Corée du Sud : une crise institutionnelle prévisible

9 avril 2025

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Corée du Sud : une crise institutionnelle prévisible

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Le 4 avril dernier, la Cour Constitutionnelle sud-coréenne a confirmé la destitution du président Yoon Suk-yeol, après sa tentative de contrôle par la loi martiale en décembre 2024. L’élection anticipée pour élire un nouveau président se tiendra dans les deux mois suivants cette décision.

Le 4 avril dernier, la Cour Constitutionnelle sud-coréenne a confirmé à l’unanimité la procédure de destitution initiée par le parlement après que Yoon Suk-yeol a tenté de prendre le contrôle du pays en déclarant la loi martiale le 3 décembre 2024. Le président conservateur désormais définitivement destitué, il appartient au peuple sud-coréen de désigner son successeur dans une élection anticipée qui se tiendra dans les deux mois à compter de cette décision.

Cette élection est très largement suivie et commentée, notamment en raison de la personnalité du favori des sondages, le très controversé Lee Jae-myung, leader du Parti démocrate, le parti libéral d’opposition. Cette situation de crise, bien plus qu’une péripétie secouant la vie politique du pays du matin calme, constitue une nouvelle illustration du déséquilibre qui perturbe le fonctionnement d’une démocratie encore jeune.

Yoon Suk-yeol : de la loi martiale à la destitution

Le 3 décembre 2024, le président conservateur Yoon Suk-yeol déclarait la loi martiale d’urgence afin de surmonter le blocage d’un parlement d’opposition qu’il accusait de sympathiser avec la Corée du Nord. Cette annonce visant alors à éradiquer « les forces antiétatiques pro-Corée du Nord »[1] fut suivie de l’ordre donné aux troupes de se déployer à l’Assemblée nationale pour procéder à l’arrestation des principales figures de l’opposition. Aussitôt, le général Park An-soo annonçait que « toutes les activités politiques, y compris celle de l’Assemblée nationale et des partis politiques sont interdites »[2].

La réaction populaire ne se fit pas attendre et donna lieu à un chaos indescriptible devant l’Assemblée nationale où 190 députés sur les 300 que compte l’institution parvinrent à se réunir pour voter in extremis la suspension de la loi martiale. Quelques heures plus tard, Yoon Suk-yeol annoncera se plier à cette demande en levant l’état d’urgence et en ordonnant le retrait des troupes. Ce volte-face n’a cependant pas empêché l’Assemblée de voter la destitution du président le 14 décembre 2024 avec 204 voix en faveur de la décision ; 12 députés du camp présidentiel, le People Power Party, ajoutant leur vote à celui des 192 députés de l’opposition. C’est ainsi que, le vendredi 4 avril 2025, Yoon Suk-yeol est devenu le deuxième président conservateur à être destitué.

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Cette décision de la Cour Constitutionnelle, si elle a le mérite de clore ce chapitre rocambolesque qui aura duré cinq mois, ne rend pas l’avenir politique immédiat de la jeune démocratie sud-coréenne plus lisible pour autant. Cela est en grande partie dû à la personnalité très controversée du favori des sondages. Défait sur le fil lors de la présidentielle de 2022, Lee Jae-myung avait tout de même réussi à se ménager une certaine influence en remportant un siège de député et en prenant le contrôle du Parti démocrate. À la tête de ce dernier, il mènera une politique d’opposition farouche contre la minorité conservatrice à l’Assemblée qui conduira au blocage parlementaire ayant incité Yoon Suk-yeol à céder à la tentation de la loi martiale.

Lee Jae-myung ne compte cependant pas que des soutiens au sein de sa propre formation politique. La vieille garde du parti se montre en effet peu enthousiaste quant à son style jugé populiste et trop combatif, mais se dit surtout craintive en raison des accusations de corruption qui pèsent sur lui. Lee est en effet au cœur de plusieurs affaires impliquant notamment des transferts de fonds frauduleux vers la Corée du Nord[3].

La plus médiatique de ces affaires pourrait avoir pour conséquence de le rendre inéligible pour une durée de 10 ans. Le leader de l’opposition est ainsi accusé d’avoir violé les lois électorales en 2021 lors d’un débat télévisé au cours duquel il aurait propagé de fausses informations. Reconnu coupable en novembre 2024, il a été relaxé en appel le 26 mars 2025 avant que le procureur ne décide de faire appel et de porter l’affaire devant la Cour Suprême. La tenue de cette élection présidentielle anticipée est une aubaine pour Lee Jae-myung autant qu’un épisode de plus dans l’histoire mouvementée de la démocratie sud-coréenne.

Un système démocratique déséquilibré

La transition démocratique de la Corée du Sud a eu lieu en 1987, soit sept ans après le soulèvement de Gwangju[4] qui occasionna la mort de 160 personnes ainsi que la disparition de 70 autres. Depuis cette date, trois présidents ont fait l’objet d’une procédure de destitution, dont deux ont abouti à la destitution effective prononcée par la Cour Constitutionnelle. La présidente Park Geun-hye fut ainsi la première à être destituée en 2017 à la suite d’une affaire de corruption[5]. Des preuves découvertes ensuite sont venues attester que Madame Park avait elle aussi envisagé un recours à la loi martiale[6].

Une telle récurrence des procédures de destitution traduit une instabilité qui trouve sa source dans la structuration de la démocratie sud-coréenne. Cette structuration découle à la fois de l’héritage dictatorial du pays avec un exécutif fort, mais également d’une intense polarisation politique et sociale qui se traduit dans les urnes et dans les relations entre le président et les députés.

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La société sud-coréenne souffre d’une division majeure entre le Parti conservateur qui favorise une collaboration étroite avec les États-Unis et le Parti démocrate qui a tendance à plaider pour un rapprochement avec Pyongyang. Par conséquent, les libéraux sont souvent accusés de complaisance envers la Corée du Nord quand les conservateurs se voient reprocher leur impérialisme supposé du fait de leur proximité avec Washington. Traditionnellement lié à la politique étrangère, ce clivage politique s’est accentué en raison de crispations autour d’enjeux désormais internes et sociétaux, comme le féminisme, la religion ou encore la sexualité. L’électorat est également séparé par un profond fossé entre générations.

Ces divisions sont incarnées par les deux grands partis du pays qui dominent très largement le paysage politique. Seuls 15% des membres de l’Assemblée nationale étant élus sur la base d’un mode de scrutin proportionnel, il y a de ce fait peu de place pour les partis plus modestes et les renouvellements idéologiques qu’ils pourraient apporter ; ce qui conduit à une stagnation des clivages. Cet enracinement de la polarisation se traduit par une relation dysfonctionnelle entre la présidence et le parlement.

Le président sud-coréen est investi de pouvoirs très étendus dans divers domaines, tels que la conduite de la politique étrangère du pays ou encore les décisions en matière budgétaire. Ne pouvant prétendre qu’à un unique mandat de cinq ans, les présidents qui se succèdent peuvent être tentés de mettre en œuvre les politiques de leur parti sans tenir compte des préoccupations de l’opposition. Parallèlement, les élections législatives de mi-mandat résultent souvent en des situations de blocage qui inciteront davantage le pouvoir exécutif à passer en force. Yoon Suk-yeol a ainsi utilisé son droit de veto à 21 reprises depuis son élection en mai 2022[7].

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Ces fréquentes situations de blocage conduisent à deux écueils récurrents et problématiques pour la stabilité des institutions et la continuité des politiques menées. D’un côté, l’opposition a souvent recours à une procédure de destitution pensée à l’origine comme un garde-fou plutôt que comme un outil politique. De l’autre, le pouvoir exécutif peut être tenté de surmonter les situations de blocage en passant de force. Le recours de Yoon Suk-yeol à la loi martiale en est la parfaite illustration. Les spécialistes des deux camps s’accordent à dire qu’une modification de la Constitution s’impose. Reste toutefois à déterminer qui du Président ou de l’Assemblée nationale verrait ses prérogatives diminuées ou davantage encadrées.

[1] https://www.wsj.com/opinion/south-korea-martial-law-yoon-suk-yeol-3d86aa1c?page=1

[2] https://www.lefigaro.fr/international/la-proclamation-de-la-loi-martiale-plonge-la-coree-du-sud-dans-l-inconnu-20241203

[3] https://www.wsj.com/world/asia/south-koreas-impeached-president-is-removed-from-office-over-martial-law-decree-f6e9ecb0?page=1

[4] https://guides.loc.gov/south-korean-democratization-movement/kwangju-uprising

[5] https://www.nytimes.com/2017/03/09/world/asia/park-geun-hye-impeached-south-korea.html

[6] https://foreignpolicy.com/2024/12/09/yoon-coup-martial-law-south-korea-constitutional-chaos/

[7] https://magazine.thediplomat.com/2025-04/will-lee-jae-myung-rise-from-south-koreas-political-chaos

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Edouard Chaplault-Maestracci

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