<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Royaume-Uni : un Trafalgar militaire

27 juillet 2024

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Photo : Le porte-avion HMS Queen Elizabeth (R08). (C) Wikipedia

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Royaume-Uni : un Trafalgar militaire

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Que se passe-t-il donc dans l’armée britannique ? Depuis quelques mois, les problèmes semblent s’enchaîner. La plus symbolique fut la révélation par le tabloïd The Sun de l’échec d’un tir de missile d’un sous-marin nucléaire de la classe Vanguard, le Trident II D-5, lors d’un entraînement au large de la Floride fin janvier, en présence du ministre de la Défense, Grant Shapps, et du First Sea Lord de la Royal Navy, l’amiral sir Ben Key, l’équivalent du chef d’état-major de la marine française. 

Article paru dans la Revue Conflits n°52, dont le dossier est consacré à l’espace.

Ensuite, début mars, le porte-avions HMS Prince of Wales a eu un incendie « mineur » dans son port d’attache de Glen Mallon on Loch Long, sur les côtes écossaises de la mer du Nord. Mentionnons enfin les problèmes de recrutement dans tous les corps d’armée. Mais comment en est-on arrivé là ?

Une armée de terre à la peine

L’image laissée par les événements des six derniers mois expose au monde entier la fin des heures de gloire de l’armée britannique, touchée par une chute de financement et d’effectifs presque ininterrompue depuis cinquante ans. 

De 1971 à 2024, le budget de la défense britannique a été divisé par trois, en passant de 6 % du PIB sous Edward Heath et encore 4 % sous Margaret Thatcher, à 2,3 % cette année. Il y a certes eu une augmentation des budgets de la défense depuis le début de la guerre en Ukraine, avec un retour à 3 % prévu pour 2030. Pour autant, celle-ci ne comblera pas les conséquences des coupes budgétaires opérées sous David Cameron après la crise financière de 2008 et qui viennent seulement d’être inversées. 

Les effectifs de la British Army, l’armée de terre, ont le plus chuté parmi les trois corps d’armée. En 2025, le nombre de troupes d’active devrait descendre à 73 000 hommes, contre 104 250 en 2012. Le temps est révolu où la British Army pouvait fournir un tiers des effectifs d’une coalition internationale, comme en Afghanistan, en 2003, où 46 000 soldats furent envoyés au front, dont 26 000 de l’armée de terre. 

Et aux baisses d’effectifs s’ajoutent le vieillissement du matériel et les retards des commandes de nouveaux blindés, dont le véhicule de combat Ajax. Celui-ci devrait enfin être livré à l’armée fin 2025, après huit années de retard dues à des problèmes de vibration du véhicule et à sa mauvaise sonorisation. Le projet, mené par General Dynamics UK, aura coûté plus de 6,5 milliards d’euros au contribuable britannique.

Toutefois, la modernisation de l’armée se poursuit. Les chars de combat Tanker 3 construits par BAE Systems et Rheinmetall devraient rentrer en service l’année prochaine, avec des améliorations par rapport au Tanker 2, dont le canon. Mais le gouvernement n’achètera que 148 Tanker 3, alors qu’il ne possède déjà que 203 Tanker 2. 

« À mon avis, nous en aurions besoin de 390 pour être en mesure de déployer une division blindée durablement » argumente Paul Cornish, professeur d’histoire militaire à l’université de Cambridge. À titre de comparaison, la Russie possède 5 000 chars de combat en Ukraine et son industrie serait en mesure d’en livrer 1 500 par an. 

Et s’il y a un Premier ministre qui a fait preuve de peu de vision, c’est Boris Johnson, qui déclarait avec désinvolture au Defense Committee, en novembre 2021 : « Nous devons reconnaître que les vieux concepts de grands combats de chars sur le sol européen sont dépassés. » Mais la guerre en Ukraine l’a montré : les drones ne remplacent pas les chars dans une guerre de position.

« Ces crises d’effectifs et de matériel reflètent une difficulté à déterminer le rôle de l’armée de terre dans la stratégie militaire britannique depuis les guerres d’Irak et d’Afghanistan » analyse William James. Une crise causée en grande partie par l’absence de vision claire pour cette armée depuis vingt ans et une volonté effrénée de remplacer les hommes par la technologie. « Si vous voulez financer correctement la défense, alors vous devez faire des choix budgétaires et baisser les dépenses ailleurs (la santé, l’école, etc.), argumente encore William James, et nous aurons de gré ou de force un débat national sur ce sujet dans les prochaines années. »

Crise de recrutement

Une conséquence des coupes budgétaires est la crise du recrutement. « Les difficultés liées au recrutement et au maintien des nouvelles recrues ont été exacerbées par les baisses d’effectifs, précise William James. Avec moins de bases militaires à travers le pays, il y a moins d’interaction entre les civils et le personnel militaire. »

Entre mars 2023 et mars 2024 par exemple, 10 680 hommes ont rejoint les forces armées de Sa Majesté, une baisse de 12,6 % par rapport à 2021, tandis que 16 140 soldats ont quitté l’armée. Les chiffres de la Navy sont les plus moroses avec une chute de 22,1 % des recrutements entre mars 2023 et mars 2024. Et depuis 2010, aucun corps d’armée n’a atteint ses objectifs de recrutement.

Plus grave, l’armée peine à garder ses recrues après leur entraînement, ce qui s’explique par le désir de mobilité des jeunes et les salaires bas.

Un soldat du rang entraîné gagne 1 958 € brut par mois, contre 2 375 € pour un soldat français. Il est naturel qu’une armée en manque de moyens donne moins envie d’y faire carrière.

Une Royal Navy qui garde la face

La force des British Armed Forces reste sa Royal Navy. Avec ses deux porte-avions, le HMS Prince of Wales et le HMS Queen Elizabeth, elle peut intervenir sur toutes les mers du monde douze mois sur douze. Mais la Navy aussi est touchée par le manque de moyens. 

Alors que le HMS Prince of Wales et le HMS Queen Elizabeth peuvent contenir 36 F-35 à bord, ils leur arrivent de naviguer avec un nombre d’avions inférieur à dix. Aujourd’hui, la Royal Air Force (RAF) n’a pas les capacités d’équiper ses deux porte-avions, parce qu’ils doivent partager les avions de chasse avec la RAF. À sa défense, 23 avions de chasse F-35 doivent être livrés en 2025. De plus, comme l’explique un officier de la Royal Navy, « d’une opération à l’autre, le nombre d’avions requis varie, ce qui explique que nos porte-avions ne naviguent pas toujours à pleine capacité. En soi, cela n’a rien d’anormal. »

Mais cette situation ne doit pas masquer les investissements en cours. En mai, Grant Shapps a annoncé la construction de six nouveaux navires amphibies pour les Royal Marines, pour remplacer le HMS Albion et le HMS Bulwark à l’horizon 2033/2034. Il s’agirait d’un modèle de navire 2.0, avec une piste d’atterrissage pouvant accueillir l’hélicoptère Chinook et un emplacement à l’arrière de la coque pour le lancement d’engins sous-marins. Ces navires seront aussi équipés du laser DragonFire, capable de détruire des drones et des missiles pour le coût dérisoire de dix livres. L’objectif enfin est aussi que ces nouvelles frégates aient besoin de moins d’hommes que les modèles actuels et soient plus autonomes. Enfin, huit frégates Type 26, construites par BAE Systems, devraient être livrées en 2026, ainsi que des sous-marins nucléaires Astute et Dreadnought en 2030.  

Le besoin d’une nouvelle vision stratégique 

Malgré les grands discours, le Royaume-Uni est, comme la France, une puissance moyenne et n’a plus les moyens de se doter d’une armée entièrement équipée et opérationnelle comme l’armée américaine.

Le renforcement de la coopération britannique et française pourrait permettre de peser davantage militairement.

« Nos deux armées ont beaucoup en commun et sont de plus en plus interopérables, argumente William James. De plus, elles possèdent deux marines déployables à travers le monde, avec une importante expérience. Seul un petit nombre de pays peuvent projeter de la puissance sur une telle distance de manière durable. » Cet atout est d’autant plus crucial que les Américains sont davantage tournés aujourd’hui vers l’Indopacifique et la menace chinoise à Taïwan. « Cette situation est une opportunité pour les forces armées britanniques et françaises d’approfondir leur coopération » conclut le professeur du King’s College London.

Les British Armed Forces, malgré leurs déboires, ont encore un avenir, à condition que les bons choix politiques et stratégiques soient faits. « Who Dares Wins » assure la devise du Special Air Service, mais oser demande des sacrifices et des renoncements, qu’il est encore temps de faire.

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À propos de l’auteur
Maximilien Nagy

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