Du nouveau sur la blockchain. Les entreprises privées multiplient leurs monnaies, les États leur emboîtent le pas. Cela va-t-il conduire à une révolution monétaire ?
Jadis zone interdite, la blockchain devient un territoire à conquérir à la suite des succès des premiers crypto-dollars aka « stablecoins ». Société Générale, PayPal et JP Morgan ont lancé le leur, Walmart et Amazon planchent dessus. La Chine a déjà son crypto-yuan. Le crypto-euro de la BCE est en préparation. L’association des banques suisses ouvre la porte d’un crypto-franc.
Qu’est-ce qu’un stablecoin ?
D’après vous, quelle est la cryptomonnaie (actif utilisable sur une blockchain) la plus échangée au monde ? Le bitcoin ? L’Ethereum ? Ce sont deux cryptomonnaies qui ont certes la plus grosse capitalisation au monde, cependant la cryptomonnaie la plus échangée au monde est le dollar. (Source coinmarketcap.com au 16 juin : Bitcoin 42 milliards $ / 24h, USDT 59,4 milliards $ / 24h)
Bien évidemment, le dollar, sonnant et trébuchant, n’existe que sous forme de billets / pièces ou dans les comptes en banque d’établissement ayant une licence américaine. Le dollar échangé sur les blockchains est un « quasi » dollar appelé stablecoin.
Il faut savoir qu’il existe plusieurs blockchains. La première, Bitcoin, est mono-actif, il n’y a que du bitcoin en circulation. Mais toutes les autres apparues dans le sillage de Bitcoin, comme Ethereum, Solana ou Tezos, sont multi-actives. Elles permettent à n’importe qui de créer sa cryptomonnaie avec ses règles pour l’échanger.
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Ainsi, beaucoup de personnes ont créé leur cryptomonnaie. Cependant, leur prix devient instable car soumis à l’offre et la demande sur les plateformes d’échange. Avec, on le voit, de grosses variations.
Aussi, l’entreprise Tether a eu une idée simple et efficace : elle va émettre sa cryptomonnaie, le USDT, qu’on échangera toujours pour 1$. Elle opère ainsi sur les plateformes d’échange pour stabiliser le prix de sa cryptomonnaie. Si la demande augmente, elle vend plus de USDT. Si la demande baisse, elle rachète des USDT pour les retirer de la circulation.
Il existe maintenant sur les blockchains, un jeton « stable » autour de 1$ émis par une entreprise privée, les fameux « stablecoin ». La solidité d’un stablecoin provient de la solvabilité de l’entreprise qui le gère. A-t-elle assez de collatérale en face des jetons émis ?
Un petit pas entraîne un SWIFT 2.0 public
On a donc un quasi dollar sous forme d’une cryptomonnaie pour faire plaisir aux utilisateurs de la blockchain : plus besoin de passer de crypto-actifs sur blockchain à des dollars sur des comptes en banque, on reste sur la blockchain. Une solution technique pour un marché de niche…
Sauf que le changement est colossal, puisque quiconque sur terre peut se créer une adresse (compte anonyme sur une blockchain) et recevoir des USDT. Autrement dit, distribuer un crypto-dollar sur une blockchain comme Ethereum permet à n’importe qui avec un simple smartphone de manipuler ce crypto-dollar sans compte bancaire et sans aucune vérification.
Devant cette liberté, il faut toutefois rappeler qu’une cryptomonnaie est programmable à la seule discrétion de son créateur. On peut coder une liberté totale à un contrôle absolu. Ici, Tether permet à tout le monde disposant d’une adresse d’utiliser son jeton. Toutefois, il réserve le droit de geler les USDT d’une adresse si la justice le demande.
Autrement dit, le combo blockchain plus stablecoin forme un nouveau réseau de paiement « SWIFT 2.0 » où n’importe qui peut posséder du dollar depuis son smartphone, sans vérification préalable ni limite de montant avec une relative anonymat tant que la justice américaine ne remonte pas à vous dans une affaire.
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Cela donne un succès mondial, le USDT est utilisé en Amérique latine, Afrique ou Asie. Des pays contrôlant fermement les devises étrangères et les taux de change se retrouvent avec des citoyens disposant du dollar comme bon leur semble.
Devant la facilité d’usage et les frais peu élevés lors des paiements internationaux, le secteur privé comme PayPal, JP Morgan, Walmart ou Amazon y voit un eldorado. Ils gardent cependant les stigmates du projet Libra de Facebook qui voulait battre la monnaie en 2019, le régulateur avait peu apprécié de voir son monopole monétaire attaqué par le secteur privé.
Le succès provient de l’accessibilité et de la liberté.
Le dollar est mal en point dans la finance classique, les institutions préfèrent l’or que les obligations, l’Arabie Saoudite vend son pétrole directement en yuan. Pourtant voilà que le dollar renait dans le nouveau monde de la finance sur blockchain. Il est devenu l’actif de réserve et l’actif pivot pour échanger dans n’importe quelle cryptomonnaie.
La Chine ou l’Europe lancent l’e-yuan et l’e-euro pour rattraper leur retard, en oubliant un détail important. La réussite des stablecoins en dollar provient de leur accessibilité : utilisation sans vérification, sans limite, relativement anonyme depuis un simple smartphone.
Leurs propositions ont retiré ces avantages pour ne garder qu’un concept, l’actif doit tourner sur une blockchain. Et pas une blockchain publique comme Ethereum ou Solana. Leur blockchain parfaitement centralisée, entièrement traçable et contrôlable.
Le président du Crédit Mutuel a très bien résumé la situation des stablecoins entièrement contrôlés des États : « Une solution qui cherche son problème ». Ils n’apportent rien de plus que l’euro sur votre compte bancaire.
Ou plutôt une solution qui cherche à résoudre un problème peu avouable, rendre l’usage de la monnaie encore plus traçable et coercitif. La restriction du cash déjà présente semble vouloir se muer en interdiction. La France vient de déclarer toute utilisation de cryptomonnaie comme un blanchiment présumé.
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Le résultat s’annonce risible, si d’un côté l’EU ou la Chine forcent une monnaie dystopique, alors que de l’autre n’importe qui peut posséder du Bitcoin, Ethereum ou des stablecoins en dollar, on peut s’attendre à un retour de bâton pour nos dirigeants. Comme c’est déjà le cas pour certains pays au système financier défaillant (Liban, Argentine, Nigeria, etc), une économie noire basée sur le dollar se mettra en place.
De même que la récente interdiction des sites pornographique sans contrôle d’identité a fait exploser l’usage des VPN. L’euro numérique risque de faire exploser l’usage des cryptomonnaies anonymes et libres.
En laissant des entreprises privées innover, les États-Unis ont su s’imposer dans la nouvelle finance sur blockchain et de mettre des bâtons dans les roues des autres États, qui peinent à comprendre la raison de l’adoption des stablecoins dollar.