances, le président américain ne dévie pas de sa trajectoire et cherche à redéfinir les positions des États-Unis à l’égard de la Russie et de la Chine dans le cadre d’un agenda stratégique resserré, faisant une place aux enjeux cruciaux de limitation des armements nucléaires.
Trois priorités déterminent l’action du président des États-Unis.
La lutte hégémonique contre la Chine
La hâte du président Trump à mettre un terme aux conflits du Proche-Orient et de l’Ukraine témoigne, d’une part, d’un souci de rationalisation des engagements extérieurs américains, qu’il entend rapporter strictement au critère de l’intérêt national. Elle tient, d’autre part, à la volonté américaine de faire pièce à l’ascension de la Chine, en empêchant l’émergence dans la zone Indopacifique d’une aire de prospérité dont elle serait le « milieu ». Pour ce faire, si l’on se réfère à Elbridge Colby, actuel sous-secrétaire à la politique de défense, l’administration Trump pourrait mettre en œuvre une « stratégie de déni » ou de contention, consistant, non à affronter directement la Chine, mais à susciter, dans son voisinage, une coalition lui faisant équilibre, composé, par exemple, de l’Inde, du Japon, de l’Australie, voire du Vietnam communiste.
Les élections de mi-mandat de 2026
Sur le plan interne, Donald Trump a déjà en tête l’échéance des élections de mi-mandat, prévues en novembre 2026. Il sait qu’il ne pourra mener ses projets à leur terme, en particulier sur la scène internationale, si un Congrès rétif s’y oppose. Le président Trump se souvient que le Congrès, en renforçant les sanctions infligées à la Russie par le Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA) adopté à l’été 2017, avait singulièrement réduit ses marges de manœuvre pour amender la relation des États-Unis avec Moscou et empêcher son rapprochement avec Pékin[1].
Les contraintes du calendrier nucléaire
Donald Trump est également soucieux d’avancer vite sur la question ukrainienne pour concrétiser, avec la Russie et, si possible, avec la Chine, un nouvel accord de limitation des armements nucléaires.
L’accord en vigueur en ce domaine est le traité New START signé le 8 avril 2010 par les présidents Barack Obama et Dmitri Medvedev. Il s’applique depuis le 5 février 2011. Aux termes de son article II, les États-Unis et la Russie s’engagent à ne pas déployer plus de 700 vecteurs, missiles balistiques intercontinentaux, missiles mer-sol balistiques stratégiques et bombardiers stratégiques ni plus de 1 550 têtes nucléaires. Bien que la Russie ait décidé en 2023 de suspendre la communication de données sur les armements dont elle dispose, elle a, semble-t-il, continué de respecter globalement les limites fixées par le traité. Valable pour une durée initiale de dix ans, ce traité a été prorogé de cinq ans, en application de son article XIV, soit jusqu’au 5 février 2026.
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Bien que très peu d’observateurs l’évoquent, cette négociation est évidemment fondamentale pour les États-Unis, mais aussi pour la stabilité du monde, car, en l’absence d’accord entre les principales puissances nucléaires, le nombre de têtes et de lanceurs dont elles disposent respectivement ne serait plus régulé conventionnellement et une course dangereuse aux armements ne manquerait pas d’être relancée. Une telle évolution conduirait dès lors l’Amérique à investir massivement dans la modernisation et l’étoffement de ses forces stratégiques pour être de taille à dissuader et le géant atomique russe et une Chine en pleine affirmation nucléaire, qui détiendrait déjà quelque 600 ogives et pourrait en posséder 1000 vers 2030, selon le Pentagone.
Intervenant par visioconférence devant le Forum économique de Davos, le 23 janvier 2025, Donald Trump a évoqué son souhait d’une « dénucléarisation » négociée avec la Russie et avec la Chine. Il soulignait que « d’énormes sommes d’argent [étaient] dépensées pour le nucléaire » et que la capacité destructrice des armes nucléaires était « quelque chose que l’on ne veut même pas évoquer aujourd’hui[2]« . Il reprenait, ce jour-là, l’idée des négociations tripartites sur la limitation des armements nucléaires qu’il avait lancées en 2020, mais n’avait pas réussi à conclure avec la Russie et avec la Chine.
Diminuer les coûts du nucléaire
Le président Trump devait de nouveau évoquer cette perspective devant des journalistes, le 13 février 2025. Il s’est explicitement déclaré désireux d’entamer des discussions avec la Russie et avec la Chine, « dès que nous aurons tout réglé[3] » au Proche-Orient et en Ukraine. Il espère ainsi obtenir une diminution de moitié des coûts des arsenaux nucléaires[4].
L’inclusion de la Chine dans cet accord lui paraît indispensable, dès lors qu’il la juge susceptible de devenir une grande puissance nucléaire et même si certains experts estiment qu’elle ne pourrait se hisser au niveau des États-Unis et de la Russie que dans un délai de vingt ans[5].
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Si ces négociations tripartites incluant la Chine n’aboutissaient pas, la nécessité pour les États-Unis et la Russie de déployer proportionnellement davantage d’ogives afin de dissuader également Pékin pourrait vraisemblablement conduire Donald Trump à proposer à Moscou un accord bipartite permettant d’envisager, par exemple, pour une période de cinq ans prorogeables une fois, une augmentation temporaire du nombre de têtes déployées autorisées. L’on préférerait ainsi, à une absence d’accord, propice à tous les débordements, la conclusion d’un traité relâchant temporairement et partiellement l’encadrement du nombre de têtes déployées, dans l’espoir de parvenir ultérieurement à un accord liant les puissances nucléaires les plus significatives.
Le calendrier resserré qui s’impose au président Trump tant sur le plan interne qu’au plan externe explique en grande partie la hâte mâtinée de brutalité dont il fait montre pour parvenir aux objectifs qu’il s’est fixés et multiplier les réalisations de son second mandat. Cette forme d’urgence stratégique éclaire également d’un autre jour la hiérarchisation rude qu’il établit entre les États dotés des moyens de puissance les plus importants, avec lesquels il souhaite conduire une grande politique, ayant une dimension systémique, et ses autres interlocuteurs sur la scène mondiale, avec qui il entretient des relations, à ses yeux, subsidiaires.
[1]H.R.3364 – Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act, 115th Congress (2017-2018), Washington ; https://www.congress.gov/bill/115th-congress/house-bill/3364/text
[2] President Donald J. Trump, « Remarks by President Trump at the World Economic Forum » via Teleconference, The White House, Washington, 23 janvier 2025 ; https://www.whitehouse.gov/remarks/2025/01/remarks-by-president-trump-at-the-world-economic-forum/ :
« Tremendous amounts of money are being spent on nuclear, and the destructive capability is something that we don’t even want to talk about today, because you don’t want to hear it. It’s too depressing. »
[3]Guardian staff and agencies in Washington, « Trump proposes nuclear deal with Russia and China to halve defense budget », The Guardian, Londres, 13 février 2025 ; https://www.theguardian.com/us-news/2025/feb/13/trump-nuclear-russia-china : « Trump said he would look to engage in nuclear talks with the two countries once “we straighten it all out” in the Middle East and Ukraine. »
[4]Ibid. : “One of the first meetings I want to have is with President Xi of China, President Putin of Russia. And I want to say: ‘Let’s cut our military budget in half.’ And we can do that. And I think we’ll be able to.”
[5]Jon B. Wolfsthal, « Trump wants a nuclear deal. Can he be the ultimate negotiator? », Bulletin of the Atomic Scientists, Chicago, 31 janvier 2025 ; https://thebulletin.org/2025/01/trump-wants-a-nuclear-deal-can-he-be-the-ultimate-negotiator/ : « But it is very unlikely that China will agree to any such talks until its nuclear build-up reaches some parity with the United States and Russia, something that will take perhaps two decades. »