Enlisée dans un conflit interminable avec le M23, soutenu par Kigali, la RDC multiplie les initiatives diplomatiques et militaires, sans véritable cohérence stratégique. Félix Tshisekedi, engagé dans un bras de fer sur plusieurs fronts, semble pris au piège d’une diplomatie erratique qui, loin de renforcer sa position, l’isole de plus en plus. Les négociations de paix qui s’amorcent -longtemps refusées par Félix Tshisekedi- vont-elles changer la donne ? Ou bien brouiller encore plus le jeu de Kinshasa ?
Le constat est brutal : Kinshasa perd du terrain. Après la chute de Goma et Bukavu, les Forces armées congolaises (FARDC) accumulent les revers, incapables de contenir l’offensive du M23. Manque de coordination, corruption endémique, logistique défaillante… les lacunes structurelles de l’armée congolaise éclatent au grand jour. Les revers militaires s’accompagnent d’une crise humanitaire sans précédent. Selon les Nations unies, plus de 7 millions de personnes ont été déplacées par les combats.
En réponse, le gouvernement congolais opte pour une fuite en avant militariste. Mobilisation générale, recrutement de mercenaires étrangers, renforcement du soutien de la SADC… autant de mesures qui peinent pourtant à inverser la dynamique du conflit. Le pari sud-africain ? Un coup d’épée dans l’eau. Pretoria a certes envoyé des troupes sous l’égide de la SADC, mais avec des mandats limités et des intérêts divergents. In fine, c’est toutes les forces de la SADC qui ont annoncé leur départ le 13 mars. Quant au Burundi, déjà impliqué sur le terrain, et au Tchad, récemment sollicité, leur engagement reste peu impactant pour le premier et improbable dans le cas de N’Djamena.
En mauvaise posture, Kinshasa est contrainte de quitter sa ligne dure concernant le M23. En effet jusqu’au 13 mars, Félix Tshisekedi refusait officiellement toute négociation avec le groupe armé. Le président congolais opère un revirement brusque en acceptant une rencontre – en refusant explicitement de parler de négociations – le 18 mars, à Luanda en Angola.
Les discussions de Luanda sont annulées à la dernière minute après le refus du M23 d’y participer, préférant faire connaître sa position par voie de communiqué. Le groupe rebelle, qui contrôle de vastes pans de territoire dans l’Est, a réaffirmé être « en faveur » d’une trêve, tout en affirmant continuer à répondre aux « provocations » de l’armée congolaise.
Le 18 mars, c’est finalement à Doha, au Qatar, qu’une rencontre surprise a lieu entre les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame, sous médiation de l’émir Tamim ben Hamad Al-Thani. Bien que cette réunion ait donné lieu à un communiqué conjoint sur l’« engagement de toutes les parties » en faveur d’un cessez-le-feu, aucune mention directe du M23 n’y figure. Et pour cause : aucune trêve effective n’a été instaurée à ce jour.
D’ailleurs, dès le lendemain, le M23 s’empare d’une nouvelle localité, Walikale, ville stratégique proche de riches gisements d’or et d’étain. L’entreprise Alphamin a évacué son personnel de la mine voisine. Cette prise de territoire confirme l’absence de cessez-le-feu sur le terrain et souligne les limites de l’initiative qatarie.L’action du M23 illustre un fait nié par la RDC et peu commenté à l’étranger : le groupe poursuit un agenda qui lui est propre, indépendamment de l’appui militaire du Rwanda. C’est là un des points d’achoppement majeurs de la crise.
Diplomatie erratique et sans effets majeurs
Alors que l’Union africaine et l’Angola tentent de structurer une réponse concertée, Tshisekedi semble privilégier une diplomatie occidentale tous azimuts. Le 29 janvier, il snobe un sommet virtuel de l’EAC présidé par William Ruto. Le 8 février, il sèche une réunion EAC-SADC en Tanzanie. Le 13 février, alors que l’Union africaine réunit son Conseil de Paix et de Sécurité, il préfère s’envoler pour la Conférence de Munich sur la Sécurité, où la RDC ne figure même pas à l’agenda.
Le pari de Tshisekedi ? Obtenir le soutien des États-Unis et de l’Union européenne en intensifiant le lobbying contre Kigali. Résultat : Washington et Bruxelles restent prudents, préférant pousser à une désescalade. Même le Parlement européen, qui a adopté une résolution condamnant le Rwanda à une écrasante majorité (443 voix pour, 4 contre), ne parvient pas à forcer la main de la Commission européenne, bien plus réticente. Commission, Parlement et Etats européens avancent de fait en ordre dispersé sur le dossier. Certes, la réunions des 27 ministres des affaires étrangères de l’UE ont adopté un nouveau train de sanctions le 17 mars à l’encontre de responsables rwandais et du M23. Cela mènera t’il la Commission à une suspension des accords miniers avec le Rwanda ? C’est une autre histoire….
En outre, misant sur des figures controversées comme Thierry Mariani pour plaider la cause congolaise en Europe, Kinshasa ne rassemble pas que des partisans en Europe. D’autant plus que la RDC ménage également ses soutiens auprès de La France insoumise. Avec pour effet de créer des tensions entre ses propres soutiens tout en incitant le Président Macron à ne pas s’aligner sur ses opposants. Pendant ce temps, Paul Kagame avance avec plus de prudence. Kigali privilégie les négociations discrètes et conserve des relais solides, évitant une internationalisation du conflit qui pourrait se retourner contre lui. L’exemple de la réunion de Doha est d’ailleurs un cas représentatif où le Rwanda parvient à temporiser juste après une salve de sanctions.
Certes, en acceptant de négocier avec le M-23, Kinshasa semble adopter une posture plus conforme à celle attendue par l’UA et l’Angola. Elle pourrait aussi être interprétée comme un échec de son activisme diplomatique auprès des puissances occidentale. Il n’en demeure pas moins que cette négociation pourrait bien rebattre les cartes diplomatiques, car la RDC a en effet l’opportunité de se poser comme un acteur moins belliciste. Ce qui resserrerait probablement ses liens avec l’UA et l’Europe. Une perspective loin d’être acquise – d’un côté comme de l’autre- vu le niveau de polarisation des parties prenantes, comme en témoigne les communiqués rwandais et congolais de l’« après Doha » totalement contradictoires. Retour à la case départ donc.
Washington, Pékin, Moscou : qui pour répondre à Tshisekedi ?
Faute de garanties occidentales, Tshisekedi tente de sécuriser d’autres pistes. Abou Dhabi, Pékin, Moscou, N’Djamena : toutes les options sont sur la table. Mais si Kinshasa espère un alignement rapide, la réalité est plus complexe.
Le Tchad hésite. Le 18 février, un émissaire congolais s’est rendu à N’Djamena pour solliciter une aide militaire. Une tentative qui rappelle l’engagement tchadien en 1999 aux côtés de Laurent-Désiré Kabila. Mais Mahamat Idriss Déby Itno, déjà aux prises avec ses propres défis sécuritaires, ne semble pas prêt à s’engager dans un conflit aussi long qu’incertain.
De son côté la Russie temporise. Certes, un accord de défense a été signé entre Kinshasa et Moscou, mais la priorité du Kremlin reste l’Ukraine. La RDC n’est qu’un partenaire secondaire dans une politique africaine déjà focalisée sur le Sahel. La Chine avance à pas mesurés. Pékin ne veut pas s’aliéner Kinshasa, mais ses intérêts miniers en RDC la placent dans une position délicate car le Rwanda est aussi un acteur clé dans ses chaînes d’approvisionnement. En clair, si Tshisekedi espérait un soutien franc de Pékin, il risque d’être déçu.
Là encore, la RDC apparait bien seule, au pied du mur, contrainte de discuter avec le M23 mais sans assumer des négociations sur les ressorts profonds de la crise pourtant réclamées par ces derniers.
Mines contre armes : le dernier coup de poker
Face aux incertitudes diplomatiques, le président Tshisekedi joue sa dernière carte : le cobalt et le coltan congolais. La proposition ? Offrir aux États-Unis et à l’Europe un accès direct aux minerais stratégiques du pays en échange d’un soutien militaire plus affirmé contre le M23 et Kigali.
Dans une interview au New York Times le 22 février, Tshisekedi a évoqué explicitement cette stratégie, qui a été ensuite précisée par plusieurs sources proches de la présidence. Des démarches officielles ont été entreprises à Washington, notamment par André Wameso, directeur de cabinet adjoint, et par le lobbyiste Aaron Poynton, proposant aux Américains des droits exclusifs sur certains gisements, en échange d’un appui sécuritaire.
Ce partenariat proposé inclut également la construction d’un port en eau profonde et la création d’un stock stratégique commun de minerais, avec la promesse d’un contrôle opérationnel direct pour les entreprises américaines.
Une approche directement inspirée de l’Ukraine, où le président Zelensky négocie l’accès aux matières premières en échange d’un soutien croissant occidental. Mais l’analogie a ses limites. Contrairement à Kiev, Kinshasa n’a pas une relation claire avec ses partenaires occidentaux. Et surtout, le secteur minier congolais est largement dominé par les entreprises chinoises. Washington et Bruxelles accepteraient-ils de s’impliquer dans un marché où Pékin contrôle déjà une part substantielle des ressources ? Par ailleurs, cette proposition laisse perplexe à Washington par ses contours flous.
Négociations de paix : quitte ou double ?
En tentant de ratisser trop large sans ligne claire, Félix Tshisekedi se fragilise. Trop centré sur une logique de confrontation et de demi-négociation, il peine à trouver des soutiens déterminants. Le M23 et Kigali, à l’inverse, capitalisent sur une approche plus structurée, panafricaine et jouent sur lassitude de la communauté internationale à l’égard de la RDC.
Sur le terrain militaire, la RDC est en échec et c’est probablement là sa principale faiblesse : le champ de bataille commande. Sur le front diplomatique, elle peine à s’imposer. Et sur le plan économique, l’incertitude croissante décourage les investisseurs. Alors que le conflit s’enlise, Tshisekedi doit choisir : persister dans une guerre qu’il ne contrôle plus, ou revoir sa stratégie diplomatique en intégrant définitivement l’incontournable réalité du rapport de forces. Mais le temps joue contre lui.
Faute d’une inflexion claire, Kinshasa risque de se retrouver plus isolée que jamais, enlisée dans un bourbier militaire et diplomatique dont elle pourrait ne jamais se relever. Dans cette optique le retrait du M23 des négociations de Luanda – qui s’annonçaient capitales – n’est finalement qu’une victoire diplomatique « tactique » du président congolais qui sera, in fine, sans lendemain sur le terrain. De même, la réunion de Doha a constitué une tentative de conciliation internationale précieuse, mais en l’absence d’engagement vérifiable du M23, de garantie quant à l’application d’un cessez-le-feu et de signes tangibles de bonne volonté de part et d’autre, cette initiative demeure fragile.
Si une solution négociée doit aboutir, les deux partis doivent s’entendre sur des préalables clairs assorties de garanties mutuelles entre l’Etat congolais et le M23. C’est probablement la seule issue.
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