Davantage connu pour son influence sur la politique étrangère des États-Unis, le néoconservatisme est un mouvement qui trouve ses racines dans les années 1980 et qui se construit à l’origine sur un rejet du progressisme social et économique prôné par le parti démocrate. Il connaît un essor rapide sous les administrations successives du président Ronald Reagan avant de voir son idéologie déclinée sur le plan de la politique extérieure sous Georges W. Bush
À la différence du conservatisme, le néoconservatisme ne fait pas de l’attachement aux traditions une valeur cardinale. Plutôt que la préservation des acquis sociaux et politiques, les néoconservateurs adoptent une approche de rupture qui favorise l’innovation. Le mouvement se distingue également du conservatisme, historiquement hostile à toute intervention étatique, en utilisant les organes de l’État pour diffuser son idéologie. D’un point de vue international, l’armée est un élément essentiel de la diffusion de la thèse néoconservatrice.
Vision internationale
En matière de politique étrangère, le néoconservatisme privilégie une stratégie offensive visant à prévenir la menace posée par tout régime, en place ou en situation d’accéder au pouvoir, jugé hostile aux États-Unis. La poursuite de cet objectif passe souvent par la modification des systèmes politiques en vigueur dans les pays concernés ; on parle ainsi de « regime change ». Ce procédé est aussi l’occasion d’étendre l’hégémonie culturelle et politique américaine à la faveur de la chute du bloc soviétique en exportant le modèle démocratique américain et les valeurs universelles dont Washington se veut le porte-étendard. Le déclenchement de la « guerre mondiale contre le terrorisme » à la suite des attentats du 11 septembre 2001 sera perçu par les tenants du néoconservatisme comme un contexte favorable à la mise en œuvre de cette doctrine au Moyen-Orient.
Cependant, la campagne américaine en Irak aura, pour des raisons diverses, mis en évidence les lacunes de la stratégie du regime change et sonnera le glas du néoconservatisme. Comme nous le verrons, certaines des conséquences de cet échec perdurent et viennent directement menacer les intérêts régionaux américains, soit l’exact contraire de l’objectif ultime du néoconservatisme.
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L’Irak de Saddam Hussein, candidat idéal au regime change
Les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué un tournant dans la politique internationale de Washington autant qu’ils ont sensibilisé l’opinion publique américaine à la menace du terrorisme islamiste. Le déclenchement de la « guerre mondiale contre le terrorisme » par Georges W. Bush devait s’étendre au-delà des frontières afghanes. En 2003, le président républicain déclare ainsi une « guerre préventive » à l’Irak de Saddam Hussein en arguant que ce dernier serait un soutien d’al-Qaïda mais aussi qu’il disposerait d’un important arsenal d’armes de destruction massive et notamment d’armes chimiques et biologiques, faisant de ce fait planer le spectre d’une potentielle nouvelle attaque sur le sol américain. Cet argumentaire visait à justifier l’intervention militaire à venir pour prévenir un tel risque. Afin d’endiguer définitivement la menace terroriste, l’administration Bush prévoyait également de remplacer Saddam Hussein par un gouvernement démocratique favorable aux intérêts américains, aboutissement de la stratégie du « regime change ».
C’est ainsi que les premiers soldats américains posèrent le pied sur le sol irakien le 20 mars 2003. Dès le 9 avril, ils entrent dans Bagdad et déboulonnent la statue de Saddam Hussein dans ce qui symbolisera la chute du dirigeant irakien. Le 1er mai, le président Bush acte la chute de Saddam Hussein et déclare que « l’essentiel des opérations militaires est terminé »[1] avant d’ajouter que ce n’est pas le cas de « la guerre contre le terrorisme ». Le président déchu sera arrêté en décembre 2001, puis exécuté par pendaison le 30 décembre 2006 après avoir été reconnu coupable de crimes contre l’humanité par le Haut Tribunal pénal irakien[2].
La suite des évènements démontrera que l’administration Bush n’avait pas pris en compte les tensions communautaires historiques entre sunnites et chiites qui devaient gagner en intensité après la chute du président Hussein, d’obédience sunnite. Représentant environ 30% de la population irakienne et traditionnellement au pouvoir, les sunnites se retrouvent soudainement en situation de faiblesse.
Une stratégie minée par la méconnaissance des réalités locales
Des affrontements confessionnels font rage dans tout le pays. Bagdad devenait ainsi le théâtre de violences quotidiennes meurtrières, comme en témoignent les attentats du 23 novembre 2006 à l’occasion desquels au moins 200 personnes ont perdu la vie à la suite d’une série d’attentats à la bombe[3] ou encore les attentats du 2 novembre 2010 qui ont causé la mort de 64 personnes[4]. Ces tensions communautaires ne permettront pas l’émergence d’un gouvernement bénéficiant d’une cohésion nationale.
Les Américains ont concentré l’essentiel de leurs forces à la prise de la ville de Falloujah, qui abritait les fidèles du président Hussein et constituait un solide bastion sunnite. Parallèlement, ils ont écarté la communauté sunnite du projet de transition démocratique. Le Conseil de gouvernement irakien, fondé en juillet 2003, est ainsi dominé par les Kurdes et les chiites. L’arrivée au pouvoir de Nouri al-Maliki en 2006 accentuera le déséquilibre politique malgré son projet de réconciliation nationale. La diabolisation et l’exclusion de la communauté sunnite seront autant d’éléments dont sauront profiter les djihadistes sunnites à l’origine de la création de l’État islamique en Irak, le 15 octobre 2006.
Le retrait des troupes américaines amorcé par Barack Obama sera effectif le 18 décembre 2011. Bien que le président démocrate estime que cette campagne fut « une réussite extraordinaire » ayant abouti à la mise en place d’un « État souverain, stable, autosuffisant »[5], il faudra l’intervention d’une coalition internationale amenée par les États-Unis pour faire chuter le califat de l’État islamique en 2014. La fin du califat entraînera mécaniquement la prise de contrôle des milices chiites constituées pour lutter contre Daech. Véritable « État dans l’état », ces dernières, bien que regroupées au sein de l’Unité de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi) et placée sous l’autorité du pouvoir irakien, ont toujours entretenu un fort lien de proximité avec l’Iran. Elles constituent aujourd’hui l’un des derniers proxys du régime des mollahs qui a profité de la méfiance de ces milices à l’encontre de la communauté sunnite irakienne pour les attirer dans son giron. Qassem Soleimani, le lieutenant irakien tué par une frappe américaine en 2020, était ainsi décrit comme « le messager et l’émissaire irakien de l’Iran »[6].
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L’approche de Washington sur le dossier iranien et la réticence de l’administration Trump II à provoquer un changement de régime à Téhéran confirment le déclin du néoconservatisme en même temps que le mépris du locataire du Bureau ovale pour des interventions qu’il qualifie de « guerres stupides et interminables »[7]. Le courant néoconservateur ne représente aujourd’hui plus qu’une très faible minorité au sein d’un parti républicain dominé par le mouvement Make America Great Again qui ne s’écarte qu’en dernier recours de sa doctrine isolationniste.
[1] https://www.lefigaro.fr/international/les-points-cles-des-relations-entre-les-etats-unis-et-l-irak-depuis-2003-20191231
[2] https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2006/12/28/l-ordre-d-execution-de-saddam-hussein-est-publie_850001_3218.html
[3] https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2010/10/20/chiites-et-sunnites-s-entre-tuent-pour-controler-bagdad_1428560_3218.html
[4] https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20101103-serie-attentats-mardi-bagdad-fait-64-morts
[5] https://www.france24.com/fr/20111214-obama-retrait-armee-soldats-etats-unis-guerre-irak
[6] https://www.understandingwar.org/backgrounder/leadership-and-purpose-iraq’s-popular-mobilization-forces