<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La Corée du Sud, une industrie de défense émergée en Indopacifique

25 avril 2023

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Le sous-marin sud-coréen Shin Chae-ho, lancé en 2021 C: Yonhap News/NEWSCOM/SIPA
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La Corée du Sud, une industrie de défense émergée en Indopacifique

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Au cours de la décennie 2010, la Corée du Sud peut se targuer d’avoir intégré le cercle des dix principaux exportateurs d’armement, très largement dominé par les pays occidentaux. Assurant la maîtrise d’œuvre des grands programmes nationaux d’équipements, les industriels coréens franchissent une nouvelle étape durant cette période en se déployant à l’export, remportant de premiers contrats significatifs auprès d’États clients étrangers, notamment en Indopacifique.

Sur la période 2010-2020, les ventes export représentent un montant annuel moyen de 2,4 milliards de dollars, avec un pic en 2015 à 3,5 milliards, selon les chiffres officiels du gouvernement sud-coréen. Les perspectives pour la décennie en cours laissent suggérer une consolidation de la place de la Corée du Sud parmi les plus grands exportateurs mondiaux. À titre d’exemple, pour 2021, le montant des contrats signés représenterait une valeur cumulée supérieure à 7 milliards, et, pour 2022, la barre des 10 milliards est franchie. 

De l’amorce des années 1970 à la « coréanisation » des années 1990

La Corée du Sud bénéficie d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) nationale qui a fait l’objet, à partir des années 1970, de la mise en œuvre d’une politique industrielle dédiée. Ainsi, après la création, de l’Agence pour le développement de la défense (ADD), la Special Law on the Promotion of the Defense Industry (1974) propose un cadre légal sur lequel se fonde le développement de l’industrie. Celle-ci s’appuie sur les conglomérats (chaebols) existants qui se voient assigner plusieurs secteurs stratégiques en échange d’avantages économiques (mise en situation de monopole ou quasi-monopole, accords financiers, réduction de taxes, etc.). Si cette stratégie a permis d’atteindre l’objectif fixé de mise en place relativement rapide de capacités de production d’équipements, presque exclusivement sous licence américaine, elle a engendré des difficultés sur le plan de la compétitivité et de l’innovation (manque de synergie, très peu d’investissements R&D, etc.).

Le début des années 1990 constitue un tournant pour l’industrie de défense coréenne, à la suite des initiatives prises par le gouvernement Roh Tae-woo (1988-1993). Celui-ci présente le plan Development of a long-term posture dont l’un des objectifs est de « coréaniser » la défense nationale. La politique en matière de compensations industrielles (offset) lancée en 1983 est renforcée pour mettre l’accent sur les transferts de technologie. Durant cette période, la BITD coréenne devient progressivement maître d’œuvre de programmes de défense, laissant aux fournisseurs étrangers une place de partenaires industriels et technologiques. C’est dans ce contexte que, dans le domaine de l’artillerie, le programme d’obusier automoteur K-9 Thunder a été conçu. Les programmes F-50 / T-50 (aviation d’attaque légère et d’entraînement) et de sous-marins type Chang Bogo illustrent quant à eux le rôle majeur des transferts de technologie dans la politique industrielle coréenne et la constitution d’une offre nationale d’équipements de défense. 

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Le développement de l’industrie de défense coréenne a été – et reste – motivé par des intérêts de défense et de sécurité nationale dans le contexte historique de la menace représentée par la Corée du Nord. Toutefois, depuis le milieu des années 2000 et notamment le Livre blanc de la défense de 2006, le soutien à la BITD nationale revêt également une importance économique. Le renforcement des capacités industrielles et technologiques de défense est présenté comme un moyen d’apporter des bénéfices dans le domaine des sciences et technologies en investissant par exemple sur des secteurs stratégiques. Les exportations d’armement sont aussi perçues comme étant un relais de croissance pour l’économie nationale et contribuant positivement à la balance commerciale. La moindre dépendance aux fournisseurs étrangers, en particulier américains, est également un objectif poursuivi via la multiplication des partenaires.

Exportations et coopérations industrielles en matière de défense

L’approche aujourd’hui privilégiée pour les exportations de défense est pangouvernementale (K-Defence Globalization Strategy). La prise en compte au plus haut sommet de l’État de l’importance de ces exportations démontre la place centrale qu’elles ont prise dans la politique étrangère du pays. En janvier 2022, la tournée du président Moon Jae-in en Afrique et au Moyen-Orient s’est conclue par une série d’annonces : contrat avec l’Égypte sur des obusiers automoteurs K9 Thunder (1,7 milliard de dollars), accord avec les Émirats arabes unis sur un système de défense aérienne Cheongung II KM-SAM (évalué à 3,5 milliards). Plus récemment, en mars 2022, le pays a signé plusieurs contrats avec l’Arabie saoudite pour un montant estimé à 800 millions de dollars. La nouvelle présidence poursuit cette logique de soutien et de promotion de l’industrie de défense coréenne, à l’instar de l’ambition affichée par le président Yoon Seok-yol durant sa participation au sommet de l’OTAN à Madrid en juillet 2022. 

Pendant longtemps, et outre les États-Unis, les relations d’armement semblaient presque s’inscrire principalement dans le cadre des relations bilatérales de défense entretenues historiquement avec les pays ayant participé à la guerre de Corée (1950-1953) sous bannière de l’ONU. C’était le cas notamment avec plusieurs pays de l’Indopacifique comme la Thaïlande et les Philippines, mais aussi avec la Turquie ou la Colombie. Toutefois, en parallèle des exportations réalisées à partir des années 2000, la Corée du Sud a multiplié les accords de coopération bilatéraux dans le domaine industriel de défense. Les relations bilatérales de défense se sont renforcées grâce à ces types d’accords et, dans d’autres cas, ils en sont semble-t-il même devenue le moteur principal, comme en Pologne. 

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En Indopacifique, cette stratégie est déclinée avec ses partenaires et offre à son industrie de nouveaux prospects. Ainsi, dans le cadre des contrats remportés en Asie du Sud-Est lors de la décennie 2010-2020 (Thaïlande, Philippines et Indonésie notamment), l’offre coréenne intégrait presque systématiquement des transferts de technologie ou des accords de production locale, venant ainsi contester des marchés auparavant détenus par des groupes de défense notamment européens. L’Indonésie a, par exemple, été l’un des premiers pays pour lequel la Corée du Sud a misé sur les partenariats industriels (en particulier dans le cadre du contrat des sous-marins type Chang Bogo négocié en 2011), jusqu’à l’associer au programme de développement de l’avion de combat KF-21. 

Malgré les difficultés rencontrées en raison principalement de l’incapacité de l’Indonésie à tenir ses engagements financiers, ce type de partenariat est amené à se reproduire ou plus exactement être adapté aux autres pays partenaires de la région. C’est par exemple le cas en Australie où la Corée du Sud a remporté en décembre 2021 un contrat historique. Dans le cadre du programme Land 8116, Canberra prévoit initialement l’acquisition de 30 obusiers automoteurs (SPH) Hanwha AS9 Huntsman, de 15 véhicules blindés d’approvisionnement en munitions (AARV) AS10 et d’un radar de contre-feux. Les stratégies mises en œuvre pour y parvenir démontrent la capacité de la Corée du Sud, tant l’État que les industries, à répondre aux exigences des clients les plus contraignantes en matière de contenu local.

Une alternative « rassurante » dans l’ombre de Washington

Sans évoquer les performances des systèmes d’armes, l’offre coréenne sur les marchés export apparaît bénéficier de plusieurs avantages pour les pays clients. Pour ceux, comme la Pologne, intégrés à l’OTAN et désireux de disposer de matériels interopérables aux solutions américaines, tout en ayant des velléités de renforcement de son industrie nationale, le choix coréen apparaît comme un bon compromis. Le ministre polonais de la Défense rappelait en mai 2022 que l’interopérabilité des chars américains Abrams et coréens K-2 était essentielle1. Pour les pays de l’Indopacifique, à l’image de l’Australie, l’acquisition d’équipements coréens et plus généralement la coopération apparaît être un moyen de renforcer les liens régionaux. Et dans ce domaine, la Corée du Sud devient peu à peu un acteur régional incontournable. 

1 « We are strengthening military cooperation between Poland and South Korea », communiqué de presse ministère polonais de la Défense, 30 mai 2022.

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Kévin Martin

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